Chronique musicale (2021)
Le groupe BRAME fait de la musique bien charpentée.
Notre chroniqueur de l'Yonne rêve secrêtement de devenir chanteur.
Son texte serait-il un appel à une possible rencontre ?
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S’extraire furtivement des fourrés, à l’heure où noircit la campagne.
Approcher – le plus discrètement possible.
Stopper.
Observer. Ecouter.
Maîtriser respiration, rythme cardiaque, excitation.
Reprendre l’avancée.
Ne pas rester à découvert.
Ramper sur l’herbe humide et boueuse.
S’arrêter de nouveau.
Ecarter les cheveux ruisselants d’eau de pluie qui tombent sur le visage, gênant la vue.
Se nourrir de la colère qui empoigne les viscères.
L’objectif est là, tout près. Faire abstraction des bestioles dégueulasses qui grouillent sur le sol.
L’objectif est là, tout près. Reprendre la progression rampante.
L’objectif est là, tout près. Sortir la pince coupante.
Attaquer le grillage. Sabotage. Eventrer l’enclos. Libérer ce qui devrait rester sauvage.
Saccager leur putain de parc de chasse à actions pour rupins sanguinaires.
Leur niquer leur sale race d’enculés de bourges.
La rage au cœur, la haine aux tripes.
Bousiller.
Recommencer vingt mètres plus loin. Encore. Et encore. Et encore. Ting. Ting. Ting. Ting. Triste tintement du métal de la clôture trituré, torturé par la tenaille.
Au loin, soudain, des cris. Putain. T’es trop con. Tu t’es laissé emporter par l’action, l’exaltation. Fais demi-tour, bougre de couillon. Tire-toi. Ils t’ont repéré et lâché leurs mâtins. Des chiens dont la réputation n’est plus à faire. Fous le camp.
Tu cours sous la bruine. Tu respires de la flotte. Asphyxié. Tu tends l’oreille, mais n’entends plus les prédateurs. Tu sais pourtant qu’ils n’abandonnent jamais. Ton cœur bat irrégulièrement. Si, là, sur la droite, de longs ululements inarticulés. Ils approchent sur la droite. Ils veulent te couper la retraite. Essaie de les contourner par la gauche. N’entre surtout pas dans l’enclos, tu ne sais pas ce qui t’y attend. Des sons de galets roulés sur ta gauche. Ils sont partout. Fonce. Allez, fonce. Merdemerdemerde. Derrière toi, à gauche, à droite, une pulsation lente, mouillée. Une plainte de guitare baryton saturée, aux accents de graviers frottés. Un son moite, qui envahit l’espace. Total. Qui empêche de réfléchir.
La peur t’emplit. L’adrénaline déferle et te brûle les entrailles.
Proie terrifiée, tu cours sur le plateau boisé. Tu ne les distances pas plus qu’ils ne gagnent du terrain. Ils jouent avec tes nerfs. Tu cours sur le plateau boisé. Tu tentes d’éviter les troncs, les branches basses. Tu cours sur le plateau boisé. Tu trébuches dans les soues, t’empêtres dans les vestiges d’arbres morts tombés à terre, désagrégés par la vermine, spongieux. Tu patauges dans les flaques. Tu es freiné par les amas de feuilles semi-putréfiées. Tu serpentes entre les murets de pierres sèches qui lacèrent la forêt. Tu commences à te repérer et ça n’a rien de rassurant. Les chiens te poussent vers la brume de la Vallée Borgne. Leurs maîtres brament, éructent, excitent les bêtes de leurs voix déchirées, décharnées, qui saturent l’air. Les chiens ? Des loups !
Proie harcelée, tu poursuis ; tu voudrais accélérer, tu ralentis cependant, malgré toi, au fur et à mesure que le relief s’incline. Tu voudrais courir, mais tu n’y parviens plus. L’air est trop dense. Ta cage thoracique est douloureuse. Ton corps, incommensurable masse de plomb, pèse trop pour tes jambes qui peinent à le faire se mouvoir. Le sol est flasque, éponge mollasse sous les semelles de tes godasses. La menace t’entoure, mais elle ne se presse pas. Elle se contente de te pousser là où elle le souhaite.
Vers la Ville Morte.
Proie rabattue, tu t’enfonces dans les drailles spumeuses du brouillard, giflé au sang par les fantomatiques taillis épineux intégralement couverts de lichens duveteux et blafards. Tu débouches finalement dans les premiers faubourgs. Cubes métalliques des hangars rongés par la rouille, auxquels succèdent les anciens taudis semi troglodytes, suintants, qui bordent l’interminable avenue qui mène au cœur de la ville maudite. L’écho mat de tes pas est étouffé par l’humidité ambiante, la végétation moussue qui ronge les constructions dont les fenêtres t’observent de leurs orbites vides. Vastes esplanades asphaltées parsemées de carcasses oxydées d’anciennes automobiles gisant, délaissées, depuis longtemps inutiles. Tu traverses à découvert, cerné par les mouvements furtifs, les raclements réguliers, une présence mauvaise.
Proie acculée, tu pénètres dans le centre. Odeurs de moisi. Relents de souterrains, de terriers néanderthaliens. Calcaire blanc à la pulvérulence mouillée. Lierre et ronces pendent dans l’air immobile. Tu n’as plus besoin que l’on te pousse. Tu admets l’inéluctable. Face à toi, perchée sur son promontoire au-dessus de la Ville Morte, éclairée par une lune terreuse, la masse terrible de l’église te domine, t’écrase, et pourtant t’aimante. Tu franchis les ponts glissants enjambant les bras d’une rivière de mélasse huileuse. Tu t’engages entre les masses ruiniformes qui furent autrefois les bâtiments ostentatoirement opulents d’une petite ville prospère. Epuisé, le pas heurté, traînant résolument ton écœurement, tu débutes l’ascension dans une pente étroite serpentant parmi les épaves lithiques gangrénées par une flore de cloaque, que tu longes avec un morne dégoût. Volets qui pendent, désossés. Odeurs de vieille pisse. La lumière malade de la lune peine à éclairer le sol. Tes chaussures chuintent sur la chaussée défoncée.
Face à toi, enfin, le vieux sanctuaire, nimbé d’une lumière abjecte. Bruits mouillés d’ailes membraneuses, volatiles incertains à l’envergure inquiétante. Plantes torturées, végétation malsaine. Stridences. Un dernier regard circulaire dans la lumière maladive de l’astre sélénite te dévoile, en contrebas, tours éventrées, toits crevés, murs démantelés, habitats désolés. Des cris de désespoir, quelque part.
Proie résignée, tu te livres. Tu franchis l’enceinte diabolique. Ce sont tes pas qui te poussent. Tu n’as plus aucune volonté. Manquant de déraper sur les pavés lisses et mouillés, tu progresses à travers les vestiges dévastés. Tu gravis les escaliers aux marches creusées d’usure, grasses et glissantes. Immersion dans l’hérésie. Par une autre porte voûtée, tu t’enfonces dans la désolation impie. Tu pénètres sans la moindre hésitation dans la construction trapue, aux gargouilles suintant une viscosité noirâtre. Assailli par des remugles de charogne, tu poursuis, malgré tout. Captivé, tu entames l’ascension de l’escalier dévasté.
L’abomination sacrilège est là.
Elle t’appelle.
Elle t’attend.
Tu t’y abandonnes.
Fais tes adieux au monde.
Tu es dans le Dehors.
Tu appartiens désormais à Ce Qui Rôde.
Nicolas GOUGNOT
(18 juin 2021)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
BRAME. Ce qui rôde (Autoproduction, 2020)
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Pour aller plus loin...
BRAME : BandcampBRAME : vidéo-clip Les chiens
Dans nos archives écrites :
Chronique de l'album Basses terres (2016)
Chronique de l'album La nuit, les charrues (2014)
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Photographies : Nicolas GOUGNOT à Tonnerre & BRAME
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