Chris BROKAW, l’infatigable

Interview (2022)
C h r i s      B R O K A W     e s t      u n e      l é g e n d e     
d u      r o c k      i n d é p e n d a n t      a m é r i c a i n .   
L  e      r  e  n  c  o  n  t  r  e  r     é  t  a  i  t      v  i  t  a  l .

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     Avant son concert lyonnais du 23 février 2022 sur la péniche la plus rock de toute la ville (Le Sonic), Chris BROKAW nous a accordé quarante-cinq minutes pour évoquer sa longue et foisonnante carrière s’étendant de CODEINE aux LEMONHEADS, en passant par CONSONANT et TWO DOLLAR GUITAR, pour ne citer que quelques noms dans une liste longue comme l'annuaire. Sans oublier une carrière solo dont son Puritan de 2021 est une des plus belles œuvres. Une année qui l'aura également vu briller avec le nouvel album des MARTHA'S VINEYARD FERRIES, trio réunissant Bob WESTON (SHELLAC) et Elisha WEISNER (KAHOOTS), et des rééditions en pagaille pour son légendaire groupe COME. Cette interview aura malheureusement également été l'occasion d'évoquer la tragique disparition de Mark LANEGAN, survenue la veille.

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E N T R E T I E N     ////     E N T R E T I E N     ////     E N T R E T I E N 
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"La musique de COME n'a pas évoluée.
Nous sommes restés assez fidèles aux arrangements de l'époque"

Salut Chris, merci d'avoir accepté cette interview. J'imagine que tu as appris la disparition de Mark LANEGAN hier ?

Oui.

Tu l'avais déjà rencontré ?

Je ne l'avais pas revu depuis quelques années, mais oui, je le connaissais. Mark et moi étions amis.

As-tu été surpris par sa mort ou tu t'y attendais ?

On va dire que je ne m'y attendais pas. Il m'a dit que son covid avait été la pire chose qui lui soit arrivée. Pire que tous ses problèmes de drogues et autres. Il m'a dit qu'il n'avait jamais vécu quelque chose d'aussi douloureux. Dans un sens, vu le degré de sévérité, je ne suis pas surpris, mais je ne sais même pas de quoi il est mort. C'est peut être dû à des complications, tout ça reste encore très triste pour moi. On avait évoqué l'idée de faire de la musique ensemble et ça n'était pas encore arrivé. De façon purement égoïste, c'est très frustrant pour moi. C'était un mec super, un talent incroyable, un magnifique chanteur. C'est tellement triste.

Vous étiez apparus sur le même hommage à Jeffrey Lee PIERCE, non ?

Oui, j'avais collaboré avec Thalia ZEDEK pour ces sessions.

Justement, tu rejoues beaucoup avec Thalia ces derniers temps. Est-ce dû aux récentes ressorties de COME ou bien y a-t-il quelque chose qui te ramène toujours vers elle ?

Si on a beaucoup joué ensemble ces dernières années, je pense que c'est surtout parce que je suis revenu vivre à Boston. J'ai vécu quelques temps à New York, puis j'ai passé sept ans à Seattle et je suis revenu à Boston il y a cinq ans. Elle m'a demandé de jouer de la guitare sur des morceaux de son album Fighting season et je lui ai demandé de venir chanter sur mon album, Puritan. On a un peu tourné ensemble, et avec les rééditions de COME, on va le faire encore plus.

COME s'est déjà reformé à plusieurs reprises. Comment la musique du groupe a-t-elle évoluée ?

À vrai dire, je pense qu'elle n'a pas évoluée. Nous sommes restés assez fidèles aux arrangements de l'époque. Je pense qu'on les joue aussi bien qu'à l'époque. Ce qui a évolué, c'est notre appréciation l'un pour l'autre, en tant qu'amis et personnes. Mais tu sais, on n'a pas écrit de nouveaux morceaux, on essaye juste de respecter le catalogue.

Vous avez prévu de vous y mettre bientôt ?

À vrai dire, Thalia et moi avons travaillé ensemble sur des nouveaux morceaux il y a peu, mais je ne suis pas sûr que ça paraîtra sous le nom de COME, je ne sais pas si ça pourrait devenir un album du groupe. C'est dur à dire parce que quand on se retrouve, nous jouons avec Arthur (JOHNSON, batterie) et Sean (O'BRIEN, basse) qui faisaient partie du line-up original mais qui n'habitent plus à Boston. Sean est à New York et Arthur à Atlanta. La façon dont le groupe composait dépendait énormément de répétitions régulières. On répétait tous ensemble deux fois par semaine, et Thalia et moi nous voyions une fois par semaine en plus. Vu la façon dont nous composions, il semble qu'il y avait un processus assez lent qui impliquait que nous jouions beaucoup et souvent. Ça serait très difficile de recréer ça maintenant. J'ai du mal à m'imaginer composer de cette façon, mais je ne sais pas, on verra.

Ça n'est quand même pas plus facile de nos jours avec toutes les nouvelles technologies à disposition ?

Je ne sais pas, je pense quand même que... Je ne sais pas. Je vois peut-être ça de façon unilatérale. Je ne sais pas... on n'en a pas vraiment parlé ensemble. Je ne dirais pas que c'est improbable, mais nous n'avons rien de prévu pour le moment.

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"John PEEL était très timide avec les groupes"

C'est vous ou vos labels qui ont eu l'idée de ces rééditions ?

Ça vient de Fire Records. Ils m'ont contacté et j'ai fait suivre au groupe. On était très excités car notre catalogue est plutôt mort depuis un bail, on a pas mal de disques épuisés depuis longtemps. Notre séparation avec Matador ne s'est pas très bien passée, donc on était content d'avoir cette opportunité. Ils étaient très impliqués et encourageants. Jusqu'à présent, ça s'est fait très simplement. C'est génial qu'ils nous aient également demandé de sortir les Peel Sessions qu'on avait enregistrées. Ça faisait un sacré bail que je ne les avais pas écoutées. Je n'ai pas du tout aimé ce que ça avait donné et cette expérience à la BBC avait été plutôt désagréable.

Vraiment ?

L'ingé son sur place était un vrai connard... Et comme je viens de le dire, je n'étais pas convaincu par le résultat final. Je pense que Fire a réussi à le rendre un peu meilleur que nous à l'époque. Ils ont aussi engagé quelqu'un pour plus ou moins remastériser les enregistrements et il les a légèrement modifiés. Juste assez pour qu'ils sonnent meilleurs désormais.

Ils sont plus acceptables ?

Absolument ! Mais pas juste acceptables, plutôt “Oh, c'est génial”. Ça sort vendredi.

Oui, dans deux jours. Vous avez déjà reçu des critiques assez positives pour ce disque.

Oui, ça a l'air de plaire aux gens. C'est super !

J'ai lu que John PEEL n'était même pas présent pendant vos enregistrements ?

Non, on n'était pas au courant et on a été très déçus qu'il ne soit pas là. Apparemment il était très timide avec les groupes. Il n'assistait jamais aux enregistrements.

Vous n'avez donc même pas eu le privilège de le rencontrer.

Non. Enfin, c'était cool de le faire parce que la BBC est un endroit intéressant... C'est un énorme complexe. Énorme, mais aussi très vieux. Tout semblait avoir été construit en 1950 et ne plus avoir bougé d'un pouce. Même la cafétéria, ce genre d'endroits. Donc c'était assez intéressant de voir un tel lieu et les Peel Sessions sont quand même légendaires. C'est cool d'en faire partie.

Peux-tu nous en dire plus sur les deux albums qui doivent encore sortir ? Y aura-t-il des morceaux supplémentaires pour eux aussi ?

Je pense qu'il y en aura juste un peu. En fait, que ça soit pour Near life experience mais surtout Gently down the stream, on n'avait presque pas de restes. Il doit y avoir quelques faces B, un morceau sur une compilation à l'époque de Near life experience, mais il ne me semble pas qu'on avait quoi que ce soit pour Gently down the stream. Il y a un remix trip-hop un peu barré d'un des morceaux du disque, que j'avais fait avec l'ingé son. Le trip-hop marchait fort à l'époque et je me suis dit “Faisons un remix trip-hop à la con de ce morceau”. Je ne l'ai pas écouté depuis un bail mais je le trouvais marrant. Peut-être qu'on trouvera des bandes qu'on a oubliées, un enregistrement de concert ou des trucs du genre. On verra. Notre label aux Etats-Unis (Chunklet Industries) a récemment sorti un 45 tours avec deux reprises du GUN CLUB, tirées d'une session où on en avait enregistré cinq autres. J'en ai parlé avec Fire Records et ils sont très intéressés à l'idée de sortir le tout. Peut être que ça va finir par arriver.

Les dates de sortie sont déjà prévues ?

Les gens de Fire Records pensaient à sortir ça plus tard dans l'année 2022. Ils veulent sortir Near life experience et Gently down the stream en même temps. Eleven : eleven sortira en dernier. Matador et Glitterhouse détiennent les droits pour ce disque jusqu'en 2023.

Outre les rééditions de COME, on a eu l'impression que tu étais partout l'an dernier. Tu as, entre autres, sorti un album solo et un nouvel album avec The MARTHA'S VINEYARD FERRIES (avec Bob WESTON de SHELLAC et Elisha WIESNER de KAHOOTS). Comment avez-vous commencé à jouer ensemble?

Avec Bob et Elisha ? Et bien, c'est notre troisième disque ensemble, j'ai donc envie de dire qu'on joue ensemble depuis une grosse dizaine d'années. Peut-être un peu plus. Je connais Bob depuis que je fais de la musique et je connaissais déjà Elisha aussi. Il joue dans un groupe de Martha's Vineyard, il y vit d'ailleurs. Son groupe s'appelle KAHOOTS.

Ils existent toujours ?

Plus ou moins C'est un super groupe qui a sorti une douzaine d'albums. Que des morceaux courts, voire même très très courts. Je suis devenu amis avec eux et j'ai même joué de la batterie avec KAHOOTS sur quelques tournées. Quoi qu'il en soit, Bob et Elisha sont devenus amis, ils ont tous les deux des studios, donc ils geekaient pas mal ensemble. Ils sortaient des conneries du genre “Ce serait trop drôle si on montait un groupe qui s’appellerait The MARTHA'S VINEYARD FERRIES”. Ils ont dû blaguer là-dessus pendant quelques années avant de décider qu'ils allaient vraiment le faire. Ils se sont dit que BROKAW allait jouer de la batterie avec eux. Ils m'ont donc demandé et je leur ai répondu “Oui, bien sûr”. C'est quelque chose qu'on fait de manière assez sporadique et nous n'avons jamais beaucoup tourné. On voulait vraiment le faire pour le dernier album, mais la pandémie nous en a empêché. Maintenant on ne peut plus tourner avant que... En gros, Elisha a deux enfants très jeunes qui ne peuvent pas encore être vaccinés et il n'ira nulle part avant que la situation ne soit résolue. Mais c'est un groupe très fun. C'est génial d'être dans un groupe où tous ses membres composent.

C'est quelque chose qui m'a vraiment impressionné. Combien de temps vous a-t-il fallu pour l'enregistrer ? Comme tu l'as dit, vous composez tous, mais le résultat est extrêmement cohérent. On reconnait les compositeurs des morceaux avec la voix, mais il semble que vous ayez partagé des thèmes communs, comme ton Betty Ford James qui répond à Jail material par exemple.

Oh, merci. J'ai écrit Betty Ford James en premier et puis ils se sont mis à écrire plein de morceaux avec “jail material” dedans. Ils trouvaient très drôle cette phrase “I'm not jail material”, donc on s'est dit qu'on allait peut-être faire un album entier de chansons avec “I'm not jail material” dans les paroles. On déconnait là-dessus ensemble. En gros, dès qu'on fait un disque, chacun doit arriver avec des chansons. Ça a encore été le cas cette fois-ci. On y a passé un peu plus de temps que d'habitude. J'ai écrit une chanson en studio, je crois que Bob aussi. Donc on a écrit plusieurs chansons sur le moment. Et elles font toutes partie des choses que je préfère le plus sur le disque. Il y a eu beaucoup de spontanéité.

Le disque sonne pourtant très accompli.

C'est parce qu'on a passé un temps dingue à le terminer.

Ça se tient. Pourquoi y a-t-il deux fois Jail material sur le disque ? Je ne sais même pas s'il s'agit de deux versions différentes.

On s'est dit que ça serait amusant. Tout le monde a aimé le morceau, mais il est tellement court, il fait à peine une minute. Des fois, quand on le joue et qu'on arrive à la fin, on se dit “Allez, encore une fois ! ” et on le rejoue. C'était donc un peu dans cet esprit. On a demandé à des amis si ils trouvaient ça débile, mais ils ont tous répondu que c'était une bonne idée. C'est la même version sur les deux.

Peux-tu nous raconter comment est né ce clip incroyable ?

Oh, mec. Je crois que Bob connaissait le type qui a fait la vidéo. Il lui a envoyé quelques chansons, ou peut-être qu'il ne lui a envoyé que celle-là. En gros il lui a demandé “Peux-tu nous faire une vidéo d'une minute pour trois cent dollars ? ”. C'est un bon clip. C'est un bon clip de rock. Le mec m'a écrit pour me dire “OK, j'ai une idée : il y a ce mec qui se ballade dans la rue, suivi par la caméra. Les gens interagissent avec lui dans la rue. Il marche, s'arrête, se tourne vers la caméra, la regarde, il se met à danser et ensuite sa tête explose”. Je me suis dit “Waouh, c'est complètement dingue”. Je l'ai interrogé sur son cheminement et il m'a répondu “Et bien, ce mec est complètement submergé et il pense aux paroles, il y a toutes ces pensées dans sa tête. Il est tellement submergé que sa tête finit par exploser”. J'ai trouvé ça fantastique. Il a filmé ça ensuite et je me suis dit “Ce putain de clip est incroyable ! ”.

Ça n'est pas la première fois que tu écrivais un morceau très court et efficace. Je pense à On a great lake par exemple.

Oui, c'est vrai.

C'est quoi le secret ? Comme beaucoup, j'ai trouvé Betty Ford James beaucoup trop court parce qu'il est super prenant alors qu'il finit à peine après avoir commencé. C'est à la fois génial et frustrant !

Je ne sais pas. Enfin si, pour On a great lake, je l'ai écrit en acrostiche (Black water) et il s'est trouvé qu'il ne dure qu'une minute dix. J'ai passé tellement d'années à écouter du hardcore, des morceaux d'une minute ou de quarante cinq secondes. Ça me semble OK de faire des choses comme ça.

C'est aussi quelque chose d'assez différent.

Exactement. Tu peux facilement voir si ça frustre les gens live. Certains disent “Quoi ? C'est tout ? ”. "Ben oui, c'est tout ! C'est le morceau complet. C'est tout. Je peux le rejouer si tu veux. Mais c'est tout ce qu'il y a".

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"Même le monde de la gauche devenait également très puritain"

Puritan est ton premier album de chansons après une série de disques instrumentaux et expérimentaux. Qu'est ce qui t'a ramené à composer des morceaux plus classiques ?

Je pense qu'il m'a fallu pas mal de temps avant d'avoir des choses que j'avais envie de dire. Il y a eu toute cette période où je faisais une musique plus abstraite. Je me suis mis à la noise et j'ai fait des choses dans cet esprit, comme avec Periscope twins. Et puis j'ai vécu un divorce assez difficile. J'ai l'impression que trois albums instrumentaux sont nés de cette période : The hand that wrote this letter, l'album de CHARNEL GROUND (supergroupe réunissant BROKAW, KID MILLIONS de ONEIDA et James McNEW de YO LA TENGO) et End of the night. Je pense que ces disques essayaient tous d'exprimer quelque chose que je ne pouvais pas formuler avec des mots. Je n'avais pas envie de verbaliser ces sentiments. Je voulais juste jouer de la musique pour dire ce que j'avais à dire. J'ai fait tout ça et je me suis remis à écrire des chansons. Ça faisait longtemps que je cherchais à exprimer quelques choses, mais pas verbalement.

Est-ce que le nom de ton disque, Puritan, est une réaction aux différents conflits politiques récents aux Etats-Unis et à la division de plus en plus marquée de la société ?

Oui, c'est vrai que le pays est plus divisé que jamais. Je suis clairement un démocrate situé à l'aile gauche, mais il m'a semblé que même le monde de la gauche devenait également très puritain. J'ai eu le sentiment que l’environnement à l'époque où je faisais le disque était très centré sur le jugement. Je ne parle pas que de MeToo qui a atteint son apogée à cette période. Je suis pour le fait que les gens soient tenus responsables de leurs actions, mais c'était quand même très compliqué. Sans même s'attarder sur ce problème spécifique, il y avait une ambiance très catégorique. Je voulais y faire référence dans le titre, mais s'il s'appelle comme ça, c'est aussi parce que le disque évoque mon retour en Nouvelle Angleterre, qui est à la base l'endroit d'où viennent les premiers puritains. J'ai trouvé ça assez amusant.

Tu es d'accord si je te dis que c'est ton album le plus varié à ce jour ?

Ok. Oui, bien sûr.

Il y a des morceaux longs et agressifs, contrebalancés par des chansons beaucoup plus tendres...

Enfin je pense que Gambler's ecstasy est similaire, il y a le même mélange de morceaux dessus. Je ne suis pas forcément le meilleur placé pour en juger. Quoi qu'il en soit, ça me fait plaisir de t'entendre dire ça car j'aime les albums variés.

The heart of human trafficking est très impressionnant. Je me suis demandé si le morceau n'avait pas été influencé par ta collaboration avec Thurston MOORE ?

Je trouve qu'il y a d'autres morceaux que j'ai faits qui ont pu être influencés par Thurston. Mais je ne me disais pas... Je ne serais pas catégorique là dessus. Pour ce qui est de la durée du morceau, il faisait quatorze minutes à la base. Je me suis dit que ça allait faire trop, ce qui est amusant parce que des gens me disent qu'ils aimeraient que le morceau soit deux fois plus long. “Argh, non, vous finirez par vous en lasser ! ”. Quand on a commencé à le jouer, on le faisait sur scène avant d'enregistrer le disque. J'ai pensé qu'il fallait le raccourcir et le rendre plus concis. Juste un tout petit peu plus. Tu sais, je pense que le morceau aurait pu évoluer dans bon nombre de directions. Je n'étais pas sûr d'avoir pris la meilleure décision. C'est fun, mais je suis un peu surpris que les gens réagissent autant sur ce morceau. Je l'ai envoyé à Gerard (COLSOY) qui sort mes disques et j'ai une très grande confiance dans ses opinions. Il m'a dit direct “Peut-on le sortir comme le premier single de l'album s'il te plait ? ” donc j'ai dit “OK”. Les gens aiment beaucoup ce morceau, c'est super.

Tu parlais de Periscope twins tout à l'heure. Comment es-tu passé de Periscope kids, ce morceau expérimental à cette chanson très rock sur Puritan ?

J'ai écrit Periscope kids, celle qui est sur Puritan, en premier. C'était il y a quelques temps déjà. J'ai du l'écrire en 2014 et j'ai ensuite enregistré l'autre Periscope kids plus tard dans l'année. Je devais avoir la même chose en tête, je pensais à des gens que je connais. C'était là aussi une de ces fois où j'essayais d'envoyer un message que j'étais incapable de faire avec des mots.

Ces deux versions sont donc complémentaires ?

Je pense que c'est le cas, oui. Cela évoque des gens qui se cachent.

Thalia apparait sur le disque. Mais il y a deux autres chanteuses. Peux-tu nous en dire plus sur elles car je n'ai quasi rien trouvé en ligne ?

D'accord. Il y a donc mon amie Claudia BROOM qui chante sur I'm the only one for you. C'est une chanteuse de Seattle. Elle jouait avec JUNED dans les années 90, ils ont sorti des albums chez Up! Records. COME les a rencontrés pendant qu'on tournait ensemble en première partie de DINOSAUR JR. pendant un mois. On est donc devenus amis et vingt cinq ans plus tard, je me retrouve à Seattle avec Claudia comme voisine. On s'est mis à jouer ensemble et elle m'a mis en relation avec quelqu'un qui voulait utiliser ma musique pour un film, donc je me suis mis à composer de la musique de film et il m'a dit “Tu devrais écrire un morceau à la Twin Peaks, presque comme un morceau de Julee CRUISE”. Donc j'ai écrit I'm the only one for you, une chanson très romantique et traditionnelle, marquée 50s. Je l'ai chantée avec Claudia pour le film, une version 4 pistes très lofi. Ça m'a tellement plu que j'ai décidé de la jouer sur Puritan également. Et puis il y a Tricia ADLEMANN qui chante sur I can't sleep. Je l'ai rencontrée quand je suis revenu à Boston. Elle est de la famille de ma copine et joue dans un groupe country, OPOSSUM. C'est une des chanteuses du groupe. Je me suis mis à beaucoup jammer avec eux et c'est une très bonne chanteuse. Je me suis dit que ça serait cool si elle chantait sur ce morceau. Je ne crois pas qu'elle était déjà apparue sur un disque avant ça.

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"Je ne pense pas qu'être le leader de mon groupe soit ce que je préfère"

Depuis la sortie de l'album, tu as essayé de le jouer sur scène aussi souvent que possible. Tu joues à la fois en solo et avec ton groupe. Ca n'est pas un peu frustrant de se retrouver à jouer des chansons comme Puritan ou Periscope kids tout seul?

Le groupe me manque beaucoup. C'est très fun de jouer avec ces mecs, Dave CARLSON (basse) et Peter KOEPLIN (batterie). Je joue seul depuis tellement de temps que j'ai fini par m'y habituer. Tu sais, c'est la même chose avec les morceaux de Gambler's ecstasy ou Incredible love, quand je les joue seul sur scène. Je pense que, du moins j'espère... Quand je vais voir quelqu'un qui joue seul sur scène, je trouve ça très puissant. De voir quelqu'un monter sur scène et de tout donner. J'espère que les gens vivent mes concerts de la même façon.

Je ne vais pas essayer de lister tous les groupes dans lesquels tu as joué...

Oh, tant mieux !

D'ailleurs, sais-tu avec combien de groupes tu as joué ?

Non, je n'en ai aucune idée.

Tu as joué avec des artistes aussi divers que Geoff FARINA (KARATE) et GG ALLIN. Comment fais-tu pour t'adapter à ces profils très différents ?

Je m'intéresse à plein de genres musicaux différents. Ce que j'aime écouter et jouer évolue avec le temps. À l'époque où je jouais avec GG ALLIN, c'est ce qui me semblait être le plus sensé. C'était quelque chose que j'avais envie de faire. Ça n'avait aucun sens pour tous les gens que je connaissais. Ma copine, mes amis, tout le monde était choqué et me disait “C'est vraiment pas cool ! ” mais j'étais dans une phase très conflictuelle de mon existence avec le punk rock... Après, avec Geoff, c'est un label hardcore du Midwest qui nous a demandé de faire un split album. Je lui ai dit “Et si on essayait plutôt de jouer ensemble ? ” et il est venu chez moi. Je n'avais aucune idée de ce qu'on allait bien pouvoir faire. J'avais un coffret de BLIND BLAKE que Geoff a vu dès qu'il est rentré chez moi. Il m'a demandé si j'écoutais ça, j'ai répondu “Oui” et il a ajouté “C'est tout ce que je joue ces derniers temps”. On s'est dit qu'on allait donc faire ça. On s'est assis et on a joué ces morceaux. Le second album qu'on a fait se concentre sur une époque un peu moins vieille. On a joué un morceau du GUN CLUB, un des STONES, une chanson de Woody GUTHRIE, des trucs du genre. Ça ne me pose aucun problème de faire ça et de me trouver derrière la batterie avec les MARTHA'S VINEYARD FERRIES la semaine d'après. Ce sont deux choses que j'apprécie. Et si la semaine qui suit j'ai envie d'aller faire des concerts de noise improvisée... Je ne sais pas trop quoi répondre, j'aime écouter beaucoup de choses différentes. Si je peux aussi les jouer, je ne vais pas m'en priver.

Je me doute que ça ne va pas donner grand chose, mais je me devais de te poser cette question : as-tu des nouvelles des frères KADANE (BEDHEAD / The NEW YEAR) ?

Non, aucune. Ils sont peut être en train de faire de la musique en ce moment mais je ne leur ai pas parlé depuis le début de la pandémie. J'ai mangé à Dallas avec Bubba un moins avant et je n'ai pas eu de contact avec eux depuis. Je n'ai donc aucune idée de ce qu'ils font.

Peux-tu nous parler de l'enregistrement de Snow ? Le line-up était plus réduit que d'habitude.

Oui, Snow est très différent du reste de la discographie de THE NEW YEAR. Comme pour les précédents, nous avons enregistré les pistes chez Steve ALBINI, puis les frangins les ont prises avec eux et les ont retravaillées pendant des années. Matt, qui est un excellent batteur, a refait certaines de... Quand j'ai écouté le disque pour la première fois, j'ai cru que je n'apparaissais que sur un seul morceau. Et je pense que c'est effectivement le cas. Je crois qu'il a refait toutes mes prises de batterie, à part pour un morceau. C'est pourquoi Snow est encore plus un disque des frères KADANE que d'habitude. J'y ai peut-être un peu contribué avec mon jeu de batterie sur les albums précédents.

Tu n'as pas été impliqué dans la composition ? Je te demande ça parce que la fin de Homebody ressemble très fortement à un morceau de Chris BROKAW. Ça m'a rendu dingue parce que j'étais sûr que j'avais déjà entendu la mélodie vocale dans un de tes morceaux sans jamais réussir à le retrouver.

Non, ce sont leurs chansons à eux. Mais, je veux dire, on est tous potes... donc je ne sais pas. Quand j'ai fait écouter le premier disque de The NEW YEAR à ma mère et qu'elle a entendu MATT, après une minute, elle m'a dit “Il chante comme toi ! ”, et en écoutant attentivement, je me suis dit “C'est vrai, ça me ressemble”. Mais je n'y avais jamais fait attention avant qu'elle ne fasse la remarque. Mais non, je n'ai rien écrit pour ce disque.

Comment vis-tu tes expériences en tant que leader d'un groupe et celles où tu joues pour d'autres artistes ?

Quand tu joues dans de nombreux groupes, tu dois trouver ton rôle, ta place dans chacun. Il faut que tu trouves ce qui est approprié sur le moment. Mais très souvent, tu n'as pas besoin de t'en soucier car tout se met en place facilement. Mais c'est très fun quand tout le monde créé ensemble. C'est chouette aussi quand tu es là pour aider quelqu'un à réaliser sa vision. Mais c'est très dur pour les nerfs quand il s'agit de ton projet et que tout le monde est là pour jouer tes morceaux. Ou tu sais, quand tu as une idée très précise de ce que tu veux et quand les autres n'y arrivent pas, tu te dis “Aaaaargh !”. J'aime beaucoup jouer avec mon groupe, mais je ne pense pas qu'en être le leader soit ce que je préfère faire. Mais toutes ces expériences me plaisent.

Tu as des idées spécifiques quand tu recrutes un batteur ?

Juste en prendre des bons ! En général je vais voir un groupe et en voyant le batteur je me dis “Ce putain de batteur est très bon ! J'adorerais jouer avec lui !”. Ça s'est passé comme ça avec Pete KOEPLIN pour Puritan.

Il joue dans quel groupe ?

Il est dans KAHOOTS et joue aussi avec DROP NINETEENS. Ils ont sorti des albums dans les années 90 et je crois qu'ils sont en train d'en enregistrer un nouveau. Je me suis juste dit que c'est un merveilleux batteur. Quand je suis revenu sur Boston, je l'ai contacté immédiatement. Je lui ai demandé si il voulait qu'on joue mes morceaux ensemble. Pendant pas mal de temps, on répétait juste tous les deux. Puis il a ramené le bassiste, Dave CARLSON et on a passé pas mal de temps à jouer ensemble. Donc je ne cherche que des batteurs excitants.

Comme je disais tout à l'heure, tu t'es remis à tourner après avoir été assigné à résidence par la pandémie. Qu'est ce qui a le plus changé ?

Oui, tout a changé. Je pense qu'on restera toujours dans un entre-deux tant que tout ça ne sera pas terminé. Je ne vais pas rentrer dans la salle sans avoir mis mon masque. Je ne l'enlèverai qu'avant de chanter. Si je choppe le covid, je ne peux même pas quitter le pays. Je passe de très bons moments mais il vaudrait mieux que j'ai un putain de test négatif dimanche prochain sinon je serai foutu. Donc oui, tout est différent désormais. Et ça serait génial que les choses reviennent à la normale. Notre période a changé de façon tellement exponentielle, particulièrement ces six derniers mois, que je n'ai aucune idée de quand ça va pouvoir se faire.

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standup_blue_brokaw_500.jpg, by Bingo

"Du fromage, de la charcuterie et des plats cuisinés.
Ça suffit amplement à mon bonheur"

Ton retour sur la route te permet de te remettre à poster des photos de tes repas sur les réseaux sociaux. Je dois dire que ça a très souvent l'air délicieux. Quels sont tes meilleurs souvenirs culinaires en tournée ?

Oula... il y en a tellement. Je dirais ce repas que j'avais fait au Portugal il y a quelques années... C'était dans un tout petit endroit où ils faisaient tout eux-même, leur propres saucisses, du fromage, des fruits, des compotes... Il y avait une tonne de chose qu'ils faisaient eux-même sur place. C'était incroyable. C'était un de mes repas préférés de toute ma vie. Mais j'adore tout ce qui vient de la mer et j'ai mangé une raie délicieuse l'autre jour au Havre. La meilleure raie que j'ai jamais mangée. J'adore les bbq au Texas. Je suis toujours très heureux de me rendre là-bas juste pour ça. Je suis allé plusieurs fois à la Nouvelle Orléans cette année pour répéter. Toute la nourriture qui vient de là-bas est géniale. L'Italie a des choses délicieuses aussi, je viens juste d'y jouer.

Et la France ?

Comme je te disais, ces raies l'autre jour. J'adore aller à la fromagerie, manger toutes sortes de charcuterie. Et vous avez les meilleurs croissants au monde pour un euro ! C'est incroyable. Ça va te paraître un peu simpliste, mais juste du fromage, de la charcuterie et des plats cuisinés. Ça suffit amplement à mon bonheur. Je pense à plusieurs repas sur Paris qui étaient mémorables. Et j'ai bien hâte de voir ce qui m'attend ce soir.

C'est marrant, Thalia va jouer ici deux fois dans les semaines qui viennent et vous reviendrez avec COME en octobre, qu'est ce qui se passe avec Le Sonic ?

Je sais, c'est dingue ! Je viens de voir tout ça sur le tableau à l'entrée. J'ai eu l'impression qu'on avait déménagé ici.

Comme une résidence secondaire ?

Carrément ! Notre nouveau club-maison. Ça n'était pas vraiment délibéré mais je suppose que ça fait désormais partie de nos clubs où on joue à domicile.

Merci beaucoup, Chris !

Merci.
 

Article et propos recueillis par Eric F.

(26 avril 2022)

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chbrokawpuritan.jpg, by Bingo
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Chris BROKAW. Puritan (12XU, 2021)
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Pour prolonger...

Chris BROKAW : Bandcamp
Chris BROKAW : site web officiel
Chris BROKAW / 12XU

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Dans nos archives écrites :
En marge // Underground - Rockers maudits & grandes prêtresses du son,
                    par bingO (01/03/22)
Quick wisdom from a cool stakhanovist,
                    cette interview en version anglaise (29/04/22)
20 shades of Chris BROKAW,
                   par Eric F. (06/05/22)


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Illustrations : Laurent CALVIN
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