Rock Contact // The BATMEN

Interview (2021)
          A Grenoble, au milieu des années 80, il fallait bien s'occuper pour échapper au froid, au quotidien et à la chappe de pollution sur la cuvette. Monter un groupe était une solution pour assouvir sa passion du rock : écrire des chansons et voyager, en tournée. Portés par le fougueux Roberto LOZANO, les deux albums (The Batmen et Bubble skies, chez Closer records) et les trois 45t. de The BATMEN sont un aperçu de ce que le rock français souterrain offrait de mieux à cette époque. Ne manquait qu'à compléter cette indispensable discographie par l'ajout d'une anthologie de raretés.

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          Entre 1984 et 1988, les concerts des hommes chauve-souris grenoblois étaient époustoufflants : de l'énergie à revendre au service de compositions dignes des ténors anglo-saxons du rock-rhythm'n'soul (FLAMIN' GROOVIES, BARRACUDAS, FLESHTONES...). Les quatre membres du groupe eux-mêmes ont décidé de fouiller dans leurs archives pour proposer aux nombreux fans des pièces inédites de premier choix, sur vinyl uniquement : enregistrements live, raretés, morceaux saisis en répétitions, sessions radios, prestations à la TV... Back from the stone age est un magnifique témoignage dans lequel plongeront bien évidemment (avec un brin de nostalgie, coupable ou non) tous ceux qui ont eu la chance de connaître cette époque créative incomparable. Mais il conviendra aussi aux jeunes pousses, aux novices, aux curieux. Il faudra cependant ne surtout pas se fier au titre - premières paroles du morceau qui ouvrait le second album (Stone age) : si les BATMEN nous annoncent revenir de l'âge de pierre, c'est en hommes des cavernes toujours et résolument modernes qu'ils se présentent. Leur musique traverse le temps et reste vitale.
L'occasion était trop belle : il nous fallait questionner Patrick MUIN (bassiste-archiviste) et Christian VITTOZ (batteur).

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          "Le plaisir !"

Sur votre second album, la chanson-titre Bubble skies décrit poétiquement Grenoble. Pourriez-vous nous replacer dans le contexte (politique, social, culturel, géographique) de cette ville, au milieu des années 80 ?

Christian : Quand nous avons écrit cette chanson, Alain CARIGNON, maire de Grenoble a fait raser de vieux quartiers de Grenoble, dont La Frise où se passait une bonne partie de la vie rock grenobloise (Salles de concert La Taverne puis La Zone Interdite, locaux de répètes, teufs, etc.) pour y construire Europole méga business, quartier clean à souhait. C'était l'avènement des écoles de commerces et autres dans une politique où le fric et le paraître s'étalaient sans pudeur en promesse d'un avenir meilleur et aseptisé. C'est un peu le thème de Bubble Skies car pour nous, notre quotidien et nos envies étaient bien différents.

 
Quelles étaient vos motivations et influences premières lors de la création du groupe ?

Chr : Le plaisir ! Je jouais déjà avec Patrick, et Robert est venu nous voir avec Raymond (qui est devenu notre manager) pour nous proposer de jouer ensemble. Pas de plan de carrière, ça l'a fait tout de suite. Un vrai groupe quoi ! C'est notre passion commune pour la Soul, ajoutée à l'énergie punk et rock'n roll du moment qui a façonnée notre son, avec - bien sûr - la voix de Roberto qui nous poussait toujours de l'avant.

Patrick : Nous sommes music addicts, la Soul music comme première influence, Wilson PICKETT, Sam COOKE... Toute la scène punk rock après 1977, fan des DAMNED et de CLASH pour ma part, mais aussi BOB SEGER SYSTEM, ALICE COOPER, SLADE.

 
The BATMEN, SLUGGARD KINGS/The CHAMELEON'S DAY, RED SHARKS, TIJUANA KIDS... Comment expliquer une telle concentration de talents dans l'agglomération Grenobloise à cette époque ?

Chr. : Sans oublier ROXETTE, JOHN COURAGE, etc . Je pense qu'il y avait de bons disquaires, des possibilités de voir plein de concerts où on se rencontrait tous  sans oublier le tumulte permanent des eaux de l'Isère et du Drac.

P : Je trouve le Grenoblois de base plutôt tendu, est ce le climat ? C'est une question que l'on se pose souvent. En tous cas cela a semblé propice à l'éclosion d'une scène rock.
 
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batmenphoto3.png, by Bingo

"Faire l'inventaire pour sauver tous nos souvenirs"

Quel élément déclencheur a permis la sortie de Back from the stone age ?

Chr. : Cela fait déjà un petit moment que Patrick a fait un travail de fourmi pour rassembler et numériser toutes les K7 que nous avions. Plein de bonnes choses, certaines malheureusement inutilisables (son pas bon, titres pas finis, etc.) . L'idée de départ était de faire un CD pour nous et nos potes, puis un autre à petit tirage parce qu'on a pas mal de potes, puis le vinyle s'est imposé à nous car on avait envie de (se) faire plaisir avec un bel objet qui témoigne de cette époque.
 
P : Quand nous nous sommes séparés il y a eu 10 ans de silence avant de réaliser et de jeter un premier regard en arrière. J'ai alors commencé à archiver ce qui nous restait : photos, vidéos, audios. L'idée était juste de faire l'inventaire pour sauver tous nos souvenirs. Avec les années qui passent, l'idée de faire une compil pour les potes ou le plus d'amis grenoblois investis me motivait bien. Enfin, un CD de plus, c'était moyen, d'où l'idée de faire un vinyle. Ce qui fait que le bon de téléchargement est aussi complet, car il s'agissait d'un simple CD confidentiel au départ.

 
Justement, au vu des bonus à télécharger sur ce nouvel album, on imagine que vous ne manquiez pas de matériau. Ne fut-il pas douloureux de choisir, puis de trancher pour arriver à un album cohérent ?

Chr. : Il a fallu faire des choix . Le format vinyle nous a conduit à réduire encore plus la liste. Nous avons surtout voulu privilégier les inédits qui nous tenaient à cœur, mais on n'a pas pu s'empêcher de mettre des morceaux figurant sur nos albums, en versions live, pour relater l'énergie du groupe qui ne transparaît pas toujours sur nos albums.

P : Le processus du choix des morceaux fut laborieux car chacun avait son idée. Au final, nous avons fait un compromis et c'est le désir que figure sur le vinyle pas mal d'inédits qui l'a emporté.

 
Peut-on espérer un deuxième volume ?

P : Tout ce que je peux dire c'est que nous avons largement ce qu'il faudrait pour cela mais peut être pas un autre bon de téléchargement de 25 titres ! Laissons Back from the stone age faire sa petite vie.
   
Sur cet album, des enregistrements proviennent de la Batcave. Serait-il possible d'avoir des renseignements sur votre base secrète de l'époque (localisation, topographie des lieux, visiteurs...) ?

Chr. : c'était une cave voûtée vers le quartier St Bruno. On louait ça à une agence. Au-dessus , il y avait des bureaux je crois et le soir on pouvait faire le boxon qu'on voulait. C'est devenu le rendez-vous de tous nos amis et, surtout le vendredi soir, c'était bondé. On a un aperçu de l'ambiance sur la vidéo Do The Swamp rock, où l'on reconnaîtra au passage plusieurs membres d'autres groupes de Grenoble.

P : Les enregistrements Batcave proviennent de maquettes ou sont de simples témoins de répétition.

 
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 "Un feu brûlait et sortait littéralement de nous..."

Tous ceux qui vous ont vu un jour sur scène restent marqués à vie par votre incroyable énergie et vos qualités techniques au service de compositions remarquables. Quelle était votre recette miracle ?

Chr. : Je vais peut-être me répéter, mais c'était le plaisir. Les morceaux sortaient souvent tout seul, chacun jouant au service du groupe. Le fait de tous chanter dédramatisait également, je pense, l'approche des instruments, et il y avait toute cette énergie communicative autour de nous qui nous propulsait sur de nouvelles idées. Et on rigolait beaucoup...

P : Je pense qu'un groupe qui fonctionne est un groupe ou il y a une alchimie. La nôtre était explosive et joyeuse, un simple accord plaqué et la suite du morceau se construisait toute seule en répétition. Un feu brûlait et sortait littéralement de nous. Je crois que ce fut le cas dès la première répétition. Je jouais de la guitare à l'époque, il fallait un bassiste et je n'ai pas hésité à changer d'instrument. Un ami m'a prêté une basse dont les cordes étaient à 3 cm du manche. J'ai commencé là-dessus et j'ai vite acheté ma Precision (que j'ai toujours !).

 
La carrière du groupe fut quelque peu éphémère. A la grande surprise du public, pourquoi avoir décidé de tout stopper en 1988 ?

Chr. : Simplement parce que la magie n'était plus là. Nous étions de plus en plus attirés par des choses différentes, et les compos devenaient plus laborieuses. On n'a pas fait durer des années jusqu'à user l'affaire, ne tirant aucun revenu de notre musique. On ne savait même pas ce qu'était le statut d'intermittent.

P : Nous nous sommes usés. Il eut fallu prendre du recul, faire le point, repositionner le travail. On jouait de plus en plus vite, loin du rhythm & soul du début. On n'a jamais su ou eu le temps de se poser des questions, on fonçait : 3 répétitions pas semaine, concerts les weekends, les tournées... ce pendant 4 ans, tout en gardant nos emplois. Je rajouterais que ce fut toujours avec un plaisir énorme.
 

 
Au vu de votre reformation pour honorer quelques concerts en 2010, est-ce possible d'envisager une  réunion définitive ?

Chr. : Ce n'est pas à l'ordre du jour, bien que nous soyons toujours en contact.

P : On n’en parle pas du tout, ça me semble bien compliqué, une moitié de BATMEN vit dans le sud désormais.
 

"Les temps changent, comme disait Bob..."


Certains enfants des membres des BATMEN ont à leur tour créé des groupes de rock. Quel regard portez-vous sur leurs productions ?

Chr. : Ils ont parfois monté des groupes avec des enfants d'autres groupes. C'est cool, et je retiens la sincérité dans leur démarche et une grosse volonté de faire une musique vitale. Ils ont fait de belles choses, et n'étaient pas peu fiers quand ils jouaient dans une ville quand on leur disait : " Vous êtes de Grenoble ? Mais c'est là où il y avait les BATMEN..."

P : J'admire leur organisation. Le numérique et l'arrivée des réseaux leur ont permis des projets fous comme faire plusieurs fois le tour de l'Europe. Ils font des musiques sans aucune concession, bravo les fistons !
 

A Grenoble, la rue Lakanal ne semble plus vraiment porter les stigmates du rock des 80's. Si vous y gardez encore des attaches, que pensez-vous de l'évolution de votre ville ?
 
Chr.  : La ville évolue, comme toutes les villes  ; centre clean et standardisé. Mais il se passe encore des choses : des groupes sont là, il faut les chercher ailleurs.
Notre album s'appelle Back from the stone age, et c'est vrai que ça ne semble pas si loin l'époque  sans portables ni ordis, avec notes de téléphone de fou, expéditions de K7 pour chercher des concerts, etc. Les temps changent, comme disait Bob, mais l'envie de s'exprimer est toujours là, forcément différente...



     

Article + propos recueillis par bingO

(07 juin 2021)

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The BATMEN. Back from the stoneage (Batmen / NS, 2021)
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Pour prolonger...

The BATMEN : site web
The BATMEN : Bandcamp
The BATMEN : vidéo-clip Get on your knees, réalisé par FOLIMAGE - Valence (1988)

Dans nos archives sonores :
Chronique La France souterraine (consacrée à Grenoble) dans Rock à la Casbah #549 (01/06/2016)
Rock à la Casbah #739 (09/06/2021)

Dans nos archives écrites :
Ce que je retiens de 2021 par bingO

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Photographies : archives The BATMEN, ARG!!, bingO, X.
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