TROPICAL FUCK STORM : Fairy bad trip

Chronique (2025)
          Quelques mois après la sortie d'Inflatable graveyard, un live incendiaire enregistré à Chicago, les Australiens de TROPICAL FUCK STORM reviennent avec leur quatrième album, un Fairyland codex qui marque leur débuts sur le label anglais Fire Records.

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          Épaulé à la production par Michael BEACH (à qui Gareth LIDDIARD et Fiona KISTCHIN ont renvoyé l'ascenseur sur le très réussi Big black plume), TROPICAL FUCK STORM démarre les hostilités comme à son habitude, soit sur les chapeaux de roue. Habité et menaçant, cet Irukandji syndrome porté par la basse monolithique et vénéneuse de Fiona KITSCHIN ne fait pas de prisonniers. Et pour cause : Gareth LIDDIARD y raconte les mésaventures d'un matelot confronté à une irukandji (une méduse australienne à la piqûre potentiellement mortelle) géante, prête à détruire tout ce qui osera croiser sa route. Comme un lointain écho au Shark fin blues des DRONES, le propos nous rappelle que la nature n'est absolument pas prête à se laisser martyriser par l'être humain sans réagir. On pourrait donc s'attendre à ce que s'enchaine toute une ribambelle de considérations acerbes sur l'état du monde. Ça sera bien évidemment le cas, mais via un prisme beaucoup moins politique et plus contenu que d'habitude, malgré quelques piques saillantes.

Peut-être est-ce le syndrome de la page blanche traversé par Gareth LIDDIARD pendant la conception du précédent Deep states ou bien le cancer du sein vaincu par sa compagne de bassiste, toujours est-il que notre homme s'est essayé à une écriture beaucoup plus personnelle, voir même avec une tendresse on ne peut plus inhabituelle. C'est indéniablement le cas sur la superbe ballade Stepping on a rake, déclaration d'amour quelque peu nihiliste (“If you go, if you stay, I don't mind either way... you can be mean, you can be kind, you see it's OK, 'cause I don't really mind”), aux guitares pour une fois bien disciplinées. Débarrassé des envolées vocales rageuses de son leader, le groupe brille de mille feux dans un registre où on ne l'attendait pourtant pas.

Ce ne sera pas la seule surprise offerte par ce Fairyland codex décidément très ambitieux, mais aussi plus réfléchi. En fin de parcours, l'étonnant Joe Meek will inherit the earth avec le piano électrique de Michael BEACH et des paroles faisant référence au Livre de la Révélation mériterait presque de voir le groupe rebaptisé TROPICAL DUB STORM. Un rappel, s'il était bien nécessaire, que les quatre Australiens ne sont pas vraiment du genre à écouter du MOTÖRHEAD à fond toute la journée... Ce qui pourrait d'ailleurs expliquer pourquoi Gareth LIDDIARD a déclaré avoir énormément écouté SADE pendant l'enregistrement du disque, sans qu'on sache vraiment s'il était sérieux pour autant [On ne rigole pas avec SADE, NDLR]. On saluera quoi qu'il en soit cette tentative d'ouvrir encore plus largement l'horizon du disque, même si le morceau est au final quelque peu dispensable et diminue un peu la bonne tenue de l'ensemble.
 
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Si la face B de Fairyland codex est effectivement plus en dessous que sa première partie (malgré le radical Moscovium en conclusion), c'est surtout parce que celle-ci avait placé la barre extrêmement haut avec un impressionnant sans-faute. Et ce en grande partie grâce à un Fairyland codex qui donne donc son nom au disque et marque le grand début des guitares acoustiques sur un album studio du groupe. Probablement satisfait de la mini session unplugged de leur film-concert Goody goody gumdrops, TROPICAL FUCK STORM a décidé de sauter le pas, accompagné par Michael BEACH au synthé et le guitariste d'AUGIE MARCH, Adam DONOVAN à la pedal steel. Celui-ci devient un habitué après ses prestations remarquées sur Goody goody gumdrops et la superbe reprise du Heaven des TALKING HEADS.
Mais tout cela ne nous avait pas pour autant préparé pour cette intense virée en montagnes russes qui nous en font voir de toutes les couleurs, malgré une introduction on ne peut plus docile, contrastant avec les paroles de Gareth LIDDIARD ("A village in hell is waiting for you"). Passé une démonstration de leads acoustiques convaincante, le groupe lance un sprint en faux départ avant de rehausser progressivement les curseurs qui nous mènent à un climax où les chœurs de Fiona KISTCHIN et Erica DUNN se révèlent foutrement jouissifs, soutenant un Gareth LIDDIARD qui maîtrise parfaitement sa sortie de route ("And when it gets too hard, we'll sail by the stars with a pickaxe and a coat of arms, we'll drive at full speed until the signal becomes weak"). Il faudra bien que le groupe termine la chanson comme il l'a commencée, de la plus douce des manières, histoire qu'on se remette de nos émotions. Il y aura quand même de quoi sortir complètement lessivé de cette chanson implacable et hors normes.

On avait juste auparavant eu droit à une des meilleures compositions d'Erica DUNN pour le groupe, avec Teeth marché. Loin des morceaux de la pile électrique australienne dans ses projets MOD CON et PALM SPRINGS, on oserait presque apposer le qualificatif de joyeux à cette chanson tranquillement groovy qui se passe remarquablement de distorsion tout en contenant du mieux qu'elle peut les tentatives de débordements alambiqués du groupe. La guitariste confirme son statut d'alter ego de Gareth LIDDIARD en assurant également la composition et les parties vocales lead de Bloodsport et d'un joliment apaisé Bye bye snake eyes, lui aussi livré en acoustique. “I don't know what song you're singing, but I've heard it before” y chante-t-elle. On ne lui renverra pas ce (faux) compliment tant elle nous impressionne toujours plus par sa versatilité.

Avec toutes ces nouvelles pistes, TROPICAL FUCK STORM n'a pourtant pas oublié en route le plaisir qu'il prend à passer son rock dans une moulinette arty dadaïste menant droit vers un dancefloor toujours aussi bancal et poisseux. C'est parfois un peu crispant (ce Dunning Kruger's loser cruiser qui met du temps avant d'accepter de se faire apprivoiser), mais souvent très réjouissant aussi, comme sur un Goon show où la section rythmique se taille la part du lion alors que Gareth LIDDIARD nous livre une nouvelle observation radicale et sans appel dont il a le secret : “It's the golden age of assholes and the triumph of disgrace”. Mais pas question pour autant de se laisser abattre tant on sent la give a fuck fatigue du précédent Deep states bien loin dans le rétroviseur, échangée contre une schizophrénie latente, qui sied comme un gant au quatuor : "I feel good for no bad reason, I feel bad for no good reason."

La pochette du disque signée Joe BECKER, qui renvoie à celle de A laughing death in meatspace, met parfaitement en scène les mutations du groupe : les monstres bizarroïdes de l'artiste canadien qui semblaient tout vouloir mettre à feu et à sang sur le premier album de TROPICAL FUCK STORM se trouvent ici confrontés à un environnement plus froid et obscurci, ce qui ne les empêche pourtant pas d'avancer contre vents et marées. En enfilant des blouses blanches de savant fou aux poches remplies d'éprouvettes débordantes, TROPICAL FUCK STORM confirme un peu plus son statut de groupe allergique aux carcans trop étriqués d'un rock qui n'en finit plus de crever la gueule grande ouverte. Quand il se sera enfin décidé à mettre fin à son agonie, il n'y aura pas un groupe plus légitime pour planter les clous dans le cercueil.
 

Éric F.

(08 octobre 2025)

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TROPICAL FUCK STORM – Fairyland codex (Fire records, 2025)
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Pour prolonger...

TROPICAL FUCK STORM : Bandcamp
TFS @ Guess Who
TRRROPICAL FUCK STORM @ Triple R

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Photographies : DR + Éric F.
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