La discothèque idéale / Trésor caché #013
Dans une Amérique multiculturelle qui se cherche une unité, la Folk propose parfois l’harmonie des voix. Des pionniers EVERLY BROTHERS et PETER, PAUL & MARY, aux supergroupes comme CROSBY, STILLS, NASH & YOUNG, en passant par SIMON & GARFUNKEL et les plus confidentiels FREE DESIGN, la musique est devenue une histoire de famille à composer, au-delà des dissensions et des dissonances. Les trois sœurs ROCHE perpétuent cette histoire de conciliation de la diversité en proposant une polyphonie intime, joyeuse et bizarre.
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Au départ, et comme pour tout bon trésor caché, le potentiel commercial semble très faible. Deux sœurs, Maggie et Terre ROCHE, débarquent de leur campagne du New Jersey. Elles ont appris la guitare en suivant des tutoriels à la télévision, et veulent se lancer dans la chanson avec leurs propres compositions, mélange improbable de folk traditionnelle, de chants de Noël, et d’humour décalé. Elles rencontrent lors d’un séminaire sur la composition à l’université de New York, le grand Paul SIMON. Ému par la sincérité et la sensibilité musicale de ces deux voix qui s’entrelacent avec naturel ; qui lui rappelle peut-être ses débuts avec GARFUNKEL ; il les prend sous son aile. Invitées à participer aux chœurs du chef d’œuvre There goes rhymin’, elles obtiennent par la même occasion un contrat avec Columbia pour un premier album (MAGGIE and TERRE ROCHE, Seductive reasoning) qui bénéficie de la présence des musiciens de leur mentor.
Une histoire de Fripp
Déçues par l’industrie musicale et humiliées par une maison de disque qui leur demande de porter des vêtements à la mode, les deux sœurs envisagent de s’arrêter là. L’expérience d’un enregistrement avec des musiciens professionnels a nourri leur complexe d’infériorité. Elles se replient à Hammond, une petite ville universitaire de Louisiane. Les deux sœurs travaillent dans un restaurant et loge chez une amie qui dirige une école de Kung-Fu. Bientôt rejointes par leur petite sœur Suzzy, elles subliment leur malheureuse expérience new-yorkaise en écrivant The hammond song, chant d’exil ambigu, libérateur et déchirant, qui met en scène une femme qui quitte sa famille pour suivre l’homme qu’elle aime. La complexité qu’autorise l’arrivée d’une troisième voix est au service d’une mélodie simple, d’abord chantée à l’unisson. Puis les partitions se séparent, les canons et les variations créent un effet d’halo, qui apaise et étourdit. Le temple de Kung-Fu ferme et le trio revient à Greenwich village avec de nouvelles compositions. Cette fois-ci, c’est Robert FRIPP, le leader de l’expérimental KING CRIMSON, qui tombe sous le charme et propose de produire le premier album des ROCHES.
Sororité sonore
Ce premier essai est un sommet, qui oscille sans cesse entre la naïveté et la virtuosité, entre le dépouillement et la richesse des arrangements vocaux. La production de FRIPP sert le propos avec grâce. Il met au service sa guitare dans un solo au son inimitable pour électriser subtilement The hammond song, et parsème les autres chansons de touches discrètes et essentielles. Il appose sur le disque le label « Produced in Audio Verite by Robert Fripp » : cette mise à nu rappelle que les ROCHES n’ont pas besoin de gadgets et de fripes tendances. Du côté des compositions, le titre We ouvre le récital à la manière des MAMAS & PAPAS, et présente le groupe avec dérision. Mr. Sellack est dans la même ligne, entre blues minimaliste et cabaret. Le curieux Damned old dog, rappelle les harmonies de The BAND, et envisage une métamorphose canine pour régler des problèmes sentimentaux. Les guitares de The troubles annoncent les KING OF CONVENIENCE, et abordent avec anxiété un voyage en Irlande en temps de guerre civile. The train et The married men convoquent Joni MITCHELL, dans la forme et le fond. Les ROCHES joue la corde sensible d’un féminisme implicite dans les situations évoquées, entre répulsion et attirance pour le sexe opposé, qu’il s’agisse d’un passager qui prend toute la place dans un train, ou d’un homme marié à séduire. Runs in the family et Quitting time envisagent de nouveaux l’exil, le déracinement et la rupture familiale. Pour finir les ROCHES nous laisse hagards, avec une fable morale aux airs psychédéliques (Pretty and high). L’album est encensé, considéré comme le meilleur de l’année 1979 par le New York Times. On ne sait pas trop s’il entretient la flamme du folk américain ou s’il passe le flambeau à l’anti-folk de demain. Œuvre charnière, mais souvent oubliée.
Paul MÉGLOT
(23 janvier 2024)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
The ROCHES. The Roches (Warner Records, 1979)
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Pour prolonger...
THE ROCHES. Nurds (Warner Bros, 1980)
THE ROCHES. Keep on doing (Warner Bros, 1982)
Paul SIMON. There goes rhymin’ (Columbia, 1973)
The FREE DESIGN. Kites are fun (Light In The Attic, 1967)
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Photographies : DR
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