ROUTE DU ROCK #26

Bilan des 3 jours - Par Laetitia Lacourt - Pic by David Leprince
JOUR 1 

C’est reparti pour le rituel festoche d’été. Préparer son sac de survie, choper une navette bondée, arriver à Saint-Père-Marc-en-Poulet, marcher, marcher, ricaner un peu devant ceux qui galèrent avec leurs tentes, découvrir le comité d’accueil (militaires en faction), récupérer le bracelet, marcher, marcher, attendre un peu qu’une palpeuse vienne procéder à la fouille au corps, pénétrer le Fort de Saint Père, récupérer les goodies – merci Vico et Arte, puis, le graal, commander la première binouze. Parcours du combattant passé, tu sais que la première lampée du breuvage houblonné marque vraiment le début des festivités.

Justement. Scène des Remparts, c’est Psychic Ills, un quartet new-yorkais signé sur l’excellent label Sacred Bones Records. Mes yeux se posent surtout sur le chanteur, lunettes noires, cheveux mi-longs, bouclettes et costard blanc puis sur la bassiste, une brune mi hippie-torride mi beauté-froide avec une très longue robe bleue. Pas idéal pour chauffer les foules avec leur rock psyché plutôt froid, Psychic Ills colle pourtant très bien à cette fin d’après-midi, pour chiller dans les cailloux tranquille. Lent, doux, parfois brumeux et même hypnotique (longues plages instrumentales), le set arrive à me convaincre et la voix de Tres Warren n’y est sans doute pas pour rien.

C’est au tour de Kevin Morby. Principale motivation de ma venue ce soir, je rempile pour la troisième fois. A une différence près, c’est une première en festival. Je passe donc des caves intimistes à une scène baignée d’une belle lumière malo-californienne. Les derniers UV de la journée viennent lécher les boucles blondes de Kevin et la magie opère une fois de plus. J’ignore si ce sont les premiers effets de la pinte descendue en 15 minutes en plein cagnard mais la ressemblance avec Val Kilmer, période The Doors, est frappante. Toujours les mêmes frissons dès les premières notes de Miles,Miles,Miles, de All of my life, The ballad of Ario Jones, ou encore Harlem River et Singing Saw qui au fur et à mesure des tournées ont tendance à se psychédéliser et s’électrifier pour notre plus grande jouissance. La musique de Morby a un sacré pouvoir, celui de nous faire voyager et vagabonder. Une heure plus tard, on pose les valoches, le concert est fini.

45 minutes avant l’arrivée de la tête d’affiche de la soirée, un quart des festivaliers se presse sur le merch et le stand labels et fanzines. Evidemment, je reste des plombes et évidemment j’y lâche l’intégralité de mon porte-monnaie en bouquins. Au rayon des Editions le Mot et le Reste, j’achète entre autres ma future bible, « Rock garage, fuzz, farfisa et distorsions » de Christophe Brault qui sortira le 19 août dans toutes les bonnes librairies.

21h, Belle & Sebastian entrent sur scène. Si je reconnais le talent des écossais venus fêter leurs 20 ans d’existence à la Route du Rock, je ne suis pas très cliente du groupe. Je profite d’une programmation pas tout à fait dans mes cordes pour disparaître et tester la navette de 22h, pour moi toute seule.

JOUR 2

Rebelote. Abandon de la navette au profit de la voiture. Le rituel s’installe avec dans l’ordre : les militaires de Sentinelle, l’expo de Renaud Monfourny sur le chemin, la fouille, les chips au poulet grillé Vico, le cashless, la première gorgée de bière. 

J’arrive sur la fin du set de Ulrika Spacek et je n’ai pas le sentiment d’avoir raté grand chose. Scène du Fort, voici Luh (Lost Under Heaven). Je suis assez impatiente de revoir Ellery James Robert, ancien leader et chanteur du groupe mancunien Wu Lyf et garde le souvenir d’un concert poignant à la Cigale, où il avait fini à genoux sur scène, lessivé de s’être martelé le poitrail en hurlant « spitting blood ». Lui, jeans slim, boots, marcel en maille de filet blanc et l’éternel bandana, elle (Ebony Hoorn), une brunette piquante, vêtue de noir de la tête aux pieds. Au bout de quelques chansons, on comprend surtout que le duo est fin prêt pour un shooting de The Kooples et que l’on est plus sur la Route du Love que la Route du rock. On comprend surtout que la voix éraillée de Ellery James Robert se suffit à elle-même et que sa douce est un brin gueularde et maniérée. Et l’addition colère + amour qui dégouline un peu trop dépassent les limites de ma patience.

Je pense me consoler avec le set de Tindersticks et la voix de Stuart Staples. Comme je suis ce type de meuf qui fait parfois un concert pour une seule chanson, j’attends pendant une heure The Hungry Saw… qui ne viendra jamais. J’ai beau surveiller les changements de guitare, fantasmer sur cette clope que j’allumerai dès les premières notes pour solennelliser l’instant : rien, nada. Autour de moi, le public s’endort un peu, s’impatiente beaucoup et il faut l’avouer, ce set est long et lent, limite éprouvant malgré un Boobar assez magique.

Direction le merch. Je fais le plein de tee-shirts, histoire d’emmerder tous les autres dans le placard et j’achète aussi un badge que je perds exactement 120 secondes après. Je teste un étrange chili con carne-frites et me cale devant La Femme. Vus plusieurs fois en live, ce nouveau set me confirme qu’elle est toujours aussi captivante, belle et sexy. Aux côtés de nouveaux titres comme Où va le monde ou Mycose annonçant un nouvel album prometteur en septembre, la Femme nous offre enfin une grosse jouissance sur la Route du Rock avec les hymnes pop de leur premier album Psycho Tropical Berlin : Nous étions deux, It’s Time to Wake Up (2023), Sur la planche, Antitaxi. Le public est conquis et se laisse aller à une queue-leu-leu géante lancée par le groupe.

Minuit. Je commence à rêver d’un stand kiné et tente d’oublier que la station debout 6 heures d’affilée n’est bientôt plus de mon âge devant Suuns. A priori, leur indie-rock flirtant avec le krautrock et les musiques électroniques n’est pas du tout ma came. Trop claustro pour m’imposer ça. Pourtant, si c’est parfois étouffant c'est souvent captivant, forcément puissant et complètement maîtrisé.

Retour au parking en compagnie des acouphènes. Outre le bonheur d’un trajet dans les champs de Saint-Père Marc-en-Poulet en pleine nuit, aussi caillouteux que poussiéreux, te donnant l’impression de faire le Paris-Dakar, il y a aussi le check point de la gendarmerie nationale installée pile à la sortie du festival. Trop sympa.

JOUR 3

On prend les mêmes et on recommence. La soirée débute avec Morgan Delt. Plutôt fan de la scène pysché californienne, je me poste rapidement pile devant. C’est bien mais j’ai quand même l’impression que la route empruntée par les grands frères de Tame Impala, Temples & co commence à être bien embouteillée et que le Morgan est coincé dans les bouchons.

Quelques minis sachets de Vico et le set de Julia Holter plus tard, la foule se presse devant la scène des Remparts pour accueillir FIDLAR. La moyenne d’âge du public est tombée d’un cran, les rires se font plus gras, c’est parti pour le live WTF de la soirée. Un peu comme au foot, c’est le moment d’être tactique et de choisir sa position. J’hésite entre le banc de touche et le couloir droit car je sais pertinemment que ça va remuer sévère. FIDLAR sera LE concert à retenir de ces 3 jours : un pur moment de punk rock, franc du collier, crado et juteux. Les gobelets de bière volent dans le ciel de Saint-Père, le chanteur Zac Carper alterne les roulades acrobatiques et les grimaces gouailleuses : la mécanique est parfaitement huilée. En deux mots : débile et efficace.

Fat White Family enchaîne direct sur la scène opposée. Pas à une provoc près, ils accueillent les festivaliers avec le chant du muezzin. Finalement de moins en moins crasseux et méchants au fil des concerts, je re-découvre cette famille avec plaisir, curieuse de voir en live ce que peu donner leur second album. Le leader, Lias Saoudi continue de performer et de se tortiller comme un iguane sous acide mais le show est moins rampant, moins spasmodique que dans leurs débuts. Malgré tout, ça reste brutal et décharné, parfait pour ma clôture personnelle de la soirée.