Chronique (2021)
Ultime virée pour le groupe du génial Pascal BOUAZIZ.
Parce que, malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin.
M E N D E L S O N ofabitch.
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« Regarde nous, vingt cinq ans, ce n'est plus tout à fait pareil déjà,
je sais, tu vas me dire, ça n'est pas encore vieux, mais ça pourrait le devenir »
(SUPERFLU, 25 ans).
L'avenir est derrière
On aurait presque du mal à croire que MENDELSON fête cette année ses vingt cinq ans d'existence : seulement sept albums au compteur pour ce groupe unique, qui aura toujours refusé la facilité et la compromission. À l'heure de retrouver la bande menée par Pascal BOUAZIZ, cette nouvelle sortie n'en a pas moins un goût amer, puisque Le dernier album sonne le glas de MENDELSON. « Tout se termine ici sur MENDELSON numéro 7 (…) MENDELSON ne chantera plus jamais » (Le dernier disque). Diantre : me voilà donc à assumer la responsabilité d'une chronique musicale et une eulogie funéraire à la fois.
Y a pas à dire, ça fout un coup.
Parce que les années Lithium de DOMINIQUE A, DIABOLOGUM et MENDELSON, cette sainte trinité trop belle pour être vraie.
Parce qu'il n'y a même plus un Bernard LENOIR pour élire ce nouvel album de MENDELSON disque de l'année, comme il l'avait fait sans sourciller avec le miraculé Personne ne le fera pour nous en 2007 (À la question « que faire quand vous ne trouvez personne pour sortir votre nouveau disque ? », BOUAZIZ répondait qu'il en ferait un double qu'il sortirait lui-même, porté par son meilleur morceau de tous les temps, 1983 (Barbara)).
Parce que ces morceaux hautement improbables et inspirés qui ouvraient toujours des portes sur des univers parfois drôles, parfois glauques, ou quelque part entre les deux, mais toujours fondamentalement humains (Par chez nous, Les petits frères des pauvres, Le sens commun, Mon frère, et La force quotidienne du mal, pour n'en citer que quelques uns).
Parce qu'on aura croisé tout du long de la carrière de MENDELSON une galerie de portraits hauts en couleurs qui vont désormais nous manquer comme jamais : Barbara, bien sûr, mais aussi Marie-Hélène, Monsieur Pinto, Jackie et son Noël pas du tout joyeux, le chef du gang des culturistes et Sara, la fermière irlandaise de Katharine HEPBURN...
Parce que la pochette de Seuls au sommet (2003), réunissant des disques d'ARAB STRAP, John COLTRANE, MERCURY REV, Leonard COHEN, Fela KUTI et Jimi HENDRIX, qui donnait envie de passer des nuits entières à boire des bières et causer musique avec Pascal BOUAZIZ.
Parce que la scène française perd par là même son représentant le plus fascinant et hors-cadre qui soit... et qu'elle ne croule pas sous les remplaçants potentiels.
Parce que des mecs comme SAEZ ou GRAND CORPS MALADE vont survivre à MENDELSON.
Parce que la vie est décidément mal faite, tout simplement.
Pour rappel, lors de la décennie écoulée, MENDELSON était encore un groupe capable de sortir un triple album fascinant et exigeant, dont la beauté noire et glaçante irradiait au milieu de ses inquiétantes terres post-industrielles (Mendelson, 2013). Plus expérimental que jamais, le groupe réservait même tout un disque aux cinquante quatre minutes et vingt six secondes du morceau-fleuve Les heures. Explorant toujours plus loin la notion de concept album, MENDELSON sortait aussi en 2017 un album de reprises de morceaux engagés en français dans le texte (l'inégal Sciences Politiques, réadaptant des brûlots de Marvin GAYE, Bruce SPRINGSTEEN, SONIC YOUTH, PIL et les STOOGES).
Mais peut-être n'a-t-on pas su lire entre les lignes : Pascal BOUAZIZ ne nous avait-il pas (involontairement ? ) donné des signes avant-coureurs de la démise de son groupe via la naissance de BRUIT NOIR (2015), un album solo (Haïkus, 2016), un bouquin (Passages, 2016), et sa superbe collaboration avec le Michel CLOUP DUO pour mettre en musique le À la ligne (2020) de Joseph PONTHUS ? Peut-être qu'au final, Pascal BOUAZIZ a fini par trouver la panoplie pourtant si classe (« avec ses lunettes en peau de serpent ») de MENDELSON un peu trop étriquée pour lui.
La Mort en Direct
Quoi qu'il en soit, on pouvait faire confiance au leader de MENDELSON pour terminer l'aventure sur une note à la hauteur de la discographie quasi parfaite de son groupe. Entendons-nous bien, ça n'allait pas être chose aisée. Quel lapin BOUAZIZ allait-il donc nous sortir de son chapeau pour son dernier tour de prestidigitation musicale ?
La solution retenue est à la fois simple et évidente, belle, déchirante et probablement inédite : mettre en musique et en textes le démantèlement de MENDELSON, sous nos yeux et surtout nos oreilles ébahis. Pour cela, Pascal BOUAZIZ nous propose une nouvelle mouture du line-up de MENDELSON, où figurent néanmoins quelques historiques comme Pierre-Yves LOUIS (guitare), ainsi que l'hydre à deux têtes Sylvain JOASSON et Jean-Michel PIRES (batterie), sans oublier l'inénarrable Quentin ROLLET (saxophone). Il restait quand même un peu de place pour les nouveaux venus Jean-Baptiste JULIEN (claviers et piano) et Nicolas CROSSE (contrebasse) qui se sont fondus dans le moule avec une facilité déconcertante. Bien que MENDELSON compte donc sept membres sur ce disque (pré-)posthume, chacun d'entre eux vise l'épure en jouant brillamment sur les répétitions, les textures et les silences. Un véritable tour de force musical.
L'ambiance jazzy de l'introductif Le dernier disque est un joli clin d’œil à Quelque part, partagé entre contrebasse soyeuse et piano en retenue. Annonçant la couleur d'entrée, cette profession de foi légèrement anecdotique a le mérite de planter le décor et d'insuffler, comme souvent chez MENDELSON, une pointe d'humour pour mieux faire passer la pilule : « MENDELSON, groupe obscur, inconnu, mythique, culte : mon cul ! ».
Cette mise à mort s'accompagne néanmoins d'une pointe d'amertume, comme sur le martelé Héritage, entre auto-référence et poches vides, à l'heure où BOUAZIZ dresse la liste ce qu'il laissera à son fils : « Rien, il n'y a pas de maison en Ardèche, c'était un rêve ou un mensonge à ta mère tu sais, rien, il n'y a pas de maison secondaire, de maison primaire, pas de voiture, pas de montre au poignet », tout juste « quelques centimes à la SACEM ». Le constat semble tout aussi désabusé sur Les chanteurs, porté par un larsen douloureusement langoureux qui ne fait plus qu'un avec le saxophone free de Quentin ROLLET : « Je ne sais plus quoi dire, que je n'ai déjà dit, le monde était sourd, ou bien abruti, je me croyais poète, prophète, génie, je ne crois plus comprendre que les incompris ».
Une pointe d'amertume donc, mais on évite fort heureusement l’écueil de l'aigreur. Après tout, ces « quelques centimes à la SACEM » ne sont rien d'autre qu'une façon plutôt délicate de souligner que les richesses de MENDELSON se trouvent dans ses disques et pas ailleurs. On ne doute pas une seule seconde que Pascal BOUAZIZ ne l'aurait jamais souhaité autrement (bien qu'il ait clamé à maintes reprises sa frustration de ne pouvoir rivaliser avec l'affreuse nouvelle chanson française) : « Je préférerais rater mille fois avec vous que de réussir avec des cons » (La dernière chanson).
Algérie et dernière chanson
Le dernier album a beau être le plus court de la discographie de MENDELSON (seulement 5 titres), il n'en atteint pas moins les quarante trois minutes. La « faute », en grande partie, à L'Algérie, seul morceau de l'album à ne pas évoquer la fin de MENDELSON. Un morceau monstrueux de presque vingt minutes, dont la beauté vénéneuse voit un Pascal BOUAZIZ mêler observations, souvenirs désabusés d'un voyage à Oran en 2004, quête d'identité (« Moi, moi le faux juif, le faux arabe, qui ne peut être que cette impossibilité d'être ») et inquiétudes sur l’antisémitisme et le racisme anti-arabes chez nous. « Mais je ne voulais pas parler de ça » scande BOUAZIZ, conscient que son morceau lui échappe, l’entraînant sur un terrain qui aura rarement été aussi pleinement autobiographique.
Au diapason, la musique s'emballe, les guitares grondent bien loin du chaâbi loué quelques minutes plus tôt (« C'est magnifique le chaâbi, c'est beau comme du folk, c'est beau comme de la vraie country, mais c'est plus beau encore, puisque c'est de la musique orientale, et que la musique orientale est infinie »). On pensera plus facilement aux orages en clair-obscur du Spiderland de SLINT, prenant un malin plaisir à imposer des faux calmes, ce que MENDELSON reproduit ici (à sa manière) de façon admirable. Ces guitares telluriques, qui déboulent à peu près à mi-parcours, comme une catharsis nécessaire après toute cette tension accumulée, en arrivent presque à noyer la voix d'un Pascal BOUAZIZ qui n'aura jamais paru si vulnérable et en colère. Son «Je vais parler doucement, dans le monde entier c'est la cacophonie » de l'intro a désormais laissé la place à un ton rageur et presque crié, comme pour mieux évoquer ces thèmes aussi intimes que douloureux à faire sortir.
Cette « ambiance de plomb » qui flotte tout au long du morceau cogne l'auditeur avec des uppercuts plus ou moins appuyés qui n'en finissent plus de le mettre au tapis. Ça serait presque « incroyable qu'on soit toujours vivant » après un tel ouragan, qui est parfaitement armé pour contester la couronne de Barbara. Algérie est en tout cas de ces morceaux capables de justifier à eux seuls l'existence du disque qui les abrite.
La traversée de cet album fort copieux (malgré les apparences) se conclut logiquement par La dernière chanson, nouvelle pièce majeure qui démarre comme une lettre à Olivier FEJOZ, compagnon des débuts, quand MENDELSON n'était qu'un duo dont le leader ne savait pas encore jouer de la guitare. Porté par une instrumentation apaisée et jazzy, ce touchant et sobre aurevoir prend pourtant à nouveau l'auditeur aux tripes. Les années MENDLESON vont défiler à vitesse grand V pendant ces douze minutes, sans oublier de rendre un très bel hommage à Leonard COHEN (déjà évoqué dans Algérie) et son Famous blue raincoat, garanti 100% sans mannequin ou chanteuse branchouilles.
- - - - - - - - - - - - - - - - « Allez salut Olivier... » - - - - - - - - - - - - - - - -
Vers la fin du morceau, le temps semble suspendre son envol, quand Pascal BOUAZIZ énumère ses compagnons de route (musiciens, labels, tourneurs...). Comme pour mieux souligner l'instant solennel, le groupe s'arrête de jouer, ne laissant survivre que de discrètes cymbales. On pense alors que MENDELSON a prévu de s'offrir une fin digne du final des Sopranos, mais dans un dernier revirement, le groupe repart de plus belle et remet ce magnifique piano au centre des débats. On voudrait presque que BOUAZIZ énumère également le nom des « vingt cinq personnes dans le café » (j'ai cependant toujours vu le groupe faire salle comble), pour faire durer le plaisir. Mais le leader de MENDELSON n'en consulte pas moins fébrilement son chronomètre : « Dans quelques secondes ce sera terminé (…) cette histoire s'autodétruira dans 45 secondes ». L'ultime moment de MENDELSON arrive et propose une épitaphe digne et apaisée : « Allez salut Olivier, je suis bienheureux quand même (…), finalement tu sais ça n'est pas si désagréable, de mourir un peu ». Rideau.
Repose en paix MENDELSON, et merci pour tout.
Eric F.
(11 décembre 2021)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
MENDELSON. Le dernier album (Ici, d'Ailleurs, 2021)
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Pour prolonger...
MENDELSON : Bandcamp
MENDELSON : site web
Ici, d'Ailleurs : site web
MENDELSON : Scanner en concert à L'Archipel, Paris (12/12/2009)
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #754 (08/12/2021)
Dans nos archives écrites :
Ça n'est pas une façon de se dire au revoir,
interview de Pascal BOUAZIZ par Éric F. (14/01/222)
Bing ! Bang ! Pow ! #5 // BRUIT NOIR par bingO (05/02/2019)
BRUIT NOIR II/III par Nicolas GOUGNOT (02/04/2019)
Ce que je retiens de 2021 par bingO
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Photographies : Emmanuel BACQUET, bingO, DR.
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