Hambourg la reine // Par Laetitia Lacourt
Voici l’ultime étape de ce road-trip et pas des moindres. Commençons par nous ambiancer : le lac Alster à découvrir dans la brume en se pelant le cul au petit matin, les hectolitres de bier qui coulent à flot sur les rives de l’Elbe faisant scintiller un peu plus les gros cargos qui passent, l’ancien quartier de pêcheurs, St Pauli, devenu über-branché et QG de punks et hipsters, les canaux de Speicherstadt et ses droites parallèles parfaites d’entrepôts confirmant qu’une brique est aussi chic que le fric et même ses petits sandwiches au poisson : la ville d’Hambourg vaut son pesant de Bretzel et ce n’est pas la scène rock garage locale qui dira le contraire.
Sick Hyenas
Parmi la faune endémique, les rois de la savane sont définitivement les Sick Hyenas. Formé en 2013, ce trio de hyènes malades bave un merveilleux garage psyché surf punk à la hauteur des canadiens Dead Ghosts. On se souvient de leur premier album éponyme, sorti en 2014 sur Moody Monkey Records et Retard records (réécoutez les bandantes ou jouissives "Surf'N Blood" ou "Radar Eyes") : 12 titres incisifs et mélodies entêtantes qui respiraient l’urgence, crachaient le danger au coin de la rue tout en vous propulsant dans une ambiance portuaire des années 20, avec putes, dockers et pièges à rats compris. 1 an après, Velvet (guitare et chant), Thore (guitare et chœurs) et Eddie (batterie) remettent le couvert chez Six Tonnes de Chair Records avec un 7’’ parfait : la voix punk passée à la toile émeri, les guitares cinglantes et tranchantes de "Like a cramp" sont venues confirmer le talent des hambourgeois pour exprimer une certaine rage rock’n’roll.
2017 s’achèvera sur l’arrivée de leur second LP, "Heaven For A While" sorti le 8 décembre sur Rookie Records. Fruit de 4 ans de tournées de concerts, ce nouvel album est un portrait du groupe avec 10 titres qui s’enfilent aussi rapidement que 25cl de 1664 après une petite poignée de cacahouètes. Et si ça glisse aussi bien, c’est parce que c’est aussi bien plus garage surf : "Cry for me", "Flohleiter" (tiens, on pense un peu à "Wipe Out" des Surfaris), "Warm Grave" pour ne citer qu’elles. Et une mention spéciale à "In Her Bloom" qui sent bon les vagues et les road trip en combi sur la côte californienne. L’album parfait.
Swutscher
L’autre gros coup de cœur de cette scène, c’est Swutscher. Sextet un peu agité du bocal, à l’image de leurs influences, Sascha, Martin, Sven, Velvet, Seb et Mike se revendiquent d’Isolation Berlin, Fat White Family, Voodoo Jürgens et des Abigails. Putain, ça promet.
Entre country lo-fi et garage hippie-western, Swutscher pourrait bien être une sorte de beach goth allemand ou de Stranges Boys ressuscités en bouffeurs de choucroute, c’est à dire du « garage schlager » dans le jargon local. Auteur d’un superbe EP, Wahnwitz (= « folie » dans la langue de Goethe), sorti le 19 mai 2016, le groupe se distingue par des paroles drôles et cyniques, une voix débonnaire et nonchalante, crachoteuse et éraillée s’accordant parfaitement à leurs guitares décalées et leurs mélodies chaloupées. "Oki Doki", "Drahtesel", "Perle"… Vous voilà avec la bande originale parfaite de votre prochaine wiener schnitzel, arrosée de schnaps dans un vieux bouge allemand aux murs décrépis et dont le ventilo bruyant n’effacera jamais les effluves persistantes de milliers de paquets de F6 grillés ici.
Death Canyons
Si ces hambourgeois n’ont pas inventé la recette de la sauce surf-psyché, il faut quand même admettre qu’avec eux, ça dégouline parfaitement côté fuzz et reverb. Sorte de Dead Ghosts à qui on aurait enlevé l’ingrédient country et rajouté une goutte d’Ultra Death sauce Blair’s, les Death Canyons excellent s’il s’agit de vous faire saigner les oreilles : bruitistes, leurs morceaux lo-fi grésillent, bourdonnent, claquent, pétaradent, hurlent et vocifèrent dans un hourvari guitares-batterie influençées par les Demons Claws, Reatards, Oblivians, The Perverts… Après un EP K7 en juin 2016, un second, "Death Canyons II" a vu le jour en mai 2017 sur La Pochette Surprise Records (label de Velvet des Sick Hyenas). On attend impatiemment un LP.
Dolphin Lovers
Toujours chez La Pochette Surprise Records, avec un EP paru en mai 2015, on retrouve le garage surfounet plutôt grunge pop des Dolphin Lovers. Outre un nom un peu trop kawaï qui me rappelle autant le Grand Bleu, un documentaire soporifique sur Thalassa ou pire, des posters dégueulasses dont certains enfants, dépourvus du monopole du bon goût, tapissent les murs de leurs chambres, les Dolphin Lovers vont un peu plus loin que le bout de nez de leur cétacé favori en revendiquant des influences plutôt bien senties : Sick Hyenas, Pike Mumborn & the Jams, Thee Oh Sees, Ty Segall, White Fence, The Memories, White Fang, Night Beats, The Growlers, Chain & the Gang… Comme les dauphins, Dolphin Lovers possède un large spectre sonore dans les sons qu'ils émettent, principalement à coups de whou hou hou (écoutez donc "Flipper", mais aussi "YTY" et "Depressive Thoughts"). C’est globalement bien plus calme que tous les groupes suscités, mais on aime bien le côté branleur californien ("She’s fine") de l’affaire.
Curlee Wurlee
Sans aucun doute les plus vieux de la sélection. Pour autant les principes actifs du rock’n’roll semblent avoir aider les Curlee Wurlee à conserver cette éternelle insolence juvénile, le temps n’ayant visiblement aucune incidence sur ce groupe, teenage à souhait. Avec 4 albums et une dizaine de singles au compteur depuis 1999, le groupe évolue dans un savoureux mélange de garage punk, beat, punk rock et néo-garage et restent influencés par The Mummies, The Muffs, The Music Machine, The Cramps, etc. Symbole de l’amitié franco-allemande, les compos naviguent entre chant anglais et narrations gauloises sur des émotions simples telles que la joie, la colère, la tristesse, l'amour, la haine. Composé de Organella (Cécile Musy qui a joué avec de nombreux groupes tels que Thee Outlets, Dollsquad, Speedball Jr., Sonny Vincent, Painted Air, Stunde-X, Boonaraaas…) et de trois musiciens au CV tout aussi bien référencé, les Curlee Wurlee ont sorti leur dernier album, Birds and Bees, en mars 2016, sur Moody Monkey records.
La voix féminine et sexy ("I wanna know"), des mélodies sixties un peu déjantées et « sorcières » ("Touch My Alien" – sublime), une rythmique entêtante façon ritournelle de cirque ("i don’t like you" ou "please don’t go") et un petit quelque chose d’indéfinissable à la fois naïf, kitsch, sucré et burlesque - un petit peu comme si on avait foutu France Gall sous acides période Annie aime les sucettes à l'anis – rendent ce groupe absolument incontournable dans la galaxie sixties d’aujourd’hui. Ca donne du coup quelques titres assez addictifs tels que "Tu es fait pour me sucer (le sang)" dont je vous recommande l’écoute attentive des paroles ou encore « Tu perds ton temps ».