Wilson of a Beach // The BEACH BOYS

La discothèque idéale (1977) // Trésor caché #010
          Composé intégralement par un Brian WILSON en thérapie, entouré de claviers Minimoog, Love you anticipe avec les œuvres solos de Macca, l’ère du DIY de la Synth Pop (DENIM, etc.) jusqu'au Sophtware slump d'autres barbus (GRANDADDY). Peuplée de fantômes et de fantasmes adolescents, l’imagination du génie californien retrouve le chemin de la sublimation.

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     Après un retour aux affaires manqué (15 big ones), les garçons de plage donnent les clés du camion à leur leader, en très petite forme. Celui qui hibernait depuis dix ans et l’échec grandiose de son album Smile, sort de sa tanière pour offrir au monde un recueil de chansons à l’intimité aussi touchante que dérangeante. Sous la coupe du psychologue gourou Eugène LANDY, on le croyait définitivement perdu dans les limbes de son esprit, vaincu par la violence paternelle, la pression de la célébrité et l’hypersensibilité caractéristique du génie. Cette fébrilité traverse l’album et lui donne sa lumière particulière. Il n’est pas question de retrouver l’ambition de Pet sounds ou de Good vibrations. WILSON n’a plus la vocation d’écrire une « symphonie adolescente adressée à Dieu » et il a perdu sa voix d’ange pour la chanter. Devenu asocial, il remplace les musiciens professionnels du WRECKING CREW par des machines et conçoit en solitaire quatorze titres sortis tout droit de son imagination dérangée.
 
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Bad Moog rising

Pour entrer dans Love you, il faut faire abstraction de ses sonorités synthétiques et de ses voix d’ours débraillés. Ou mieux, il faut embrasser ces « bad vibrations » qui émanent d’un groupe démodé, au bout du rouleau, et qui par un étrange phénomène de résonnance, trouvent à nouveau un écho dans notre cœur. Mais Love you n’est pas un album facile à aimer. Cette œuvre que certains décrivent comme « Pet sounds griffonné au crayon » doit être apprivoisée. Et ce, dès le premier regard jeté à la pochette en forme de dessin pixelisé (il s’agit en fait d’un tapis Navajo). Le premier morceau qui ouvre l’album, Let us go on this way, n’est pas plus accueillant : mélange de kitsch et de boogie brouillon, qui frise le ridicule, il finit quand même par se transformer en un refrain aux harmonies parfaites et inégalées. Le contraste est amplifié lorsqu’on passe de la face A et ses rocks primitifs, au collier de symphonies miniatures de la face B. Et pourtant, même dans ses premiers titres, Love you laisse transpirer une authenticité unique dans toute la discographie des BEACH BOYS.
 
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La vie de Brian

Concept album aux vertus thérapeutiques, Love you s’autorise quelques fantasmes malsains. La faute à un créateur qui n’a jamais réussi à s’extraire d’une adolescence en crise. Parfois naïf et touchant dans son traitement des joies simples de l’enfance (le roller, l’astronomie, l’aviation…) et dans son hommage aux idoles de jeunesse (l’animateur de télévision Johnny CARSON et la légende Phil SPECTOR), Brian WILSON, âgé de 34 ans, ne trouve plus la justesse lorsqu’il s’agit d’évoquer les relations amoureuses et le désir naissant. Seul le duo Let’s put our heart together, entre WILSON et sa femme Marilyn aborde avec finesse le sujet de l’insécurité affective au sein d’un couple qui divorcera deux ans plus tard. Dans I wanna pick you up, l’un des sommets mélodiques de l’album, interprété par Dennis WILSON, le narrateur veut s’occuper d’une fille en surpoids. Il cherche à lui redonner le sourire et s’en occupe à la manière d’un bébé : il la lave et la met au lit, puis finit par lui donner la fessée (« pat pat pat on her butt butt »). Des paroles qui suscitent au minimum la perplexité chez l’auditeur anglophone et qui dépassent la maladresse accidentelle. Love you se présente donc comme une psychanalyse décomplexée qui mélange souvenirs de l’enfance, aventures adultères et rêves éveillés. Ce que FREUD appelle la « sublimation », c’est la conversion de la névrose et de la pulsion en une activité créative valorisée. Elle marche à plein régime ici, puisque la musique ne cesse de transfigurer le pathos d’un homme abîmé par la vie et les drogues (Ding dang a quand même été écrite sous amphétamines avec l’oiseau Roger MCGUINN). Sur le parfait Airplane, l’avant dernier morceau, WILSON prend de la hauteur : il s’imagine observer le monde d’en haut, à bord d’un avion. Avec cette métaphore, il évoque à la fois l’enfance et ses jeux imaginaires, mais aussi la distance qui le sépare du monde réel.
Il lui faudra encore quinze ans pour atterrir.
 


Paul MÉGLOT

(20 janvier 2023)

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The BEACH BOYS. Love you (Brother Records Inc., 1977)
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À écouter de toute urgence, en prenant le temps

The BEACH BOYS. Pet sounds (Capitol, 1966)
The BEACH BOYS. Sunflower (Brother Records Inc., 1970)
 

Pour aller plus loin...

Brian WILSON. Brian Wilson (Reprise Records, 1988)
Brian WILSON. That lucky old sun (Capitol, 2008)
Film : Bill POHLAD. Love & mercy (2014)

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Photographies : DR
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