SUR NOS PLATINES #16 // par bingO

Les disques de la semaine // 24/04/2020
1 / JUNGSTÖTTER – Love is – PIAS (2019)
 
Love is


Dans la musique électrique moderne, tout est affaire d’écriture, d’interprétation, d’incarnation. Scott WALKER le savait. Il nous a malheureusement quittés en mars 2019. Quelques mois après cette disparition, le jeune chanteur et musicien allemand Fabian ALTSTÖTTER met fin à son groupe électro post punk (SIZARR), se renomme JUNGSTÖTTER et publie Love is, formidable premier album sur les pas du maître disparu. En allemand, alt signifie vieux et jung veut dire jeune. Alors qu’il n’a pourtant que 28 ans, Fabian s’offre donc avec ce disque une nouvelle jeunesse.
Depuis les cartes postales écossaises de Paul QUINN & The INDEPENDENT GROUP (en 1992 et 1994, cf. Sally Ran) ou l’enivrant Whiskey du suédois Jay-Jay JOHANSON (en 1996), nous n’avions pas autant vibré pour une voix (I wonder why v/s It hurts me so). L’amplitude vocale est impressionnante. Dans les basses, elle explore les tréfonds, voire les bas-fonds de l’âme humaine. En hauteur, elle tutoie la voûte céleste. Plutôt classiques, les compositions sont soulignées par des arrangements sophistiqués. L’interprétation est classieuse, mélancolique, dans la plus pure lignée de Nick CAVE. Comme chez Nina SIMONE ou le SINATRA de Watertown, la mélancolie se fait parfois pluvieuse ou venteuse (The rain, à rapprocher du Wild is the wind de Queen Nina ; I wonder why rappelant For a while de Frankie). Les envolées vocales, finales ou totales évoquent la puissance de Cathal COUGHLAN et ses FATIMA MANSIONS (In too deep, The wound wrapped in song et To be someone else). Et quand la musique se fait épure, presque Silence, on songe au regretté Mark HOLLIS, avec ou sans TALK TALK.
Vous l’avez senti, avec Love is de JUNGSTÖTTER, nous sommes face à un disque de grande musique.

 
2 / FAD GADGET – The best of Fad Gadget – Mute (2019)
 
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r-46364-1330596085.jpeg.jpg, by Laetitia

Il était temps que Mute réédite la compilation de ce groupe majeur, tant pour l’éducation des foules que pour l’arrêt des spéculations (il y en a assez que sur le web, dans les magasins d’occasion ou dans les conventions, des requins se goinfrent sur le dos des curieux et des gens de goût ! ). Juste avant que ne commencent les années 80, le singulier anglais Frank TOVEY créé le groupe de musique électronique et industrielle FAD GADGET. Avec une économie de moyens (synthés vrillés, boîte à rythmes et voix lugubre, à faire passer Peter MURPHY de BAUHAUS pour CARLOS), il contribuera à l’esthétique moderne du tout jeune label Mute.
Sans jamais rencontrer de succès auprès du grand public, sa douzaine de singles et ses quatre albums influenceront de nombreuses formations, du early DEPECHE MODE (la bande de Dave GAHAN assura ses premières parties) à la kyrielle de groupes électro-post punk actuels. Performances scéniques flirtant avec la mise en danger corporelle et quotidien dans l’underground musical auront alors raison du groupe. Après des projets solo plus apaisés qui le mène au début des années 90, Frank TOVEY se range des voitures pendant presque une décennie, avant de mieux revenir en 2001, avec FAD GADGET, en première partie de... DEPECHE MODE. Une crise cardiaque le terrasse malheureusement un an plus tard. Majeure, l’œuvre demeure. Elle est à (re)découvrir absolument.

 
3 / EZRA FURMAN – Sex education Original soundtrack – Bella Union (2020)
 
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712arkpipwl._ss500_.jpg, by Laetitia

Quand il s’agit de se plier à l’exercice de la musique de film (ou de série, comme ici), certains artistes n’hésitent pas à traiter cela par-dessus la jambe, en recyclant des fonds de tiroir (voire les poubelles) ou en déclinant un thème de deux notes sur douze pistes, en changeant légèrement les arrangements. Le plus souvent, on a droit à des instrumentaux éthérés, dépouillés, parfois ennuyeux. Quand la plateforme NETFLIX a fait appel à Ezra FURMAN pour illustrer en musiques la série Sex Education, il y avait de quoi se réjouir. Malheureusement, ici, la mention bande ORIGINALE ne convient pourtant pas totalement. Si la générosité est palpable, puisqu’il y a 19 titres, cela ne signifie pas pour autant que tous furent spécialement écrits et composés pour la série. En effet, cet album hybride comporte seulement huit chansons inédites. Les onze autres sont issues de précédents albums (hormis le fabuleux dernier, déjà chroniqué et défendu sur notre site web). Presque originale, cette B.O, est donc aussi un simili best of présentant les différentes facettes musicales de l’artiste : folk, glitter rock, pop débridée...
Sur les nouveautés, malgré la tendance à privilégier le mid tempo, Ezra FURMAN n’en reste pas moins intense et vocalement habité. Le résultat est cohérent et tient efficacement la route : passé et présent cohabitent sans aucun problème, et s’il reste fidèle à la morgue velvetienne (Amateur), la palette des influences s’étoffe : la rage lennonienne du double blanc des BEATLES (Early rain) se frotte notamment à l’Americana de Neil YOUNG (I’m coming clean). 
Ni amateur, ni copieur, Ezra FURMAN peut éduquer les foules, en toute liberté.

bingO

24/04/2020