What's love got to do with it ? // DIRTY THREE

Chronique (2024)
          Bien occupé à faire le malin avec Nick CAVE sur scène et à lui fournir des boucles instrumentales (pour des albums en demi-teinte et des B.O.F bof bof), il ne faudrait quand même pas que Warren ELLIS fasse désormais du surplace. Les six mouvements instrumentaux du nouvel album de DIRTY THREE laissent notre patient chroniqueur dubitatif, entre frustration et émerveillement.
 
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          Barcelone, 1er juin 2012, festival Primavera. Il est 23 heures et la scène ATP accueille les trois australiens de DIRTY THREE. Deux jours après un concert à LÉpicerie Moderne, correct mais complètement éclipsé par la prestation de SHELLAC, le trio est méconnaissable d'entrée. Lançant des coups de pied qui visent les étoiles et éructant comme jamais, Warren ELLIS mène Jim WHITE et Mick TURNER dans un set d'une heure, sauvage et furieux. L'intensité et la générosité du DIRTY THREE ne seront d'ailleurs dépassées par aucun des autres groupes présents au festival à la programmation pourtant XXL (YO LA TENGO, LEE RANALDO, BEACH HOUSE, TheWALKMEN, SPIRITUALIZED, etc.). Méritant à merveille son étiquette sad & dangerous, le trio nous rappelait, s'il en était encore besoin, son statut de monstre sacré du rock instrumental prêt à vous faire chavirer au moindre coup d'archet. C'était donc il y a douze ans. 

Douze ans. Soit le temps qu'il aura fallu attendre pour voir DIRTY THREE donner suite à ses aventures après un Toward the low sun mi-figue mi-raisin. Et pourtant, l'actualité des SALES TROIS n'en est pas pour autant restée au point mort. On a eu droit, par exemple, à une réédition en 2021 du chef d’œuvre qu'est Ocean songs, agrémentée de la version live de l'album jouée avec un certain Nick CAVE au piano. Il y a aussi eu ce bouquin improbable de Warren ELLIS dédié à un chewing-gum de Nina SIMONE, récupéré sur le piano de la chanteuse quelque temps avant sa mort. Et une pelletée de collaborations et featurings, pêle-mêle Nick CAVE & The BAD SEEDS, IDLES, MESS ESQUE, Marisa ANDERSON, Bill CALLAHAN, SPRINGTIME, CAT POWER, ou encore CAROLINE NO, qui nous auront largement donné l'envie d'être patient.

De la patience, il vous en faudra pour apprivoiser Love changes everything, un disque pensé comme une longue plage instrumentale de 42 minutes, divisée en 6 mouvements qui laisse la part belle à l'improvisation. En introduction, Love changes everything part 1 est quelque peu déstabilisant : passablement énervé et avec les amplis dans le rouge, le DIRTY THREE prend un malin plaisir à faire du surplace. Aux boucles répétitives de Warren ELLIS viennent répondre un Jim WHITE beaucoup plus tendu qu'à l'habitude et un Mick TURNER parti dans des expérimentations sonores bruitistes. Sans autre volonté que d'introduire de façon très punk ce disque, Love changes everything pt 1 frustre et émerveille à la fois. Ces sentiments contradictoires ne nous quitteront malheureusement pas jusqu'à la fin du disque.
 
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Les intentions belliqueuses du DIRTY THREE disparaissent dès Love changes everything pt 2, où ELLIS échange son violon pour un piano. C'est beau, méditatif, un peu chiant aussi, et il ne manque plus que Nick CAVE vienne chanter dessus pour enfoncer le clou de la ressemblance avec les deux derniers vaporeux albums des BAD SEEDS. Le problème est que cela va durer comme ça jusqu'à l'avant dernier mouvement de l'album, qui viendra un peu nous sortir de cette torpeur, bien que de façon un peu désordonnée. La plus belle vertu du trio s'est cette fois-ci transformée en tare : les trois membres du groupe, qui ont toujours excellé à jouer ce que bon leur semblent chacun dans leur coin, ont quelque peu perdu de leur légendaire télépathie. Peut-être est ce que le temps et l'éloignement commencent à avoir des conséquences négatives (réparti entre Melbourne, Chicago et Ivry sur Seine, le trio à dû répéter “à peu près cinq fois” depuis Towards the low sun selon Warren ELLIS).

On pourra éventuellement tomber en pâmoison devant une partie de batterie jouée aux pinceaux par Jim WHITE ou s'émerveiller de cet accord plaqué de Mick TURNER capable de nous sortir de nos rêveries les plus profondes, mais l'ensemble manque pourtant de mélodies palpables et de cohésion. Plus qu'en mode improvisation, Love changes everything donne trop souvent l'impression d'avoir été enregistré en pilotage automatique. Que de détours et de culs-de-sac il faudra emprunter avant de tomber sur un semblant de “fusil de la NASA” comme Everything's fucked ou Deep waters. Love changes everything pt 5 s'en approche quelque peu en proposant une offensive convaincante, qui finit malheureusement par se perdre en route et nous ramener brutalement sur terre. Soit tout l'inverse de Love changes everything pt 6, où le final tonitruant suffit à peine à excuser les sept minutes précédentes, passées en errance.
On aura également cru à un morceau digne de figurer sur les meilleures productions du trio (l'impeccable trilogie Horse stories, Ocean's songs, Whatever you love you are) avec Love changes everything pt 4. Mais hélas, sa belle et douce intro finit par trébucher et ne débouche pas sur grand chose de tangible.

En ratant son pari d'un disque fleuve sans temps mort, incapable de rivaliser avec les modèles du genre (le F#a#∞ de GODSPEED ou l'incroyable Other truths de DO MAKE SAY THINK), le DIRTY THREE s'est pris les pieds dans le tapis à la surprise générale. Et malgré le peu de cohérence de l'ensemble, Love changes everything contient quand même quelques moments de grâce suffisants pour nous rappeler le caractère unique et céleste du groupe. Ça sera assez pour ne pas émettre un jugement totalement négatif sur ce disque. Et parce que ce retour aux affaires nous donne une furieuse envie d'aller se faire à nouveau retourner le cerveau sur scène par le groupe, là où on sait qu'il ne souffrira d'aucune constestation. Mais par pitié, sans avoir à attendre douze ans.

 

Éric F.

(24 septembre 2024)

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DIRTY THREE. Love changes everything. (Bella Union, 2024)
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Pour prolonger...

DIRTY THREE : Bandcamp
DIRTY THREE sur From the archives.org (1992-2012)

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Photographies : Éric F.
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