WIZZZ in Ardecha

Chronique musicale & interview (2021)
        Tous les diggers le savent, la sérendipité permet les plus belles prises. Lors d'un estival marché aux puces, le chanteur Simon MERLE découvre dans un vieux coffre en osier des bandes d’enregistrement ayant survécu au terrible incendie de 1972 du studio MASTROU RECORDS à Lamastre (Ardèche). À l’aide d’un ami ingénieur du son, il numérise l'ensemble et propose à l'écoute une compilation de neuf artistes, gratuitement, en ligne. Enregistré entre 1965 et le feu dévastateur, le résultat est presque trop beau pour être vrai : quatre décennies plus tard, fraîcheur et vitalité musicale du terroir restent intactes, les rescapés de l'époque confirment, même si personne n'a de souvenirs de ces artistes - plus underground tu meurs ! Cela mériterait un volume complet chez Born Bad Records.
Avant la rencontre avec un musicien devenu archéologue sonore malgré lui, un petit tour d'horizon s'impose.

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          The CRADOES - Deumeter (1965)

Jusque dans le nom du groupe, l'ombre des SHADOWS plane sur les collines ardéchoises. Rien de révolutionnaire, certes, mais qui n'a pas besoin d'une bonne dose de reverb de temps en temps ?

          Les DAMES DE CANCE - Les gens m'embêtent (1967)

L'une des plus belles pépites du disque. Frondeuses, canailles, piquantes : du France GALL trash yéyé, Les CALAMITÉS élevées à la crème de marron, les petites cousines de Françoise CACTUS. 

          Jean FÉRUT - L'Idylle de Lydie (1965)

Au départ, on pense à une parodie (cf. Jean MEYRAND). Et puis non. Sur un orgue MOODY BLUES et une boîte à rythmes (ou bien est-ce une batterie ? ) déglinguée (que l'on redécouvrira plus tard sur le Arise therefore de PALACE MUSIC), le gars est à fond. Moins lyrique que Jean FERRAT, mais un an avant lui, sur le même thème, la mountain credibility en plus.

          MASTROU - Le Mastrou (1968)

Gilles TANDY en vacances, 10 ans avant Les OLIVENSTEINS, reprenant Tchou tchou, le petit train ? On en redemande ! Sauf que problème : la version de DOROTHÉE date de 1981 et celle-ci est de 66 ! Plagiat ou bien ? Note : pour ceux qui ne connaissent pas la région, le Mastrou est un train touristique (depuis de nombreuses décennies) reliant Tournon à Lamastre.

          The CAILLETTES - La Bande à Joe (1972)

L'un des meilleurs noms de groupe de tous les temps, pour qui ingère régulièrement et depuis la plus tendre enfance l'une des merveilles de la gastronomie française. Mixant IL ÉTAIT UNE FOIS et Les Dalton de Joe DASSIN, tout en préfigurant vocalement GRAND CORPS MALADE (mais ça passe bien toutefois), ce funk mou du genou est parfait pour écluser la Marquisette du bal local.

          The GOATS - Mt. Gerbier (1967)

Un instrumental en hommage au Mont Gerbier de Jonc, lieu prisé des touristes lyonnais en pantacourts (en transit vers la Haute-Loire - Un autre monde dirait le poète). On croirait presque à un inédit du voisin auvergnat Jean-Louis MURAT. Ne manque que sa voix.

          CHESTNUT WOODS - L'Echo des Champs (1966)

Le passage le plus sagement psychédélique de la compilation est aussi addictif que la crême provenant des arbres à l'origine du nom du groupe et derrière lesquels, dans les champs, en 1966, il devait pousser de bien beaux champignons magiques.

          JACK & CORINNA - Le Cours de Guitare (1969)

Mélodiquement impeccable, cette folk song nous offre un improbable refrain ("Adieu l'Ardèche, on se dépèche. Partir au loin, on sera bien ! " ), alors que ce département est le plus beau au monde. Pour qui ne le connaît pas : c'est la Corse, sans la mer. Le retour à la terre, la néo-ruralité, en 69, c'était le début. Les autochtones préféraient alors fuir... pour mieux y revenir.

          Claude SIMON - Je ne sais pas danser (1972)

Un poil pataud, ce groove sacrément entraînant aurait pu et du être le hit de l'été dans les campings de Vallon-Pont-d'Arc (canoës et hollandais à gogo) à Douce Plage (Tournon), si seulement le studio d'enregistrement de Lamastre n'avait pas flambé. Aussi sensuel que Les MARACAS se prenant pour Brigitte BARDOT quelques années plus tard. 

          MASTROU - L'Art de la Dèche (1970)

Indigestion de champignons (cf. L'écho des champs de CHESTNUT WOODS un peu plus haut) ? Mal des transports ferroviaires ? La redescente du train est plutôt difficile, surtout avec un jeu de mot aussi douteux. Pas sûr que la bande tourne à la bonne vitesse, mais ça ne fait rien. 


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I N T E R V I E W / I N T E R V I E W / I N T E R V I E W / I N T E R V I E W / I N T E R V I E W
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Cette histoire de bandes enfouies dans un vieux panier en osier est trop belle pour être vraie. On est entre nous, laissons de côté le storytelling. Comment avez-vous réellement mis la main sur ce Graal magnétique ?


Je ne peux que répéter ce qui est écrit sur ma page Bandcamp : le hasard, qui fait parfois bien les choses, et l'habitude prise de me rendre tous les deuxièmes dimanches du mois au marché aux puces d'Annonay (Ardèche, NDLR), sont les seules explications de ce petit miracle. Je n'y ai pas cru moi-même au départ, avant d'écouter les bandes... 
 

Avez-vous un tempérament de chercheur d'or sonore ou êtes-vous la preuve vivante que la sérendipité porte ses fruits ?


J'aime beaucoup fouiner chez les disquaires, dans les livres, sur internet, pour dénicher des trésors cachés. Cela répare en partie les injustices de l'oubli, et permet aussi d'être snob en écoutant des choses inconnues du plus grand nombre. Mais jamais je n'aurais espéré faire une telle découverte. L'occasion fait le larron ! 
 

Aviez-vous connaissance de l'existence de ce studio et de ces enregistrements avant cette trouvaille ?


Pas du tout. C'est assez incroyable cette histoire d'un petit studio ardéchois qui prend feu dans des conditions mystérieuses. 
 

Qu'est-ce qui vous a décidé à écouter puis numériser ces archives ?


Au départ la curiosité, puis la joie d'avoir à faire à des pépites à la qualité sonore et à la fraîcheur remarquables. 

 

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smerlearrieregdpere.jpeg, by Bingo
Ardecha über alles !


Comment se sont passées les différentes étapes : restauration, numérisation, mixage, masterisation ?


J'ai été assisté par un ami ingénieur du son, qui a réalisé tout le travail de rénovation sonore, sans trahir le matériau d'origine. Je ne suis intervenu qu'au départ, en lui donnant les bandes, puis à la fin en écoutant l'ensemble et en sélectionnant les pistes pour la compilation. Il s'agissait de bandes master : les chansons étaient terminées et mixées, il n'y avait pas à reconstruire ou assembler des pistes, juste à numériser, pour pouvoir ensuite les traiter avec un logiciel. 
 

Le résultat est incroyable et la production est à la fois vintage et moderne. En tant que producteur comment avez-vous réussi à respecter l'authenticité de l'époque tout en veillant à ce que cela ne sente pas la naphtaline ?


C'était exactement la consigne donnée à mon ami : enlever le maximum de défauts pour rendre l'écoute confortable, tout en ne sacrifiant pas l'identité sonore propre au studio MASTROU RECORDS. Celle-ci lorgne aussi bien vers le psychédélisme anglo-saxon que vers la chanson française de ces années-là. Par exemple, nous n'avons pas diminué la réverbe omniprésente ou amplifié les basses un peu faiblardes. 
 

Il a fallu ensuite procéder aux recherches des protagonistes, à la demande d'accords des ayant-droits. Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer ?


C'est finalement ce qui a pris le plus de temps ! Même avec l'aide des moteurs de recherche, il n'a pas toujours été possible de trouver les informations sur les groupes. Cela s'est terminé en enquête de terrain, jusqu'à ce que je retrouve Jean FÉRUT, un des artistes qui apparaît sur la compilation. C'est la vraie mémoire vivante du projet : il se rappelle de tout malgré ses 96 ans et il m'a aiguillé vers les autres protagonistes. La seule difficulté qui s'est présentée concerne le chanteur Claude SIMON qui a disparu depuis 1978, sans laisser de traces. Comme je voulais vraiment qu'il soit présent sur la compilation, j'ai demandé l'autorisation à sa famille. D'une manière générale, tout le monde était ému et content que je ressorte ces vieilles chansons. Personne n'y a vu une occasion commerciale et c'est aussi pour cette raison que la compilation est en libre téléchargement.
 

La compilation est uniquement sortie en version digitale sur votre Bandcamp personnel. Avez-vous proposé le fruit de votre travail d'archéologue-producteur à une maison de disques ?

 
Je ne pensais pas que ce projet pourrait intéresser une maison de disques ... C'est vrai que ce serait l'occasion de sortir une version vinyle !
 

Pourriez-vous nous parler de la pochette de cet album numérique (choix et origine de la photographie ; référence au FLAN) ?


Les skieurs sur la photo sont les membres du groupe MASTROU, propriétaires du studio dans lequel ont été enregistré tous les titres. C'est Jean FÉRUT, également présent sur la photo qui me l'a donné et j'ai pensé que cela ferait une belle pochette. La référence au FLAN (Front de libération d'Ardèche Nord) était incontournable, puisque ce groupuscule finançait en partie le studio et Jacques MOUXE, un des membres de MASTROU, en était.

 

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Rangés des guitares


Savez-vous si certains membres des groupes présents sur la compilation ont poursuivi dans la musique ?


Ils ont pour la plupart raccroché les guitares. Claude SIMON avait le potentiel de mener une carrière au niveau national mais ses problèmes personnels l'ont desservi. Les DAMES DE CANCE ont arrêté après l'accident de leur minibus sur la route de Lalouvesc, Jean FÉRUT s'est consacré à la peinture, et les membres du groupe MASTROU n'ont pas souhaité reconstruire le studio après l'incendie. 
 

Avez-vous écarté certains titres de la liste et, si oui, pourquoi ?


Oui, certains titres étaient visiblement des enregistrements amateurs, qui n'avaient pas vocation à être publiés (des chansons pour des anniversaires, ou pour déclarer sa flamme à une bien-aimée...). Les enregistrements de concerts étaient également d'une qualité trop faible pour pouvoir être exploités.
 

A votre avis, reste-t-il d'autres trésors sauvés des flammes permettant d'envisager un second volume ?


Un second volume est envisageable, si les gens en redemandent ...
 

Vous sentez-vous l'âme de devenir un Alan LOMAX des terres ardéchoises ?


J'ai bien peur d'être obsédé par cette époque et de ne pouvoir en sortir si je continue à arpenter ainsi le passé.
 

Je reviens à la charge : cette histoire de bandes retrouvées par hasard est trop belle pour être vraie. On est entre nous, on se tutoie si tu veux bien. As-tu dit toute la vérité sur cette histoire et sur ces artistes ?


Non je ne t'ai pas tout dit. Ou plutôt, de tout ce que je t'ai dit précédemment, rien n'est vrai !

 

Article + propos recueillis par bingO

(25 août 2021)


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10 Pépites oubliées de l'âge d'or Ardéchois (1965​-​1972) (Autoproduction, 2020)
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Pour prolonger...

Simon MERLE : Bandcamp
10 Pépites oubliées de l'âge d'or Ardéchois (1965​-​1972) : Bandcamp

Dans nos archive sonores :
Les DAMES DE CANCE dans Rock à la Casbah #722 (09/02/2021)

Dans nos archives écrites :
Chronique et interview MERLE hagard (30/06/2021)

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Photographies : archives personnelles Simon MERLE
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