#82 - MIXTAPE - CITY OF EXILES

          
     Depuis l'Auvergne, CITY OF EXILES concocte des disques qui auraient pu voir le jour en Amérique du Nord.
Sur leur troisième et excellent album sorti en 2024, Sleeper hunter, compositions originales au romantisme sombre et chaleur vocale de Guillaume LEBOUIS mettent en valeur poétesses et écrivains anglo-saxons (Emily BRONTË, E.E. CUMMINGS, Emily DICKINSON). 

Pour cet été 2024, le chanteur nous a fait une sélection sans faute de goût.
Grand merci et au plaisir de voir CITY OF EXILES sur scène !

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XXXXXXXXX Guillaume LEBOUIS & Matthieu FOREST XXXXXXXXXX

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Shannon WRIGHT. With closed eyed

     Over the sun (Quaterstick Records / Vicious Circle, 2004)
Il y a vingt ans à l'occasion de la sortie de l'album Over the sun, j'ai eu la chance de rencontrer Shannon WRIGHT, pour réaliser une petite interview que j'avais diffusé lors d'une soirée consacrée au label Vicious Circle que j'organisais à L'Agora, une salle de musiques actuelles du Havre. Le musicien rouennais Yann LAFOSSE (MY NORTH EYE) avait eu la gentillesse de m'aider à préparer les questions. J'étais très fébrile et inquiet à l'idée de rencontrer cette artiste, que je continue à admirer. Shannon, qui était en train d'enregistrer un album avec Yann TIERSEN, logeait à Paris dans une chambre de bonne qu'on lui prêtait. Elle avait été d'une gentillesse extrême, malgré la piètre qualité de mon entretien. Ses réponses sont profondément ancrées dans ma mémoire. Je me souviens qu'elle ne vivait pas de sa musique et qu'elle était obligée d'avoir un boulot salarié ; l'idée même de l'intermittence étant complètement farfelue et abscons aux Etats-Unis. Ses tournées européennes marathon sans aucun day-off, étaient en quelque sorte ses vacances musicales.Je l'ai revue quelques années plus tard dans cette même salle de L'Agora qui avait été rebaptisée Le Cabaret Electric. C'était le 6 octobre 2009, le club était presque vide, mais cela reste encore aujourd'hui un souvenir très marquant. J'étais avec mon ami David FONTAINE qui enregistre et joue sur les disques de CITY OF EXILES. On avait passé une formidable soirée dont on reparle encore souvent. Shannon WRIGHT est une artiste d'une intensité et d'une puissance inouïes. C'est une sorte de modèle à côté duquel on se sent minuscule. Sa musique mêle intransigeance artistique, rugosité et fragilité. Je l'adore.
 

Buddy GUY. Baby please don't leave me

     Sweet tea (Silvertone Records, 2001)
Pendant quelques années, j'ai animé une émission de radio entièrement consacrée au blues en compagnie de Matthieu LECHEVALIER, actuel directeur de Ouest Track Radio (Le Havre) et de Paul-Eric LETELLIER, auteur de polars et chanteur du groupe MELCOVE. C'était un peu un challenge car j'étais totalement novice, aussi bien en tant qu'animateur radio, qu'en blues - style pour lequel je n'y connaissais absolument rien. Le but était donc pour moi double : découvrir ce style que j'ai fini par adorer et réussir à en parler, à force d'écoutes et de lectures. L'émission s'appelait Jungle Blues. Les premiers numéros étaient catastrophiques, mais on a fini par trouver un rythme. On essayait de s'éloigner du blues patrimonial en passant des artistes contemporains issus de labels indépendants comme Fat Possom ou Alive Records.
La découverte de l'album Sweet tea de Buddy GUY dans lequel il reprend T-MODEL FORD ou Junior KIMBROUGH fut une véritable révélation. Je prends plaisir à le faire écouter aux artistes ou amateurs de musique qui sont de passage à la maison. Cela égratigne un peu l'image du Buddy GUY guitar hero et ami de CLAPTON. Cette expérience radio a connu un prolongement avec le booking d'artistes que j'ai découvert grâce à l'émission comme MIRACULOUS MULE, Gemma RAY ou encore LONESOME SHACK. Je pense être quelqu'un de rigoureux, ce qui peut parfois être handicapant quand on se lance dans un projet musical : la peur de mal faire peut devenir bloquante ou aboutir à des consensus mous. Cette émission m'a fait prendre conscience que la création se nourrit de tout ce que l'on est, faiblesses et instants de doutes ou même moments ridicules inclus.
 

Mark LANEGAN & Duke GARWOOD. My shadow life

     With animals (Heavenly, 2018)
With animals est sans doute mon album préféré de ces cinq dernières années. J'ai eu la chance de faire jouer Duke GARWOOD à Meymac - mon village - en août 2023. Avec ma compagne, nous l'avons accueilli pendant quelques jours. Il était avec Paul MAY, son batteur, qui est un phénomène et dont le jeu se situe entre ceux de John DENSMORE et de Bernard PURDIE. Ce sont des musiciens d'une rare intensité. J'ai timidement lancé Duke sur l'enregistrement de l'album With animals et la chanson My shadow life en particulier. Duke m'a confié qu'il avait réalisé l'intégralité du titre et que Mark LANEGAN avait posé sa superbe ligne de chant dessus. Aujourd'hui encore, j’avoue que je ne parviens pas à me faire à la mort de Mark LANEGAN. La lecture de son autobiographie m'a vraiment bouleversé. Quelle vie atroce. C'était pour moi un immense songwriter et un interprète d'une rare profondeur. Il nous reste ses albums et le souvenir de ses concerts. Un artiste magnifique.
 

Fiona APPLE. Sally's song

     OST Nightmare before Christmas - Special Edition (Walt Disney Records, 2006)
J'ai découvert Fiona APPLE avec Tidal, son premier album. J'errais dans un centre culturel d'une grande chaîne de magasin - à l'époque où vendre des CD était très rentable - quand je suis tombé sur un point écoute consacré à Tidal. Fiona APPLE était alors une très jeune fille et je ne m'attendais pas à cette voix. C'est pour moi une très grande compositrice et j'aime l'ensemble de ses disques. J’ai cependant choisi, pour cette mixtape, sa reprise de Sally's song, issue d'une édition spéciale de la BO du film L'étrange Noël de Mr Jack. Cette version met vraiment en valeur ses qualités d'interprète. J'avais le secret espoir qu'elle collabore un jour avec Mark LANEGAN. Quel album merveilleux cela aurait pu donner. Espérons que l'IA ne s'en chargera pas.
 

BLACK REBEL MOTOR CYCLE CLUB. Ain't no easy way

     Howl (Echo / Abstract Dragon, 2005)
Howl, tout comme la carrière de BRMC en général, forment à mes yeux une véritable énigme. Comment les critiques rock ont-ils pu passer à côté de cet album ? Pour ma part j'ai déjà poncé plusieurs exemplaires de ce disque. À mes yeux, Howl est un classique que j'ai bien plus écouté que Harvest, Nebraska et Pink moon réunis. Ce disque n'a sans doute pas bénéficié d'un storytelling suffisant pour intéresser la presse spécialisée de l'époque. C'est mon disque référence des années 2000. Un ovni de grâce, de musicalité et de songwriting. L'utilisation de l'harmonica sur Howl devrait être disséqué dans les magazines de rock. BRMC possède pourtant tous les attributs du groupe culte. Des musiciens exceptionnels et charismatiques au service de chansons géniales. Pour le mix de Dead in Hollywood, le deuxième album de CITY OF EXILES, nous avons eu la chance de travailler avec Peter HAYES qui a fait un travail incroyable sur le disque. Il a été d'une gentillesse extrême tout au long des échanges qu'il a pu avoir avec Mathieu PIGNÉ, notre batteur. C'est un immense artiste.
 

Alex MAAS. What would I tell your mother

     Luca (Basin Rock, 2020)
Quand nous avons fini les prises de Sleeper hunter, troisième album de CITY OF EXILES, s'est posée la question du mixage. Que faire après Peter HAYES ? C'est Mathieu PIGNÉ qui a eu l'idée de chercher «le mec derrière le premier album solo de Alex MAAS ». J'ai fait quelques recherches et je suis rapidement venu à échanger par mail avec Brett ORRISON, le fameux mec derrière l'album Luca. En plus d'être talentueux, Brett est quelqu'un de très charmant. Naïvement, je ne connaissais rien de sa carrière. Heureusement car son portrait sur Discogs a de quoi donner le vertige. J'adore ce qu'il a fait sur Sleeper hunter. Il a réussi à trouver le truc très vite. C'est la magie de la musique, on écoute tranquillement chez soi l'album merveilleux de Alex MAAS et quelques mois plus tard on confie ses propres chansons à l'homme qui a produit les sons qui nous ont émerveillés.
 

Paul McCARTNEY. Dear boy

     Ram (Apple Records, 1971)
J'ai longtemps été un grand fan de Paul McCARTNEY. Je l'ai toujours défendu coûte que coûte, même dans ses moments les plus compliqués, que ce soit ses nombreux errements musicaux (Pipes of peace, Press to play, Off the ground), ses pêchés vestimentaires (coupe mulet, sandalettes, teintures) et ses souvenirs récités de façon mécanique (Scrambled eggs - Yesterday).  À dire vrai, je n'écoute plus du tout les BEATLES depuis des années, mis à part Plastic Ono Band, le premier album solo de John LENNON. Mais je dois admettre que si j'en suis dorénavant détaché, cette musique fait partie de mon ADN. Pendant une période de mon adolescence, je pouvais écouter un même titre des BEATLES plusieurs fois à la suite de façon totalement frénétique. Je me souviens avoir passé Dear boy une trentaine de fois sur mon poste CD sans m'en lasser. Ce souvenir est à la fois touchant et pathétique comme peut l'être l'adolescence ou la monomanie musicale.
 

Elvis PRESLEY. A little less conversation

     Almost in love (RCA, 1970)
J'ai commencé à écouter Elvis il y a une dizaine d'années. Pendant longtemps, je pensais à tort, comme le résumait bêtement LENNON, que ses meilleurs enregistrements étaient sa période Sun. J'ai aujourd'hui une sorte de fascination pour toute son oeuvre, mais aussi pour le personnage. L'interprète est gigantesque toutes périodes confondues.
Pour cette sélection, j'ai hésité avec des morceaux des années 70, mais j'ai finalement choisi A Little less conversation, qui date de 1968 et que l'on retrouve sur un budget album de 1970. Ce titre rock prouve que Elvis n'a jamais perdu sa flamme rock, même pendant ses années Hollywood. Il suffisait juste qu'il ait une bonne chanson à interpréter. A little less conversation est devenu un hit des décennies plus tard. L'un des quatre prénoms de mon fils est Elvis.
 

Nick CAVE & The BAD SEEDS. Jubilee Street

     Push the sky away (Bad Seed Ltd, 2013)
Je dois avouer que j'ai été trop longtemps hermétique aux disques de Nick CAVE. J'avais une sorte de répulsion à écouter ses albums. J'ai pourtant acheté Push the sky away dans un lot de type 4 CD pour 20 euros, sans doute un peu par dépit au moment de choisir le quatrième disque. Je ne me souviens plus quels étaient les trois autres, mais celui-ci a été une véritable révolution pour mes oreilles et dans ma conception de la musique en général. Qu'est-ce que j'ai été stupide toutes ces années. Jubilee Street est une chanson que je pourrais écouter des heures entières. C'est une leçon de songwriting, mais elle illustre surtout parfaitement le fait que le rock est avant tout une affaire de collectif.  À l'écoute, le titre dévoile tout un tas de failles car il résulte sans doute d'une improvisation. Cela s'entend particulièrement au moment du surprenant changement de tempo du batteur. Plus d'un producteur aurait demandé à refaire la prise. Pourtant, cela rend le morceau plus riche, plus majestueux, mais aussi plus inquiétant. C'est ce qui me bluffe le plus quand on travaille avec des anglo-saxons comme Peter HAYES ou Brett ORRISON. Ils ne sont pas là pour nettoyer nos imperfections, ils les envisagent comme faisant partie intégrante du morceau, comme des petits éclats d'argent qui magnifient l'ensemble du titre.
 

Sierra FERRELL. Dead or drunk

     Pretty magic spell (Opika, 2014)
J'ai trouvé le premier album de Early JAMES dans le bac à soldes de chez Gibert Joseph lors d'un séjour à Paris. Ses disques sont produits par Dan AUERBACH et sont distribués sur son label Easy Eye Sound qui recèle de très nombreuses pépites. J'ai découvert la voix de Sierra FERRELL sur le deuxième album de Early JAMES. J'ai fini par acheter plusieurs de ses albums. Sierra FERRELL est une interprète phénoménale.
 

Bob DYLAN. Black Rider

     Rough and rowdy way (Columbia, 2020)
Pour fêter les 80 ans de Bob DYLAN, j'ai participé à la préparation de plusieurs émissions qui avaient pour ambition de proposer un programme de 24 heures célébrant l'ensemble de sa carrière et diffusé sur Radio Vassivière (située à Royère-de-Vassivière, dans la Creuse), le jour de son anniversaire. Nous avions enregistré des lectures d'interviews et de discours de DYLAN, des phoners d'auteurs ayant écrit sur son oeuvre comme Michel EMBARECK qui évoque sa relation épistolaire avec Johnny CASH dans Bob Dylan ou le rôdeur de minuit (L'Archipel, 2018) ou Simon LAPERRIÈRE qui analyse ses relations avec le cinéma dans Series of dreams: Bob Dylan et le cinéma (Rouge Profond, 2018). C'était un énorme travail qui m'a permis de me replonger dans ses disques. J'ai tout réécouté, même les mauvais albums des années 80. Je réécoute encore régulièrement ses albums récents comme Rough and rowdy way, son tout dernier dont est extrait Black rider. Avec ma compagne, on a eu la chance de le voir sur scène lors de sa tournée européenne en juin 2023. J'ai trouvé son set splendide, hors du temps et sans un brin de cette nostalgie putassière qui encombre nos médias. Sa voix était magnifique et ses musiciens étaient concentrés et entièrement dévoués à sa musique. La scénographie était d'une grande sobriété : quatre gros projecteurs de cinéma posés au sol en guise de plan de feu, un grand rideau rouge en fond de scène, un piano au centre du plateau et les cinq musiciens placés en cercle autour de DYLAN. Le son du groupe était repris par deux énormes micros à bande situés devant la scène. On distinguait toutes les subtilités. Nous étions parfaitement placés, face au piano de Bob DYLAN. J'ai adoré. Une très forte émotion nous a saisi au moment du salut des musiciens. Je rêve encore souvent de ce merveilleux moment.
 

PORTISHEAD. The Rip

     Third (Island Records, 2008)
Je suis un grand fan de Beth GIBBONS. J'écoute encore beaucoup Out of season, son album solo. Les vidéos live de la période Third représentent pour moi le point culminant de la carrière de PORTISHEAD. The Rip est un morceau exceptionnel. Quelle voix merveilleuse.
 

Jean Louis MURAT. Le cafard

     Morituri (PIAS / Scarlett, 2016)
Je ne pouvais pas finir cette sélection sans proposer un titre de Jean-Louis MURAT. Tout comme Nick CAVE, j'ai longtemps refusé d'écouter ses disques. Et puis l'album Lilith est sorti et, dans la foulée, je l'ai vu en concert en trio à L'Agora du Havre. Quelle claque ! Ce type avait vu le feu, il n'y a pas de doute. En tout cas, il m'a montré un chemin. Quel putain d'artiste et quelle personnalité, si brillante et si dangereuse en interview. Un lynx à la peau d'homme, d'une beauté et d'une intelligence supérieures. Sa disparition est une perte énorme. J'ai eu la chance de programmer l'un de ses derniers concerts le 3 février 2023 au cinéma de Meymac. La salle était plus que pleine et il avait l'air très heureux. En coulisses il a été très drôle et très charmant, mais je n'ai pas osé le déranger. On a toujours peur de paraître un peu pathétique, lourdaud et engoncé quand on souhaite entrer en contact avec les artistes que l'on aime. On est angoissé à l'idée de bafouiller des banalités et casser le fragile équilibre - où s'affrontent excitation et sérénité - de ceux qui sont « juste-là » pour chanter et jouer pour nous. Le titre Le cafard figure sur l'album Morituri. C'est un disque qui compte beaucoup à la maison.

 

Guillaume LEBOUIS / CITY OF EXILES

(08 juillet 2024)
 

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CITY OF EXILES. Sleeper hunter (Nocturama, 2024)
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Pour prolonger...

CITY OF EXILES : Bandcamp

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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #852 (22/05/2024)
Rock à la Casbah #798 (18/01/2023)
Rock à la Casbah #731 (14/04/2021)

Dans nos archives écrites :
City of refuge, chronique de l'album Dead in Hollywood, par bingO (17/01/2023)
Au pied du mur, interview de CITY OF EXILES, par bingO (04/05/2021)
Ce que je retiens de 2021par bingO


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Photographies : Carolyn CARO et Arman MÉLIÈS
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