Notre Bukowski de l’Yonne aime les Hélvètes underground
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P a r e n t a l A d v i s o r y / / E X P L I C I T C O N T E N T
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Gilbert se réjouit.
Gilbert jubile.
Gilbert exulte.
Gilbert a une nouvelle voisine.
Ça va le changer de celle du haut, dont l’accorte poitrine, bien que dûment harnachée, ballotte au rythme de l’énergique nettoyage des vitres de sa cuisine alors qu’il se tire des gouttes, tranquillement installé sur son quad adoré, son meilleur copain, sa paillasse gigantesque reposant confortablement sur le réservoir de l’engin.
Ça va le changer de celle du bas qui, lorsqu’elle désherbe son jardin, offre son postérieur à ses fantasmes pervers, tandis qu’il se tripote la nouille, les deux mains plongées dans son jeans raide de crasse et de plaques séchées de foutre d’onaniste puceau.
Ça va le changer de la factrice, qu’il attend chaque midi dans l’obscurité de la vallée de la Vouivre, lui offrant le terrifiant spectacle d’un double mètre cube de laideur, de graisse et de saleté se secouant la bite sans vergogne sur le bord de la route.
Ça semble un peu plus costaud que la collégienne, frais bouton de rose non encore éclos, qui descend prendre son car dans l’obscurité matutinale, innocence troublée par ce qu’elle devine de cet immonde pourceau dont elle n’ose définir l’activité frénétique et qui halète dans la pénombre menaçante de la grange qu’elle longe chaque matin, l’ouverture voûtée exhalant le spectre de l’agression, avant qu’elle ne monte dans le car empli d’écoliers, lesquels, tant pour moquer l’indigent dont la réputation n’est plus à faire que pour indisposer leurs sœurs, chantent : « Gilbert est psychotique, toujours il a la trique, il faut qu’il se l’astique, qu’il s’étire l’élastique ! ».
Observons à présent cet océan de connerie à l’œuvre. Son plan, à ses yeux excellent, consiste à se hisser au sommet d’une de ses piles de bois de chauffage, afin de reluquer la nouvelle voisine tout en s’empoignant le poireau. Or, jucher, puis secouer un tel volume d’ignominie sur un empilement précaire de bûches ne souhaitant qu’obéir à la gravité, ce n’est précisément pas une bonne idée. Evidemment, l’enthousiaste pignole finit par mettre la pile à bas dans une partie de mikado à grande échelle, écrasant les chairs et brisant les os. Gilbert se meurt, mais il a le temps pour de dernières pensées, si l’on peut dire. Une silhouette descend lentement vers le corps mutilé de la Bête quasi-maudite.
« Ho bé ? » grogne Gilbert, soit l’équivalent de : « Fichtre, une étrange apparition déchire l’hivernal plafond nuageux, dispensant une lumière chaleureuse là où, habituellement, tout n’est que monochromie ! ».
- Mon fils, je suis Saint Gilbert, ton saint patron et, accessoirement, celui de tous les détraqués. Ton existence terrestre s’achève. Tu te meurs. Je viens t’aider à te débarrasser des derniers oripeaux du péché qui s’accrochent à ton âme et l’alourdissent, te privant des voies du Salut, qui sont pour toi comme la gent féminine : impénétrables.
- Ha ben…, acquiesce le décidément peu loquace Gilbert, dont le cortex est alors traversé, transpercé par une migraine à la pulsation convulsive, gueule de bois saturée.
Et Saint Gilbert commence à évoquer la vie de son protégé. Flashs dans le cerveau de ce dernier : allusions à sa petite enfance, du papier peint qui se décolle aux épluchures de pommes de terre, des crises de colère aux fantasmes de camion de pompiers, tout passe à la moulinette de la fête à neuneu. La thérapie est brutale. Gilbert se revoit enfant jouant dans le carton tenant lieu de parc pour bébé, son papa lui donnant des leçons de vie entre deux raclées.
- Papa ? Mais tu es mort, Papa. Depuis des années. Tu as fait un arrêt cardiaque aux chiottes, même que c’est moi qui t’ai trouvé, le pantalon sur les chevilles. Mais c’est quoi, cette histoire de vers blancs dans leurs petits trous, Papa ? Sont-ce ceux qui attendent l’arrivée de mon cadavre tout frais ? Rien de tout cela n’a de sens, baies rouges, poisson rouge, barbichette, non, laissez-moi, je vous en supplie, qui que vous soyez, faites que tout s’éteigne, que cela s’arrête enfin.
Saint Gilbert lui sourit comme le bienheureux qu’il est. Puis, soudainement, comme un vœu exaucé, une douce mélodie, un soleil radieux, douces percussions. C’est Hawaii en Bourgogne. Gilbert est en slip dans la rue et tout le monde admire le galbe de son abdomen. Il danse le calypso. Déambule. Ondule du bassin. Fait vibrer la graisse de son énorme bedaine, couvé du regard par d’accortes vahinés jouant de la harpe. Plane et papote avec Jésus. C’est cool. Le Paradis ? Pas encore…
Sans transition, il devient Bite en Bois, celui qu’il a toujours rêvé être. L’Homme au Braquemart d’Airain. La baise facile sur un air de polka de dessin animé.
La B.O de son trépas bascule vers une basse ondulante. Extrême onction psychanalytique dispensée par un Saint Gilbert, adepte du coaching en développement personnel, évoquant doctement la vie, les femmes, le sexe. Gilbert n’a cure de la métaphore lourdingue savamment assénée : enfin, on le comprend, on lui parle de ce qui compte vraiment, de ses névroses érectiles, c’est pas pour rien qu’il habite dans l’Yonne, merde à la fin, et progressivement, toute tension quitte son bas-ventre. Pour la première fois de sa vie, il devient perméable aux vertus de la parole et parvient à distinguer la dichotomie entre ses errements comportementaux et les conventions sociales.
Mais Gilbert n’en a pas pour autant terminé avec le bilan de son existence. Il se fait maintenant étriller la tronche par des pulsations obstinées. Ordure ayant voué son existence à la méchanceté, à la nuisance, au vice, connard dépravé, il doit encore se regarder en face et affronter l’humiliation et prendre conscience de toutes les situations lors desquelles il a manqué de tendresse pour autrui. « Merde alors, j’suis vraiment pas sympa ». Un matraquage sonore accompagne son autocritique comme on enfonce un clou dans le poignet du Christ.
Comme s’est enfoncé ce gros pieu d’acacia qui, tel Durandal plantée dans les tripes, lui perfore l’abdomen, réussissant l’exploit de traverser l’épaisse couche de graisse, lui donnant l’impression de chier des échardes. A l’emplacement de la plaie bourrée d’éclats ligneux, il sent les muscles lisses de ses entrailles pulser, danser à la cadence du swing syncopé, tressautant, de son cœur faiblissant. Je crois que le démon m’habite sourit Gilbert pour lui-même, qui tente vainement de bouger le bras pour aller chercher et tripoter une dernière fois son petit muscle lisse adoré au son d’un orgue orientalisant.
La lente agonie n’est pas encore achevée. Sa conscience se fait enjouée pour, après son obsession chtonienne du sexe féminin, après ses odieuses turpitudes comportementales, lui balancer dans la gueule ce qui, dans la vie, lui a fait le plus mal : il a toujours été seul. Sa mère est morte quand il était enfant. A peine sorti de l’adolescence, son frère adoré s’est trouvé démembré par la machine agricole que sa mobylette avait percutée. Son père préférait sa bouteille, qu’il câlinait, à son fils, qu’il battait. Et tous les autres le méprisaient tout autant qu’ils le craignaient. Anniversaires, hospitalisations, vie quotidienne, vie affective : toujours Gilbert a été seul. Pour lui, la vie a vraiment été une salope, et la mort s’annonce aussi peu joyeuse : à son enterrement aussi, il sera seul.
Un dernier regret, étrange ode vocodée à un téléphone qu’il n’a jamais possédé faute d’utilité, une dernière salve de fantasmes de roman-photo portant sur les femmes mûres n’attendant que la visite de son priape à leur mystérieux orifice. Et puis…
Et puis quelques notes à l’orgue. Une oraison funèbre à la tristesse absolument hilarante. Gilbert s’éteint doucement au son d’un monument comique, hilarante parodie de solo guns’n’rosâtre.
Adieu Gilbert.
Bon débarras.
Nicolas Gougnot
(30 avril 2021)
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GROS OISEAU. Muscles Lisses (Burning Sound Records, 2021)
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Pour prolonger...
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Interview du groupe GROS OISEAU (2018)
Chronique de l’album Zonzon (2017)
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