Cela faisait 23 ans que Les $HERIFF n'avaient pas sorti d'album studio.
Autant dire que leur Grand bombardement tardif est une belle et explosive surprise de la fin de l'année 2021. Direction Plein Sud pour rencontrer Olivier TENA, le chanteur du groupe.
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À ceux qui pensaient Les SHERIFF rangés des voitures, leur nouvel album va prouver le contraire. Avec Grand bombardement tardif, les Montpelliérains ont su efficacement remettre le turbo (allegro) en marche. Certes, la couleur bubble gum punk initiale de la carlingue s’est quelque peu métallisée, mais le résultat étonne, épate encore : mélodies imparables à chantonner à tue-tête sur puissant tapis sonique, parfois explosif. Rien ne semble véritablement avoir changé. Si les textes semblent quelque peu marqués par le temps qui passe et les disparitions, l’autoradio de la bagnole n’est pas branché pour autant sur Radio Nostalgie et conducteurs et passagers préféreront toujours rouler sur des chemins de traverse, parfois cabossés, plutôt que sur l’autoroute, droite, aseptisée, insipide et ennuyeuse. Dans le Sud, le rock balance toujours et le soleil reste de plomb, contribuant à buriner la peau de nos héros de l'Hérault. Des enfants du passé, certes, mais en grande forme musicale.
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Sous un soleil de plomb
Avant tout, Olivier, permets-moi de remercier et féliciter tout le groupe pour ce nouvel album. Heureux de vous retrouver après toutes ces années [votre serviteur a interviewé pour la première fois Les $HERIFF en 1987, NDLR]. 23 ans sans album studio. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour écrire et composer alors que vous aviez remis le couvert avec d'intenses concerts dès 2012 ?
Quand on est repartis en 2014, c'était juste pour quelques concerts. Ce n'était pas notre activité principale et on se demandait chaque année si on continuait. Puis on a fait un morceau (À Montpellier) qui marchait bien sur scène et on a changé de guitariste. Avec l'arrivée de Ritchie on s'est plus investis dans le groupe et le covid est arrivé, ça nous a laissé du temps libre pour composer. On voulait sortir le nouveau morceau mais pas tout seul, donc on a essayé des choses et ça a donné cet album.
Quelles sont les raisons qui ont mis fin à la saga des SHERIFF à l'aube du XXIème siècle ?
La lassitude et le manque d'envie de tourner.
Hormis Manu et The HOP-LA !, quelles furent les activités des autres membres pendant la période hors SHERIFF ?
On est retourné bosser, certains dans le bâtiment [cf. la chanson Tailler du caillou, NDLR], d'autres dans la culture.
Entre amour et amitié, À Montpellier - précédemment évoquée - est une belle déclaration à votre ville. Gentrification, ravalement des façades, émergence de nouveaux quartiers, expansion du pôle universitaire... Cette ville a beaucoup changé depuis les années 80. Quels rapports entretenez-vous avec elle ?
Ça fait vingt ans que j'en suis parti, j'avais besoin d'espace. Seul Manu [batteur canal historique, désormais bassiste, NDLR] habite toujours en ville. Mais je ne suis pas trop loin et j'y retourne souvent. C'est la ville de mon enfance et d'une grande partie de ma vie. J'y ai forcément beaucoup de souvenirs, musicaux et footballistiques. En effet ça a beaucoup changé, avant on habitait et on répétait au centre-ville, maintenant c'est tout rénové et trop cher. C'est devenu une grande ville qui a un peu perdu son esprit du sud. Mais je suis méditerranéen dans le corps et dans l'âme, je n'aimerais pas quitter ma région dont j'aime l'histoire et les paysages.
Qu'en est-il de la scène rock dans cette ville depuis O.T.H, Les VIERGES, Les MARACAS/RINOÇÉRÔSE et vous ?
Je ne sais pas, je ne connais pas les nouveaux groupes.
"Il faut que ça coule facilement, qu'on puisse chanter sous la douche"
Si mélodies power pop punk et refrains vocaux imparables demeurent votre marque de fabrique, le propos musical s'est quelque peu musclé, presque métallisé...
Je n'ai pas l'impression d'un changement, à part pour le son qui s'est musclé. Le changement est arrivé en 90 avec un deuxième gratteux et la vague punk américaine. Déja pour Soleil de plomb en 93 on nous disait pareil, qu'on s'était métallisé.
Est-ce le fait que Manu ait lâché les fûts pour tenir la basse qui a un peu bouleversé l'esthétique musicale ou était-ce volontaire dès les premières nouvelles compositions ?
C’est peut-être dû au fait qu'on est meilleurs techniquement et que le son actuel transcrit mieux la réalité. Le seul changement notable est l'arrivée de Ritchie, c'est donc lui le coupable !
Et depuis ce changement de line-up, comment se passent composition et écriture ?
Surtout Manu, mais aussi Patrice et Ritchie envoient des chansons ou des idées et je valide ou pas. Après, on répète pour voir si ça passe la rampe. Au début, je chante en yaourt. Petit à petit on améliore le titre et je commence à trouver des phrases en français. C'est-là que j'ouvre grand mes récepteurs, j'écoute, je lis et je pique des mots, des phrases à droite à gauche. Je construis le texte comme un puzzle sonore. Je travaille toutes les phrases et j'essaie de mettre plusieurs gimmicks dans une seule chanson.
Quel est votre secret pour accoucher de tels hymnes - fédérateurs dès la première écoute et traversant le temps - ?
Je ne sais pas. Ça paraît simple, mais les morceaux de Manu sont super bien faits et bien construits, avec des évolutions et des mélodies imparables. Pour les textes, je fais surtout très attention à la sonorité, il faut que ça coule facilement, qu'on puisse le chanter sous la douche. Et pas que le refrain, j'essaie sur tout le morceau.
"Je creuse, je triture, je coupe, je colle"
Vous avez été un groupe majeur de l'une des plus belles pages de la musique moderne en France, le rock alternatif. Quel regard portes-tu sur la période 1983-1989 ?
C'était une période de construction du réseau rock. Il manquait de tout et tout le monde s'est formé sur le tas : organisateurs, musiciens, sonorisateurs, journalistes, éclairagistes, labels... C'était excitant, chacun dans sa ville faisait quelque chose et se mettait en relation avec d'autres villes. On était jeunes, on s'en foutait, mais on a bouffé de la vache maigre et c'était dur. On bossait à coté et on réinvestissait tout dans le groupe. C'était une période violente dans les concerts. J'ai préféré les années 90.
Quel est selon toi l'héritage de ce rock alternatif auprès des groupes français actuels ?
L'héritage c'est surtout le réseau qui s'est mis en place : des salles, des locaux de répétitions, des studios. Mais au niveau influence musicale, y'a pas grand-chose. Ce qui m'attriste, c'est tous ces groupes qui chantent en anglais, alors que le français est une si belle langue, qui sonne trés bien... même avec l'accent du Sud. Écoutez NOUGARO : « Gare, gare, gare, là c'est du mastoc, c'est pas du Ronsard c'est de l'amerloc ». Ça claque ! [C'est bizarre, en 1987, on n'avait pas parlé de Nougayork, sorti pourtant la même année que Pan ! NDLR]
Penses-tu que Les SHERIFF aient pu influencer des groupes français ?
Il y a des groupes qui reprennent nos morceaux, ça ne va pas plus loin, mais c'est déjà bien.
À la fin des années 80 et au début des années 90, vos concerts étaient formidables, tant musicalement que dans le rapport au public. Ceux qui vous ont vus dans les dernières décennies témoignent que l'énergie est toujours intacte et la liste des concerts de 2022 fait plus qu'envie. Quelle est votre potion magique pour traverser le temps ?
On est exigeants avec nous-mêmes. Les gens payent, il ne faut alors pas les décevoir. Maintenant, on fait peu de concerts, pour garder la pêche à chaque fois.
Deux chansons évoquent le temps qui passe : Le temps est élastique et Ma lumière. Peux-tu nous en dire plus ou tout est dans les textes ?
Tout est dit dans les textes. Pour Le temps est élastique, ça fait déjà un moment qu'avec ma femme on rigole du temps qui défile et qu'il faut doubler le temps dont on se souvient pour un événement. Et un jour, chez Manu, sa femme a fait la même réflexion. Du coup, j'en ai fait une chanson. Pour Ma lumière, j'étais dans une impasse depuis un moment, bloqué, sans rien trouver. Alors j'ai pensé à ma vie. Qu’a-t-elle de particulier ? Quelles furent mes expériences ? Qu'est-ce que je pourrais bien raconter ? J'ai trouvé la première phrase et c'était parti. J'avais déjà le refrain qui traînait dans mes papiers et tout s'est très vite ajusté.
Sur ce nouvel album, les paroles ont une teneur particulière. Le poids des années, la mélancolie (plutôt que la nostalgie), les disparitions, l'heure des bilans sont, par exemple, des thèmes qui habitent désormais vos textes. Si l'humour (jamais gratuit, faisant toujours mouche) subsiste, on sent qu'une certaine gravité a pris le dessus sur la légèreté. Etait-ce volontaire ?
Bien sûr, on ne fait pas les mêmes textes à vingt ans ou à plus de cinquante. J'ai toujours parlé de moi et de mon vécu, donc je ne peux pas éluder le temps qui passe. Les premiers textes qui me sont venus étaient vraiment pessimistes et très noirs, mais trop caricaturaux style « on va tous crever, la terre est foutue, les gens sont des cons ». Comme j'ai du recul, tous ces clichés me font rire de moi-même, alors je creuse, je triture, je coupe, je colle. Je préfère pratiquer l'autodérision et l'humour, c'est de la politesse. Je ne supporte pas les gens qui reportent les fautes sur les autres, les donneurs de leçons.
Sur Requiem 5 étoiles - qui ouvre ce nouvel album -, avec humour (ici plutôt noir), vous avancez que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, surtout si c'est pour évoquer sa propre mort. Si ce titre n'a pas donné son nom à l'album ni même ne l'a clos, le public peut-il espérer une suite à celui-ci ?
Ce sera Enterrement première classe... Non, je déconne ! Sur ce titre, je me moque de nos tournées d'adieux perpétuels. Maintenant qu'on est lancés, il nous reste deux ou trois morceaux qu'on n’a pas mis sur l'album. Mais je ne dis plus rien, vu que je me contredis tout le temps.
Faut-il voir derrière l'expression Grand bombardement tardif la déliquescence de notre monde actuel, une sorte de nouveau big bang, ou bien autre chose ?
Non, le titre ne fait allusion qu'à nous.
Le dernier titre, Se faire une raison, vous montre philosophes et surtout pas résignés. Qu'en penses-tu ?
On n’est ni résignés, ni nostalgiques. Ce texte fait aussi allusion en filigrane aux complotistes de tout bord. Ils croient des conneries pour se sentir plus intelligents que les autres.
"Dans ma bagnole, j'écoute plein de choses..."
Les récentes et merveilleuses rééditions de vos premiers albums par Kicking Records sont des bénédictions pour tous ceux qui ont usé leurs vinyls ou pour ceux qui, tout simplement, vous découvrent. Comment s'est passé ce travail ?
[Pour cette question, c’est Mr CU aka Stéphane du label Kicking Records qui répond, NDLR]
Les disques des SHERIFF n'étaient tout simplement plus disponibles en vinyle et seulement quelques CD pouvaient s'arracher à des prix ridiculement haut. J'ai donc décidé de rendre ces albums à nouveau disponibles, à un prix abordable. Pour ce qui est des pochettes, j'ai fait appel à mon vieux complice Frank FREJNIK (Violence, Punk Rawk, Slow Death, Nineteen Something ; c'est aussi lui qui s'est occupé de la pochette du Grand Bombardement Tardif et du tribute Génération $heriff Vol.2) qui avait dans son coin attaqué le même travail sur la discographie des THUGS. On a chacun de notre côté remis la main soit sur un vieux vinyle, soit sur un vieux CD, avant qu'il n'en scanne la pochette, la sous-pochette ou le livret, en haute définition. Puis il a reconstruit les pochettes, grâce à ses talents d'infographistes. Pour la musique, j'ai fait appel à Jeff RIGOURD, le sonorisateur historique du groupe et de PARABELLUM, afin de remettre la main sur les enregistrements afin qu'il les remasterise. Chacun m'a envoyé son travail que j'ai pu valider, après avoir fait apporter quelques modifications ici ou là, et le tour était joué. D'un point de vue contractuel, seuls les disques sortis chez PIAS à l'époque ont nécessité de signer une licence nous donnant le droit d'exploiter à nouveau ces albums. J'en ai pressé mille de chaque, vendus au tarif de 15€. Peut-être verront-ils bientôt le jour sur un autre support...
Quels projets pour Les SHERIFF ? Un nouvel album ?
[Retour d’Olivier aux réponses, NDLR]
C'est un peu tôt pour en parler. Déjà, on va tourner pour défendre cet album. Mais ce n'est pas exclu, il nous reste un super morceau, pas tout à fait fini et encore sans paroles...
En ce moment, qu'écoute-t-on dans ta bagnole ?
Dans ma bagnole, j'écoute plein de choses, surtout les disques de ma jeunesse : AC/DC, RAMONES [Tiens donc ? ! ! ! NDLR], NO FX, SPECIALS, Bob MARLEY, Hanny El KHATIB, Iggy, RED HOT, BOWIE...
De Pan ! à Grand bombardement tardif (qui aurait presque pu s'appeler Boum ! pour rester dans les onomatopées), que de chemin(s) parcouru(s).
Quel regard portes-tu sur votre carrière ?
On a réussi à vivre notre passion et à ne faire que ça et on a fait des progrès depuis notre premier album. On n’est pas mécontents mais, bien sûr, on aurait aimé plus de succès et passer la barre du grand public.
Olivier, aurais-tu un dernier mot pour les lectrices et lecteurs du Casbah Webzine ?
Portez-vous bien et gardez-vous du mal. À la prochaine sur les concerts !
Article et propos recueillis par bingO
(08 février 2022)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Les SHERIFF. Grand bombardement tardif (Kicking Records, 2021)
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XXXXXXXX La cassette ? Idéale pour la bagnole ! XXXXXXXXXXXXX
Pour prolonger...
Les SHERIFF : site web
Kicking Records: site web
Les SHERIFF: Facebook
Les SHERIFF : Du rock'n'roll dans ma bagnole (vidéo-clip réalisé par David BASSO)
Portfolio Les SHERIFF - release party Grand bombardement tardif par David BASSO
(10 décembre 2021, Salle Victoire 2, Montpellier of course ! )
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #751 (17/11/2021)
Rock à la Casbah #763 (09/02/2022)
Rock à la Casbah #707 (07/10/2020)
Dans nos archives écrites :
Ce que je retiens de 2021, par bingO (31/12/2021)
Photographies : Alex TENA, Kicking Records, Lili MARS, ARG !!, bingO
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Back in 1987 !!!
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