Brame

Basses Terres (Autoprod) // par Nicolas Gougnot
Le brouillard duquel émergent les squelettes métalliques des pylônes électriques, silhouettes fantomatiques accentuant la morosité des arbres nus, désespérés d’attendre le retour du soleil source de toute vie.
Les bois, sombres intercalaires entre les parcelles agricoles à la géométrique rigueur, desquels s’envolent des nuées d’oiseaux noirs.
La boue omniprésente jusque sur les routes, apport constant des tracteurs sillonnant sans cesse les axes du canton, rare manifestation d’une présence humaine.
Le hangar aux tôles rouillées affrontant stoïquement le vent battant sans cesse les reliefs des plateaux livrés à l’obsession céréalière.
La verticalité d’un silo, lointaine cathédrale agricole dominant l’horizon.
Les Hautes Terres.
 
Le ciel de coton anthracite, appuyant sur les épaules de l’Univers visible.
L’omniprésence lassante de l’interminable hiver.
Le vol des corbeaux faisant résonner leurs croassements lugubres dans l’air humide et froid.
Les villages aux maisons mortes et fenêtres noires, aux rares cheminées fumantes.
Le volet disloqué claquant dans le vent.
Le drapeau tricolore usé, délavé, pendant tristement, mouillé, sur le monument aux morts dont personne ne se souvient qu’ils aient vécu.
Les pâtures, rares ilots de verdure entaillées par le ruban noir de la rivière peinant à drainer les parcelles saturées d’eau stagnante.
Les hérons efflanqués au lourd vol ptérodactyle, planant au-dessus d’immenses peupliers dévorés par le gui.
L’arbre mort incliné dans la chute figée de sa lente agonie.
Charrue rongée par la rouille, laissée là à pourrir depuis des décennies, vieux pneus, remorque caduque, amoncellement envahi par les ronces.
Mousses gorgées d’humidité et lichens baroques vampirisant la vitalité des arbustes des sombres friches marécageuses. Cloaques spongieux.
Les Basses Terres.
 
C’est de tout cela dont nous parle Brame, qui rappelle que non, la campagne ne (se) vit pas seulement l’été, coquelicots et rouge-gorge, barbecues et apéros dans le jardin, déjeuner sur l’herbe et dormeur du val. Brame est l’ultime antidote au bucolique.
 
Brame nous parle des sangliers, masses sombres, hirsutes et disgracieuses, pas des chevreuils graciles.
Brame se frotte aux feux, protectrices sources de chaleur contre la rigueur hivernale. Craquement froissé du papier que l’on chiffonne à la va-vite, craquement sinistre de la cagette que l’on démembre, craquement – enfin ! - de l’allumette ; les feux, crépitants remèdes à l’hostilité humide et froide des extérieurs.
Brame évoque l’étranger au village, celui dont on ne connaît pas la voiture, celui vers  lequel on tourne un œil hostile en se demandant où dont qu’y « reste ». 
Brame manie la fourche, pas le râteau à feuilles.
Enfin, aux forêts de chênes centenaires au sol tapissé de petites fleurs blanches, Brame préfère les friches, enchevêtrement d’épineux qui déchirent les vêtements et lacèrent la peau de qui s’y aventure.
 
Guitare rugueuse à la tessiture de gravier, hurlements, invectives lancées à la face des divinités du paganisme rural (John Deer et saint Hubert en tête) : Brame extériorise le désespoir pathétique d’un hiver éternel. Une noise  sobre, aride, calcaire. Rêche.
La musique de Brame, âpre et ardue, peut être vue comme une métaphore des territoires ruraux, marginaux, à l’écart des facilités et des tentations vaines, où les haines irréductibles côtoient les plus belles solidarités, où l’Homme, face aux difficultés existentielles, trouve matière à méditation. Espaces à l’immobilisme feint, où pourtant la succession des saisons se fait sentir avec le plus d’acuité, de la lumière à l’obscurité, de l’obscurité à la lumière.