Chronique (2022)
Après un arrêt bien mérité aux stands pour refaire le plein, le dragster SPOON débarque avec une formidable déclaration d'amour au rock des débuts.
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Un numéro 10 dans la team
Si SPOON débarque avec le dixième album d'une discographie qui les a lentement propulsés au statut de groupe superstar du rock indé, la bande à Britt DANIEL n'en reste pas moins sur deux albums en demi-teinte, They want my soul (2014) et le fatiguant Hot thoughts (2017). Peu inspirés, ces deux disques nous avaient laissé la drôle d'impression que SPOON s'était embourbé dans une crise créative plutôt inhabituelle. De l'aveu même du batteur Jim ENO, le groupe ne prenait plus vraiment de plaisir à jouer ensemble. Mais plutôt que de jouer la carte du split, SPOON a préféré s’octroyer du temps avec la sortie de Everything Hits at once (un best-of au tracklisting plus que discutable) pour se régénérer et le moins que l'on puisse dire, c'est que cela s'entend.
En faisant le choix de revenir aux bases du rock & roll des débuts, les texans ont forcément dû se souvenir qu'Elektra les avaient largués dès la sortie du second album A series of sneak, qui avait failli siffler une fin de partie prématurée. Une époque bien lointaine où SPOON se considérait simplement comme un « groupe de bars » avalant les kilomètres pour écumer les rades texans. Il faut croire que se retrouver au pied du mur fait un bien fou à SPOON, qu'on n'avait pas entendu aussi incisif depuis fort longtemps. À tel point qu'on voit un peu partout les médias tenter de nous vendre ce Lucifer on the sofa comme le meilleur album du groupe. Pour une fois, cette assertion ne manque pas d'arguments convaincants.
Mature songs
Prenez Held en introduction. Déjà maîtrisée sur scène depuis plus de dix ans, cette reprise de SMOG n'a même pas besoin d'insister sur le rythme lourd et lancinant de l'original pour convaincre. Le quintet n'en tisse pas moins une toile sonique imposante dans laquelle on se laisse volontiers piéger pendant que Britt DANIEL, plus cool que jamais, s'approprie sans soucis le lâcher-prise des textes de Bill CALLAHAN. Outre la réussite incontestable de cette relecture, Held brille également par des idées de production originales : ce sont deux prises différentes du morceau qui se partagent les canaux gauche et droit, pendant que la basse, bien raide au centre, maintient la cohérence de l'ensemble. Plus immédiat et cru que ses prédécesseurs, Lucifer on the sofa n'est pas avare en morceaux directs et efficaces, qu'on jurerait presque taillés pour les stades (The hardest cut, Wild et un On the radio beau comme un dEUS qui aurait soigné ses plaies). Il faut dire que la production massive mais jamais criarde les a bien aidés. Le groupe s'est même payé le luxe d'étirer l'enregistrement de l'album sur deux ans afin de permettre aux morceaux de grandir par eux-même avant d'adopter une forme définitive, toujours selon un Jim ENO à qui il n'a pas échappé que les morceaux de SPOON finissent toujours par être meilleurs sur scène, après quelques temps de maturation.
Nouveau départ
Quelques mois avant d'enregistrer ce disque, Britt DANIEL est revenu vivre à Austin. Cela lui a visiblement fait le plus grand bien. Très affûté niveau guitares, le longiligne texan nous offre à nouveau sa traditionnelle récitation des Telecasters de Keith RICHARDS sur le catchy On the radio et The devil and Mister Jones, classique immédiat. Mais surtout, Britt DANIEL atteint à nouveau le sommet de son songwriting. Le final Lucifer on the sofa célèbre d'ailleurs ce savoir-faire retrouvé avec un DANIEL dispersant les cendres des pires parties de lui-même lors d'une déambulation nocturne dans Austin. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si on croise autant de personnages en rupture ou sur le départ dans les chansons du disque : il y a dans Lucifer on the sofa cette idée omniprésente de fuite vers l'avant, sans trop réfléchir, tout en s'appuyant sur ses forces, parce qu'on n'a peut-être plus rien à perdre (« Mmm, this world is fragile, we're aware »). Et ça fonctionne : après avoir montré les muscles avec brio, SPOON calme le jeu le temps d'un Astral jacket réussi, ouvrant la porte à un final plus aventureux avec un Satellite qui se termine dans un bordel réjouissant et surtout ce Lucifer on the sofa que ne renierait pas YO LA TENGO pour son côté doucement psychédélique.
I got you babe
Et que dire du fascinant My babe livré à mi-parcours ? Programmé en moins de quatre minutes pour passer d'une touchante ballade intimiste à un tube garage punchy, le morceau voit Britt DANIEL nous livrer sa plus belle déclaration d'amour inconditionnelle (« Sign my name, hold my breath / Sing my heart out, beat my chest for my babe / Let our love beat in time / Let our hearts go on and on now my babe ») pendant que le groupe derrière lui assure un crescendo irrésistible avec ses guitares acérées. Comme on tient ici le plus beau morceau de ce début d'année discographique, ça ne fait désormais plus l'ombre d'un doute : SPOON a retrouvé la clé du succès et semble désormais prêt à rivaliser avec la glorieuse période Kill the moonlight/Gimme fiction/Ga Ga Ga Ga Ga, âge d'or du groupe.
Si on pouvait craindre le pire de cette collaboration avec le producteur Mark RANKIN (QOTSA, ADELE), épaulé par un Dave FRIDMANN étonnamment dans la retenue sur les basses et la distorsion, il n'y a pourtant rien à jeter tout du long de ces dix morceaux inspirés qui profitent avantageusement de ce son à la fois plus ouvert et « terrien » (selon DANIEL). Et ça n'est même pas un Wild co-écrit avec Jack ANTONOFF (?!) qui viendra ternir l'ensemble, bien au contraire. Sans fioritures et remettant les aspects les plus groove du groupe au placard (malgré quelques clins d’œil pas trop appuyés), Lucifer on the sofa nous reconnecte enfin avec un SPOON inspiré du début à la fin, pour un sans-faute aussi réjouissant qu'inattendu.
Eric F.
(08 avril 2022)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
SPOON. Lucifer on the sofa (Matador, 2022)
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Pour prolonger...
SPOON : Bandcamp
SPOON : My babe (Live in Los Angeles)
SPOON : Sister Jack
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #XXX (XX/XX/2022)
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Photographies : Eric F.
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