SCOTT YODER

« Looking Back in Blue » (Annibale Records) // Par Lucas Léonard
Scott Yoder | Petit Jourdan – Limoges | 22 avril 2016

Les abonnés sont de sortie : l’appel du Ptit J a résonné depuis le cœur du quartier de la cathédrale et le rendez-vous est pris pour un incontournable apéro-concert.
Le bar le plus ancien de Limoges, sanctuaire rock’n’roll pour tout détraqué de la disto, nous ouvre une nouvelle fois sa porte lugubre, subtilement balisée par de veines loupiotes écarlates qui ouvrent la voie aux derniers gobe-mouches attirés par les effluves embaumés du rade.
Ce soir le vagabond de Seattle, Scott Yoder, pose ses valises le temps d’une escale et jouera, comme à l’accoutumée, un double concert de 30 min.
L’ancien de « The Pharmacy » (Burger Rds) vient distiller une indie-folk lyrique et classieuse, et ça change des habituelles éruptions sonores qui barbouillent régulièrement les murs de cérumen.
Après avoir sorti en 2015 son premier EP solo, “Sisters Under The Mink”, qui lui aura permis d’assurer les premières parties de Kevin Morby, Mark Lanegan ou Jessica Pratt, l’apprenti frontman présente son album « Looking Back In Blue », et organise sa première tournée européenne avec un backing band. Un moyen pour lui de se dépêtrer d’une routine ennuyeuse qui aura provoqué une rupture délicate avec son ancien groupe.

Rencontre autour d’une table ronde :
 « J’avais besoin de respirer, j’avais envie de liberté pour écrire ce disque et avoir un groupe depuis tes 15 ans, c’est un peu étouffant. »
En effet, l’émancipation est totale, le petit Scott hume l’air du grand large et laisse l’outillage superflu à la maison. Fini les salves électriques du garage, place à la Vox acoustique 12 cordes : «  Je voulais juste partir sur la route, tout seul. Faire de la guitare acoustique semblait être la façon la plus évidente pour moi de me lancer! J’ai eu cette guitare 12 cordes après que mon autre acoustique se soit brisée à un concert de Pharmacy… Elle est accordée en C (comme Leadbelly) et je me suis dis que si je faisais des concerts en solo, je devais avoir autant de cordes que possible ! »

L’album a été enregistré à Portland, dans un ancien atelier nommé « Odditorium » (bien connu des Dandy Warhols) : « Il y avait des motos, beaucoup de livres, une grande cuisine et une salle de vidéo … tout ça à notre disposition ! »
Les morceaux sont plus doux, majoritairement acoustiques donc, avec quelques gimmicks country (Where does she go ?) et pourtant on distingue un zèle typiquement californien, surtout en live. Le show est carré, professionnel, mais délicieusement imparfait. Des mélodies précises et séduisantes s’échappent d’un brouillard nébuleux au milieu duquel Scott pose une voix éraillée, sympathique, aux nuances volontairement approximatives, ce qui renforce la candeur du personnage et souligne la finesse des textes.
Concernant l’écriture justement, il est dit que Scott Yoder est un auteur qui pratique un style de composition plutôt humoristique et spirituel. Le confort de l’Odditorium et la volonté précise de l’artiste à confectionner un disque intime et personnel semblent le faire pencher du côté de la confession. Les paroles de « Looking Back in Blue » dénotent une forme de scepticisme et de mélancolie :
« C’est un aperçu de l’état dans lequel j’étais au moment d’écrire les textes. Mon groupe se sépare, ma copine s’en va, mon bras se pète dans un accident de vélo … j’avais la poisse quoi ! Mais je n’étais pas encore assez dépressif pour m’arrêter d’écrire sur ces épisodes. Habituellement je suis d’un naturel timide, mais plutôt positif ! C’est ce qu’on pourrait appeler une période creuse, ou une vibration négative…»  

Des thèmes plus sombres dans l’univers pourtant bariolé de Scott Yoder, qui ne l’empêchent pas de titiller sa faculté d’analyse et de cultiver quelques traits d’esprits bien sentis, notamment à travers la chanson « Songs to Strangers ». C’est à ce moment du concert que Scott se prélasse, tout en chantant, de façon indolente sur le sol pourtant profusément imbiber de bibine  (imbibiner ?), et considère l’assistance avec un air hagard, à l’affût d’un regard curieux ou d’une interaction mécanique entre deux membres de son public. C’est le moment où Scott assiste à son propre concert, et c’est ce que raconte ce morceau : «  Je ne fais qu’énoncer l’évidence. Chanter pour des étrangers c’est littéralement ce qui t’arrive chaque soir en tant que musicien, et c’est drôle que les gens oublient à quel point cela peut paraître surréaliste et absurde … »
Et lorsqu’on lui demande quelles peuvent être ses autres sources d’inspiration, Scott nous parle de cinéma et plus particulièrement de « films noirs » : « En dehors de la musique, je regarde beaucoup ce genre de films. Orson Welles, Jean-Pierre Melville, John Huston … Le style sombre et simple est quelque chose que j'aime retrouver dans la musique en ce moment… Des choses épurées, pas de sur-instrumentalisation … D’une certaine façon, on se rapproche d’une éthique punk »
 
Un premier album spontané qui, à travers de sobres moyens matériels, couple parfaitement la douceur des mélodies indie/folk avec la poésie des textes de Scott : Un natif de Seattle qui passe beaucoup de temps en Californie mais qui ne sait toutefois pas surfer (selon lui, ce n’est pas faute d’avoir essayé).
Scott Yoder se découvre en live, et il est vraiment très sympa.