Dans son livre French New Wave : 1978-1988, une jeunesse moderne, l'artiste-journaliste Jean-Emmanuel DELUXE rend un touchant hommage polyphonique à l'une des plus belles périodes de la musique moderne en France.
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Regarde un peu la France - - - - - - -
Au fil des pages, Jean-Emmanuel DELUXE donne beaucoup de lui-même. Sa madeleine n’est pas Proustienne, plutôt Darcienne, puisque c’est aux auto-tamponneuses installées à côté de son école primaire qu’il entend pour la première fois Cherchez le garçon par TAXI GIRL. Marqué à vie. Au fer rouge comme il dit. Quarante et un ans plus tard, il décide de publier une somme sur la richesse et la créativité des artistes français de la période 1978-1988. Mais plutôt qu’égrener anecdotes et souvenirs personnels, l’auteur, en grand professionnel, avec pudeur et beaucoup d'humilité, a préféré laisser la parole aux autres protagonistes de l’époque - amis, artistes, journalistes, témoins - pour évoquer et rendre hommage à la French New Wave, à la jeunesse moderne, qu’elle fut musicale, graphique ou esthétique.
D’emblée (et il y reviendra aussi en conclusion), Jean-Emmanuel DELUXE annonce qu’il n’a jamais visé l’exhaustivité. Ses parti-pris forts assumés (oui, INDOCHINE ! ) ne feront parfois pas oublier les absents (MIKADO, WC3 où êtes-vous ? ) ; toutefois, puristes (voire intégristes), novices et curieux pourront alors toutes et tous se délecter de ces 256 pages, à l’iconographie superbe (photographies, reproductions d’affiches, de tickets de concerts, extraits de bandes dessinées, coupures de presse), en premier lieu sous couverture du plus grand dessinateur de bande dessinée au monde, Serge CLERC.
Le travail de recherche est impressionnant et la production finale soignée. Parfois digressifs, les propos récoltés assemblés brossent de savoureux portraits d’artistes : ELLI & JACNO, MARQUIS DE SADE, TAXI GIRL, KAS PRODUCT, RITA MITSOUKO, MATHÉMATIQUES MODERNES, JAD WIO, Jean NEPLIN, Ramuntcho MATTA, Patrick VIDAL, la grande sœur LIO, le grand frère DAHO, l’intouchable BASHUNG (qui, oui, a eu sa période Novo ! ), ainsi que des groupes plus underground (SUICIDE ROMEO, MODERN GUY, GUERRE FROIDE), pour ne pas dire cultes (X-RAY POP, ARTEFACT). Mention spéciale au coup de projecteur sur les filles de la niou waïve hexagonale (MARIE-FRANCE, Edwige BELMORE, Lizzy MERCIER-DESCLOUX...).
Jean-Emmanuel DELUXE saluera aussi le travail de valeureux labels, plus ou moins confidentiels (Celluloid, Reflexes, Sordide Sentimental, L’invitation au suicide - oui, on a connu plus enjoué). L'évocation de fêtes branchées (sic !), de lieux de concerts (Le Rose-Bonbon) et/ou de nightclubbing (Palace, Bains Douches) permet de bien appréhender cette période où dandys pop, avant-gardistes et novö dilletantes croyaient au futur, romantique et synthétique.
Bien plus qu’une nécessité, la rencontre avec Jean-Emmanuel DELUXE était une évidence.
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E N T R E T I E N F L E U V E //// E N T R E T I E N F L E U V E
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- - - - - - - - Photographies de J-E. D (c) Jean-Marie GIBON - - - - - - -
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1 / G e n è s e
"Le papier coûte cher désormais"
L’idée de faire un livre sur cette période devait vous trotter en tête depuis un bon moment. Quel déclic a permis sa réalisation ?
Comme souvent dans la vie, pour qu’un rêve ou un projet se réalise il convient de faire de bonnes rencontres. Ce fut le cas avec Amélie RETORE et Rodolphe LACHAT avec leurs éditions et leur collection Fantask. Je leur suis infiniment reconnaissant d’avoir cru en moi et j’espère ne pas les décevoir.
Le résultat est impressionnant. Comment avez-vous procédé en amont ?
Il y a eu l’apport de mes archives avant leur incendie et celui de La Fanzinothèque [de Poitiers, NDLR]. Ensuite, l’idée était de construire une vision personnelle et non exhaustive. Réussir à faire ressortir une époque en creux par le biais de la pop culture. Yves ADRIEN - ou plutôt son fantôme - m’écrivait que le thème réel de mon ouvrage était la disparition. Un monde perdu que l’on invoque via des documents, des photos et des interviews. Tout ce qui peut permettre de faire germer de nouvelles pousses modernes mérite la fondation de ce Corpus-Christi.
Certains intervenants sont passionnants car rarement - voire jamais - convoqués pour évoquer la période (Patrick CHEVALOT, Hervé ZENOUDA, Ramuntcho MATTA, Johan ASHERTON, Louis-Philippe AUCLAIR). Comment et pourquoi les avoir choisis ? Avez-vous rencontré des résistances ou même essuyé des refus ?
C’est assez simple. À la base, d'un côté on dispose d’un carnet d’adresses, de l’autre on fait appel à sa mémoire. Puis le livre se construit avec une part d’imprévus – je ne crois pas au hasard mais plutôt au destin. Il y a eu des refus et des oublis. Mais au final, je pense que l’architecture du livre tient debout, avec la figure d’Yves ADRIEN en filigrane. Ramuntcho est un grand artiste à (re)découvrir du reste !
Alors que vous avez traversé cette période, plutôt que d’avoir une approche autocentrée, vous avez préféré laisser la parole aux autres témoins. Pourquoi cette optique (à rapprocher de la démarche de Legs McNEIL et Gilliam McCAIN. Please, kill me. Grove press, 1996. Éditions Allia, 2006) ?
Même en faisant parler les autres – quelque part, on parle aussi de soi –, il y a une influence romantique dans ce livre. Once Upon a Time in France (et en Belgique aussi). Une génération sacrifiée. Une tentative de voie parallèle qui va se heurter à la récupération Jack Langienne, au business as usual et à l’affreuse vague alterno keupon-camembert.
Vous mentionnez les deux premières compilations Des jeunes gens mödernes (Born Bad, 2008 et 2015) ; l'exposition originelle (2008) et le film (2011) sont cités par certains interviewés. Le livre catalogue de l'exposition (Naive, 2008), tout comme la troisième compilation (sortie en 2020, sur Kwaidan Records, le label de Marc COLLIN, co-fondateur de NOUVELLE VAGUE (sic)) ne sont en revanche jamais évoqués. Est-ce un choix de ne pas en avoir parlé ? Comment avez-vous fait pour vous détacher de cette somme protéiforme lors de l’écriture ?
Il s’agit uniquement d’une question d’espace. J’eusse aimé un pavé de 700 pages mais le papier coûte cher désormais. J’aime beaucoup les gens que tu cites. Qu’ils acceptent ici mes plus plates excuses [un second volume s'impose, NDLR].
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2 / S i n g u l a r i t é s p l u r i e l l e s
"Une dernière vague avant la fin du monde"
Pour la plupart des artistes de la French New Wave, selon eux, tout commençait sur les cendres du punk, à l’exception des trois premiers album du VELVET UNDERGROUND. Comment ont-ils pu et su s’affranchir de l'after punk et de la new wave britannique ainsi que de ce qui se passait à New York (No wave) ou en Allemagne pour créer des œuvres singulières et surtout personnelles ?
Je pense que l’arrogance de la jeunesse permet de soulever des montagnes. Claude ARTO est un héros trop oublié de cette période… je pense également à Edwige. Sinon à LIO, à GUERRE FROIDE. Certains sont restés underground, il y avait le même besoin vital de bouger les lignes. Après le punk qui avait fait table rase de tout, l’idée était de trouver du Növo, n’est il pas ?! Certains allèrent du côté du Velvet, comme MARIE ET LES GARÇONS et d’autres avec JACNO, LIO ou DAHO, via Arnold TURBOUST, furent les premiers à puiser avec culture et discernement dans l’histoire de la pop. Le yéyé était encore en mode ersatz. Des artistes comme Pierre et Gilles, LIO et Mona SOYOC ont vraiment inventé une French touch que même les britanniques nous envient. N’oublions pas les STINKY TOYS en couverture du Melody Maker !
Les artistes que vous abordez dans ce livre sont tous différents. Chacun a produit des chansons, des disques qui ne ressemblent en rien à ceux des autres. Au-delà de leurs influences, qu’avaient-ils en commun pour que l’on puisse a posteriori les mettre sous une même bannière ?
Comme je vous l’expliquais plus haut – reconstruire après la déconstruction de Mai 68 qui perdura jusqu’à mai 81 et continue aujourd’hui sous divers avatars de pseudo transgressifs woke subventionnés. Là, c’était le real stuff ! Djemila KHELFA ce n’est pas Camelia JORDANA !
En évoquant plusieurs vagues dans votre livre, le titre French New Waves eut peut-être été plus approprié...
Disons que toutes les petites vagues annonçaient une grande – telle une Autobhan qui roule vers Dusseldhorf. Ralf et Florian avaient bien été amants de Djemila ! Je pense surtout à une dernière vague avant la fin de monde. Le dernier à quitter le XXIème siècle sera prié d’éteindre la lumière.
La particularité de certains groupes (et artistes solitaires) était d’avoir un pied dans l’underground (influences, mode de vie, attitude) et l’autre dans le grand public (ventes conséquentes, clips à gros budget, TOP 50, médiatisation télévisuelle, matraquage radiophonique). Comment arrivaient-ils à concilier cela ?
L’underground – on l’a vu ensuite avec l’alterno de sinistre mémoire – n’est pas obligatoirement mieux que le mainstream. L’important est d’être overground. Le pire dans l’histoire fut, pour certains, une certaine auto-caricature. Mais bien souvent, la cause en est médiatique et vis-à-vis des fans. On ne peut pas empêcher un mouvement ouvert de finir par devenir une sorte de code fermé. Auquel cas il convient de partir ailleurs.
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3/ M o d e r n i t é s / M o n d a n i t é s
"Être dissident de soi-même"
Jusqu’à présent, le concept des jeunes gens modernes était cantonné à la période 1978-1983, le rock alternatif prenant ensuite le relais. Pourquoi avoir décidé d’aller au-delà ?
Il y eut certes le rock alterno qui en province déboula vraiment à la fin des années 80. J’habite en territoire - comme disent ceux qui ont fait Science-po - et à Rouen, il y avait un certain décalage horaire sur la rive gauche. La rive droite étant plus anglophile. Même si des activistes comme Jean-Pierre TURMEL [fondateur du label Sordide Sentimental, NDLR] étaient davantage vénérés à San Francisco que dans la ville d’Emma BOVARY.
Pouvez-vous alors nous en dire plus sur vous pendant cette période ? Comment l'avez-vous vécue ? Sans le savoir, à cette époque, étiez-vous un jeune modern guy de province ? Regardiez-vous avec envie les concerts et soirées parisiennes relatés dans la presse (cf. rubrique Frenchy but chic dans Rock&Folk ; Actuel) ?
En 1980, j’avais 10 ans. Mes deux premiers chocs furent LIO via Banana Split et L’Aventurier d’INDOCHINE. Puis ce fut la découverte de KILLING JOKE via le 45 tours Love Like Blood. Je me souviens l’avoir emmené à ma prof d’anglais en 5ème qui avait voulu en vérifier les paroles avant son cours car le groupe de Jaz COLEMAN avait tout cassé à Rouen quand ils étaient venus jouer à l’Exo 7, ce qui m’avait fichtrement séduit ! Plus généralement, je n’intellectualisais pas trop les choses, mais dès 84-85 je m’étais fabriqué mon propre univers esthétique et mental à base du Laid beau dans Métal Hurlant du groupe Jalons, Yves CHALAND et quelques autres… Mais atrocement élitiste vers 87, je ne lisais plus que le NME, le Melody Maker et les fanzines anglais et américains que j’arrivais à dénicher par La Poste. En gros, je trouvais la presse française en retard d’un train. Mes héros s’appelaient Jean-Pierre DIONNET [NDLR : faut-il le présenter ? ], Jean-Pierre TURMEL et Patrick McGOOHAN [The Prisoner, NDLR]. Puis vers 88, j’ai connu des épiphanies avec les clips de Pierre et Gilles pour Helena NOGUERRA, TESS (Arnold TURBOUST à la composition) et Marc ALMOND (avec la grande MARIE FRANCE). Sans oublier la pub de la sardine avec Fifi CHACHNIL et MIKADO, Bazooka et les aventures de Z Craignos par Jean ROUZAUD.
Que signifiait être moderne en France entre 1978 et 1988 ?
Connaître Yves ADRIEN. Préférer la nourriture hyophilisée à celle du terroir, les aires d’autoroutes, les cafétérias aux petits bistros sympas. Le skaï au cuir véritable ! Surtout être dissident de soit même. Un dernier baroud d’honneur sur la queue de la comète des trente glorieuses.
Fallait-il nécessairement associer jeunesse et modernité ?
Une jeunesse d’esprit reliée à l’arrogance, le tout avec une certaine classe -oui ! -, mais surtout pas le jeunisme ! Il s’agissait davantage d’une arrogance et du rejet du zeitgest militant post 68 huitard. Jeunesse du regard plutôt que de l’ADN.
N'étions-nous pas en plein rétrofuturisme ?
Yves ADRIEN / Orphan / Le Fantôme comprit avant tout le monde que le futur se jouait à cette jonction, entre les années septantes et 80. Rip & up and start again comme disait l'autre [cf. Simon REYNOLDS, NDLR] . Il y avait une idée du futur. Le futur antérieur - puisqu'il est impossible de partir de zéro. On crée toujours en reprenant des éléments du passé. Il y avait du moderniste faussement rétro à la FRANQUIN quand il dessinait Modeste et Pompon (il faut revoir la déco de l'intérieur de chez Modeste), dans ELLI & JACNO, du Barbarella chez LIO (et DURAN DURAN, mais eux ne sont pas français) et aussi le futurisme avec des véhicules rouillées dans ARTEFACT. Un futur rouillé plus proche du Blade Runner de Ridley SCOTT que du Star Trek kitsch des sixties. Donc un futur qui passait de l'Atomium de l'exposition universelle de 58 à Bruxelles (encore un trip ligne claire - CHALAND et CLERC ne sont pas loin), pour finir sur l'exposition des réalités à la Philip K DICK. Et ce n'est pas fini... On espère que des héros & héroïnes de l'époque Növo viendront nous pousser vers un futur radieux si ce n'est radioactif. Wait and see. Les héros du peuple sont immortels.
Le concept de jeunes gens modernes créé par Patrick ZERBIB et publié par Jean-Francois BIZOT fut mal compris par certains (des artistes passaient pour des réacs). Quel regard portez-vous Actuel-lement sur ce papier ?
Je pense que ce n’était déjà plus la meilleure période d’Actuel et il n’y a rien de pire que des ex hippies Mao et troskards qui tentent de rester dans le coup. Un peu comme une très vielle dame qui irait s’habiller chez Jennyfer.
S’il ne fallait garder qu’un artiste/groupe pour représenter cette période, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?
MATHÉMATIQUES MODERNES, parce que Claude ARTO, même dans la dèche, restait un prince.
Page 60, évoquant le fait que MARQUIS DE SADE continue sans Philippe PASCAL, vous laissez le choix au lecteur-auditeur de savoir si c’est une bonne idée. Quel est votre avis sur la question ?
Vous voulez vraiment que j’augmente le nombre de mes ennemis ? ! Disons prudemment que l’on imagine mal les DOORS sans Jim MORRISON ou QUEEN sans Freddie MERCURY. Par ailleurs, je trouve dommage qu’actuellement les acteurs du game oblitèrent totalement la période MARC SEBERG de Philippe PASCAL qui est, selon moi, sa plus intéressante. Et que de fait, encore une fois ici, Pascale Le BERRE, une femme se fasse oublier. Too many dicks on the dancefloor.
Contrairement au mouvement alternatif (1983-1989), le fanzinat est peu associé à la French New Wave (vous en citez toutefois, p. 176-178). Les publications étaient avant tout chics (en adéquation aux soirées mondaines et parisiennes ? ), imprimées sur papier glacé (pour bien coller à l’esprit cold ? ). Même constat en ce qui concerne les radios (radios libres pour l’underground ; radios périphériques puis de groupes privés pour la nouvelle vague). Était-ce, selon vous, parce que la nouvelle vague avait un pied (voire deux) dans l’establishement médiatique ?
Je pense que c’est plus complexe que cela. L’idée était de ne surtout pas produire des fanzines misérabilistes et prêcheurs comme le furent ceux de l’époque alterno. Mais n’oublions pas la revue Façade surtout à ses débuts avec au casting Djemila KHELFA ainsi que Pierre et Gilles. Puis plus tardivement L'Équerre qui publia de bien belles pages d’Yves ADRIEN jamais rééditées depuis.
Vous consacrez un chapitre spécial aux filles. Pourquoi ne pas avoir inclus leurs portraits dans les parties consacrées aux autres artistes ?
Contrairement à certaines personnes, je pense que quand on naît avec un vagin et un utérus on va devoir se battre deux fois plus et donc, qu'être une femme c’est plus dur. Il y a alors parfois besoin de rééquilibrer l’Histoire qui sinon tend vite à gommer les êtres et les évènements. Par exemple, si on ne parle pas d’Edwige, on risque de l’oublier.
Malgré freins et ambiguïtés, les liens entre French New Wave et mouvements féministes passés sont abordés. La nouvelle vague française avait-elle déjà posé les bases des revendications féministes actuelles ?
Mai 68, le MLF, le FHAR et les Gazolines ont permis une certaine reprise d’autonomie. Le terrain avait été préparé. Siouxie, Debbie HARRY, Nina HAGEN et d’autres constituaient de beaux modèles pour les frenchies de l’époque. Ça aide. LIO était déjà au parfum… Djemila, Edwige, Agathe ne s’en laissaient pas compter. Je pense qu’elles proposent des inspirations pour les jeunes artistes femmes d’aujourd’hui.
Des artistes ont connu de longues et souvent difficiles périodes de creux, n’étant pas soutenus par leurs maisons de disques, ni par le public et encore moins par la presse. D’aucuns, morts, ont désormais pu accéder au statut d’icônes, sont devenus des idoles posthumes, des Martyrs pop. Étaient-ils trop modernes pour l'époque ? Quel regard portez-vous sur cela ?
Je pense qu’une carrière qui ne connait pas de dents de scies est douteuse. Comme me confiait JACNO sur une figure du PAF toujours en activité, « lui, il a dû tellement lécher de culs qu’il doit être couvert d’aphtes ». Vous remarquerez que la réhabilitation de certains artistes de french new wave allant jusqu’à l’exhumation de grands oubliés tels que MARTIN DUPONT et TROP TARD est venue des États-Unis. Je pense qu’en France, il y a toujours eu de grands talents, mais le pays élevé aux véritables variétés verdâtres comme le chantait Nino FERRER a jusqu’à aujourd’hui été un frein aux vrais talents. Même des grands artistes comme DAFT PUNK ont vraiment pu décoller grâce aux anglo-saxons. Sans MADONNA, peut être que MIRWAIS serait au RSA.
Mode, graphisme, bande dessinée, médias… cette période ne fut pas seulement riche musicalement. Serge CLERC représente-t-il le mieux esthétiquement cette période ?
Je recommande toute l’œuvre de Serge CLERC, notamment son journal des années Métal Hurlant édité par Denoël, sans oublier sa quasi intégrale chez Dupuis. Serge a également largement influencé Dan CLOWES, illustré les CRAMPS et la presse britannique. Franchement, il mériterait d’être davantage célébré dans le monde de la BD et de l’art tout court [OH OUI !, NDLR]. Il a le détachement, la culture et l’élégance. Il est le lien entre Spirou et Elvis COSTELLO.
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4/ R a y o n n e m e n t e t a b s e n c e s
Certains groupes et artistes actuels mentionnés dans le livre se réclament ouvertement de cette période. Pensez-vous que toutes et tous soient des héritier(e)s légitimes ou sentez-vous l’imposture ou l’opportunisme toc chez quelques un(e)s ?
Le lecteur tatillon s’étonnera d’ailleurs de ne pas voir les noms de Dominique A et KATERINE, pourtant très influencés par cette période. Était-ce volontaire ?
KATERINE est cité, mais pas assez, je vous l’accorde. Dominique A… Oui, j’aurais dû le citer. Un oubli idiot. En ce qui concerne les héritiers, je préfère parler des artistes que j’aime tels The ROMEO SEXTAPES, Alexia GREDY, L’IMPÉRATRICE (liste non exhaustive) que les moins bons…
Désormais vénérés (et réédités) pour certains au Japon ou aux USA, les artistes français de cette Nouvelle Vague ont-ils rayonné au-delà de l’Hexagone à l’époque ? Ont-ils pu avoir une influence sur des groupes étrangers (actuels ou non) ?
À la fin des 70’s, peu furent les français à pouvoir traverser La Manche. Il y eut les STINKY TOYS en couverture du Melody Maker quand même, sans oublier METAL URBAIN, une des premières signatures du génial label Rough Trade. Plus tard, un peu les RITA MITSOUKO. LIO fut par contre vraiment Big in Japan et son disque avec les SPARKS aurait dû cartonner s’il n’avait pas été victime de politique de maisons de disques. Mais non, il aura vraiment fallu attendre quatre décennies pour que ce paradigme change.
L’exhaustivité étant impossible, vous n'avez bien évidemment pas pu aborder ni mentionner tout le monde. Toutefois, le fait que certains artistes manquent à l’appel questionne. Cités au détour d'une conversation, était-ce volontaire de laisser de côté WC3 (trop trash cold ? ) ou, surtout, MIKADO ? Il me semble que Pascale BOREL et CZERKINSKY auraient mérité un portrait.
Pascale BOREL ne souhaitait vraiment pas parler du passé et CZERKINSKY étant CZERKINSKY… J’ai préféré éluder le sujet.
À vous entendre, les guerres de clocher au sein de la French New Wave semblent alors ne pas avoir totalement disparu...
Non, non, je ne balancerai pas… Mais oui, il subsiste des inimitiés, comme dans toutes les familles. Sinon, pour élever le débat, je trouve dommage que, par snobisme, certains n’aient pas davantage souligné le rôle d’IINDOCHINE. C’est grâce à eux que des collégiens et lycéens échappèrent à Jean-Jacques GOLDMAN ou RENAUD et découvrirent The CURE puis WIRE.
En 1979 paraît le deuxième album de STARSHOOTER (groupe également cité indirectement). Au-delà d’un possible opportunisme du groupe (cf. production et codes esthétiques de la superbe pochette - mise en forme par le génial Etienne ROBIAL), dans la chanson La nouvelle vague, KENT a une vision plutôt ironique du mouvement, tant dans le texte que dans l’interprétation. Comment expliquer le fait que l’approche de la plupart des groupes de cette période était rarement (voire jamais) dans le second degré ?
Absolument. Sur ce coup-là, les STARSHOOTER font office d’histrions. En France, les mouvements venus des pays anglo-saxons furent souvent à l’origine traités par un mépris rigolard. Ce fut le cas avec Boris VIAN pour le rock, le rap et la new wave avec Les INCONNUS. J’en oublie… Alors, in-fine, le premier degré des jeunes gens de l’époque a quelque chose de l’ordre de la chevalerie et du moine soldat parfaitement remarquable. N’oublions pas Jérome BRAQUE, au décalage certain et à l’humour feutré. Gloire au Yopland !
Contrairement au rock alternatif, thématiques et questions politiques (arrivée de la gauche au pouvoir ; cohabitation houleuse et musclée ; émergence du FN) et sociétales (SIDA, racisme, libéralisme débridé) étaient rarement abordées, à l’exception d’une possible apocalypse nucléaire en acmé de la guerre froide (un groupe se nomme d’ailleurs GUERRE FROIDE). Selon toi, quelles étaient les raisons ? Nihilisme snob ? Fausse pudeur ? Insouciance volontaire ? Autres ?
Tout le monde n’a pas le talent du POP GROUP ou de SPK. Très vite on peut rentrer dans l’insupportable militantisme à la CRASSS [sic] ou Merduriers Noirs [sic]. Je pense qu’on peut aborder l’époque en creux, sans avoir à sortir des tracts chantés. Souvent, la croyance en une idéologie rend les gens stupides. Il faut relire NovöVision, il y a tout dans ce livre, qui - en fin de compte - représente l’album de post punk français le plus fort du monde… Mais sa forme de papier a empêché à certains de comprendre qu’il pouvait se classer entre le meilleur de YOUNG MARBLE GIANTS ou de PÈRE UBU.
À l'instar du supergroupe GYP (p. 133), avez-vous eu vent d'autres projets avortés, de disques inachevés, de St Grââl oubliés et perdus qui auraient pu s’ajouter à la liste des chefs-d’œuvre cités en discographie ?
LIO a enregistré un album latino excellent encore resté inédit. Mais de pure New Wave, je ne sais pas. Par contre je sais que Jérome BRAQUE et Ramuntcho MATTA sont deux génies qui ont encore beaucoup de pépites à faire exhumer !
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5/ R e c u l
À cette époque, la modernité musicale associait synthétiseurs, boîtes à rythmes et pédales d’effets (au choix ou en combinaisons : reverb, chorus, delay, flanger…) sur guitares ligne claire (peu de distorsion notable). À la réécoute, selon vous, certaines productions demeurent-elles encore modernes ?
Il y a les très bons - comme Claude ARTO - qui inventaient du nouveau et, bien sûr, comme toujours – et de toutes les époques - les suiveurs.
Avec le recul et notamment lors de la réalisation de ce livre, avez-vous pu réévaluer à la hausse certains albums ou groupes ou connaître des déceptions ?
J’ai réhabilité dans mon esprit INDOCHINE et MARC SEBERG, redécouvert LIZZY MERCIER DESCLOUX et j’espère avoir donné envie aux gens de se pencher sur les carrières bien plus complexes qu'il n’y paraît de LIO, MATHÉMATIQUES MODERNES, MARTIN DUPONT et tant d’autres. Par contre, je ne comprends pas la hype autour de TROP TARD qui me semble vraiment être de la Cold plus caricaturale que Les INCONNUS.
Quelles œuvres demeurent intemporelles et fondatrices ?
MATHÉMATIQUES MODERNES, A+ B = C. Ramuntcho MATTA, via Elli - Toi, mon toit.
LIO : Amoureux Solitaires. Etienne DAHO et Arnold TURBOUST : Tombé pour la France.
MODERN GUY : Electrique Sylvie. JACNO : Rectangle, Les Nuits de la pleine lune.
INDOCHINE : L’aventurier. Il y en a beaucoup.
Quand vous pensez à cette période, êtes-vous gagné par la mélancolie ? Comment arriver à tenir à distance la nostalgie ?
Je ne suis pas nostalgique de cette époque car je suis né en 1970. Donc j’ai connu à mon tout petit niveau la réalité des 80’s qui n’avaient rien de cool. En général, la créativité d’une époque se situe aux marges et j’irais même dire dans un certain élitisme assumé. Je serais plutôt nostalgique d’un fantasme des sixties qui n’a jamais existé que dans l’esprit de certaines bornes créatrices.
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6/ Ét e r n e l l e m o d e r n i t é
En restant dans le domaine artistique, que signifie être moderne en 2021 ? Quelles différences avec les 80’s ?
Prétendre que « c’était mieux avant » est une erreur. Aujourd’hui, pour peu que l’on fasse preuve de curiosité, tout est disponible. Être moderne aujourd’hui serait d’agir localement tout en étant en connexion globale. Parfois, la France me paraît très centrée sur son nombril, culturellement. J’adore l’idée de pouvoir visionner un film incunable japonais sur The Criterion Channel, tout en commandant à un micro éditeur mexicain un bouquin rare. Être moderne en 2021, c’est refuser les toilettes sèches et les meubles en palettes. Plus sérieusement, l’avancée des technologies rend l’accès à la création de musiques électroniques bien plus facile. Je sens aujourd’hui que nombreux sont ceux qui se contentent de reproduire des formules. Alors que la modernité consiste justement à briser les formules pour en apporter des nouvelles. L’art se doit d’être moderne et surtout pas contemporain.
Faut-il encore associer jeunesse et modernité ?
Jeunesse au sens vitalité mais pas obligatoirement âge génétique. Age is just a number ! The future was yesterday ! Ce n’est pas de moi, mais je reprends ces deux slogans avec allégresse.
Ne serions nous pas actuellement en plein postmodernisme ?
C’est même encore pire, on est au-delà du post-post post mod. Il en faut du courage et de l’acharnement pour retrouver de la fraîcheur. Mais il y en a !
L’époque est au Forever young. Quel regard portez-vous sur les personnes souhaitant demeurer jeunes, éternellement ?
Je trouve ça assez pathétique. Mieux vaut être un vieil homme chic à la William BURROUGHS en costume que de finir chauve en catogan et veste en jeans sur une trottinette dans le Paris de l’Homo festivus post HIDALGO.
Article et propos recueillis par bingO
(09 novembre 2021)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Jean-Emmanuel DELUXE.
French New Wave : 1978-1988, une jeunesse moderne (Fantask, 2021)
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Pour prolonger...
Editions FANTASK : site web
Yves ADRIEN. NovöVision (Les Humanoïdes Associés, 1980 ; réédition Denoël, 2002)
Martyrs Of Pop : site web
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #729 (30/03/2021)
Dans nos archives écrites :
French Pop Satori par bingO (10/09/2021)
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Photographies : (c) Jean-Marie GIBON, Actuel, bingO, Fantask, DR.
Illustrations : Serge - God !!! - CLERC
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Modern Guys éternels
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