UTRO

Solnze (Talitres) // Par Anton Schaefer
Derrière le nom de ce projet, Utro, on retrouve les membres de Motorama, formation russe de post-punk à la discographie d’ores et déjà exemplaire. Encore aujourd’hui sous-estimé, Motorama est un excellent groupe, tant sur albums qu’en concerts : à les voir sur scène, on saisit très vite l’urgence et la tension qui se dégagent de leurs prestations, nous persuadant de la vraie profondeur qui anime les compositions du groupe.

Avec Utro, les membres de Motorama font souffler le vent froid du post-punk britannique sur la tradition mythologique russe. Côté influences, on perçoit dans leurs compositions les silhouettes de Wire, The Fall et A Certain Ratio. Ce projet n’est pas né de la semaine dernière : depuis plusieurs années déjà, Utro représente un véritable exutoire, l’occasion salvatrice de faire exister des chansons nettement plus obscures que l’esthétique habituelle de Motorama. Car l’intérêt de Utro tient, en partie, dans sa capacité à bousculer l’auditeur. Alors, autant se le dire de suite, cet album n’est certainement pas celui qui vous permettra de faire la fête avec vos amis le 31 décembre, tant les chansons qui le composent ne respirent pas la grande forme émotionnelle ni la bonhomie. 

En filiation directe avec le virage sombre initié déjà sur le dernier album en date du groupe “Poverty”, Solnze délivre donc six chansons expérimentales et minimalistes chantées en russe. Six titres qui témoignent également du désir du groupe d’être en perpétuel mouvement, de son refus de la répétition, car il est bien vrai que chaque album, chaque maxi de Motorama a sa propre spécificité. L’excellent titre “Torture” reflète assez bien ce projet : tout en frustration et claustrophobie, porté par une énergie primaire, tout simplement tétanisant. On découvre donc une ambiance, une atmosphère, une esthétique : le chant incantatoire, des chansons comme autant de rituels en lien avec les éléments naturels, un ensemble aussi bancal que touchant. 

La musique de Utro est une musique ne versant pas dans le pathos, à écouter la nuit, entre deux songes, en s’imaginant au beau milieu d’une forêt enneigée, expérimentant le sublime par la contemplation de ce qui nous entoure dans la nature. Un recours par Utro à la mythologie russe, aux mouvements néo-païens, couplés aux influences de la musique industrielle britannique des débuts des années 80, période Thatcher. Le retour à la nature pour dépasser le nihilisme de notre époque, comme l’écrivait le poète Virgile : “Voilà comme on monte aux étoiles”. Solnze est un disque plus brut et radical, où l’évidence mélodique de Motorama laisse place à une intention plus bestiale peut-être, plus sombre certainement. En adéquation tragique avec l’air du temps.