Revenir au monde

 : MOUNT EERIE

Chronique (2025)
          C'est le grand retour de MOUNT EERIE, avec toujours à son sommet, le grand Phil ELVERUM.
 
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
attachment-mount-eerie-2023-tour-copy.jpeg

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

          En ressuscitant son projet The MICROPHONES avec un album-chanson fleuve il y a cinq ans (The Microphones in 2020), Phil ELVERUM revenait sur toute sa vie et sa carrière musicale dans un fascinant flux de conscience de quarante cinq minutes. C’était aussi pour lui un moyen de s'éloigner (du moins artistiquement) du décès de son épouse en 2016, l’artiste québecoise Geneviève CASTREE. Une disparition au centre de deux albums et un live, aussi magnifiques que bouleversants (A crow looked at me, now only et (After)). Il aura donc fallu attendre quatre ans pour que Phil ELVERUM occupe à nouveau le devant de la scène et que MOUNT EERIE reprenne ses droits. Une sacrée anomalie quand on considère que Night palace est le vingtième album d'une discographie débutée il y a deux décennies.

Notre homme n’est pas resté inactif pour autant : il a compilé ses œuvres avec The MICROPHONES dans un coffret vinyle aussi indispensable que hors de prix, vu un documentaire lui être consacré en 2022 (There’s no end), est apparu dans un podcast dédié… à BLINK 182 (?!), s’est marié avec l’actrice Michelle WILLIAMS et a déménagé à New York avec elle, avant de divorcer à peine un an plus tard. Il a aussi magnifiquement trollé un journaliste qui l’avait interviewé sans connaître grand-chose de sa musique. Sur le front musical, ELVERUM nous avait offert Huge fire sur la compilation Colors du label japonais ep7. Un inédit musclé qu’on retrouve également sur Night palace et qui annonçait le renouveau de notre homme :  « I heard singing at twilight / Trailed by belongings, I crawled forward / Into a clearing at dusk / And got a huge fire growing ».
 
735e21e0-c5fa-4388-b79a-ab18c217ffdc_3000x2076.jpg


Tout cela nous amène donc à Night palace, un album extrêmement ambitieux, de par sa longueur (26 morceaux pour une durée totale dépassant les 80 minutes), mais aussi par sa richesse sonique. Il faudra bien évidemment plus que quelques simples écoutes pour digérer cet album hors norme, une nouvelle fois réalisé par ELVERUM de A à Z, de sa conception et son enregistrement jusqu'à sa commercialisation via son label Elverum & Sons. Seul élément extérieur, l'intervention de sa fille Agathe qui s'époumone de façon cathartique sur un Swallowed alive qui n'est pas sans nous rappeler le glorieux-mini album Black wooden ceiling opening qui assaisonnait le black metal à la sauce lofi.
Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres : Night palace met un point d’honneur à récapituler toutes les incarnations musicales de MOUNT EERIE. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y en a pour tous les goûts : folk intimiste, brûlot metal, saillie indie, slowcore minimaliste et méditation électro atteignant une forme d’abstraction quasi totale. ELVERUM, peu avare en contre-pieds (I walk, I need new eyes), ne renie rien de son passé et l’assume même pleinement. Ses fans se feront bien évidemment une joie de déceler l’influence des albums précédents sur la genèse de Night palace, qui parvient à dépasser la beauté schizophrène du pourtant très riche Sauna (2015).

On ne s’étonnera pas que Night palace doive son nom à un poème de Joanne KYGER, figure de proue de la beat generation et adepte du bouddhisme zen, car ELVERUM a souvent répété en interview son intérêt pour la chose, bien qu’il rejette fermement toute forme de religion. Ce clin d’œil à la poésie vient rendre caduque l’affirmation laconique de Real death sur A crow looked at me : « When real death enters the house, all poetry is dumb ». ELVERUM embrasse même cet art explicitement sur Writing poems. Du vent soufflant sur les ailes d’une abeille jusqu’au bruit métallique des camions poubelles, la tête pensante de MOUNT EERIE nous rappelle que la beauté est partout, pour peu qu’on sache la voir, avant qu’elle ne disparaisse : « I write ideas down in pencil, I barely press the page, For every bone in the museum a million more have blown away ». Qu'importe s'il faut aller la chercher dans des endroits inattendus (Empty paper towel roll et son électricité renversante) ou dans un monde fantasmagorique (étonnant et solennel Stone woman gives birth to child at night). Si Night palace offre à son auditeur une incroyable diversité musicale, il faut également souligner le niveau très élevé des textes d’ELVERUM, formant un ensemble ultra-cohérent, entre contenu autobiographique et ouverture sur le monde, laissée de côté ces derniers temps, mais pourtant loin d’être inédite.
 
the-microphones-mount-eerie-1st-ex-us-vinyl-lp-album-record-838072c_1280x1308.jpg



ELVERUM n’en reste pas là : il aborde également la question des Amérindiens dépossédés de leurs terres (« But don’t they realize all our stolen wealth is built on screaming bones ? »), thématique centrale de l’hypnotique Non-metaphorical decolonization, condamnant fermement cette Amérique réactionnaire incapable de nettoyer le sang qu'elle a sur les mains (« Now we live in the wreckage of a colonizing force, Whose racist poison still flows ») et qui fait de ce Night palace l’album le plus ouvertement politique de MOUNT EERIE.

Night palace a cette bluffante qualité de parvenir à figer le temps grâce à la beauté de ses compositions, de la minute de l'apaisé My canopy aux douze de Demolition. Et en marquant un net contraste, tant musical qu’au niveau des textes, avec sa « trilogie du deuil », cet album ouvre brillamment un nouveau chapitre de la carrière fascinante de Phil ELVERUM. Qu'il aborde ici une facette plus revendicative de son art ne l'empêche nullement de maintenir un sacré niveau d'excellence.
Certes, c'est une habitude chez MOUNT EERIE, mais ça n'est quand même pas tous les jours qu'on croise des disques de vingt six morceaux où pas un seul n'est à jeter.   

 

Éric F.

(03 juin 2025)

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
r-32170977-1730664228-9915.jpg

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
MOUNT EERIE. Night palace (Elverum & Sons, 2024)
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

Pour prolonger...

MOUNT EERIE : Bandcamp
(Une page plutôt fournie où vous pouvez même trouver une version de Night palace décomposant toutes les 205 pistes utilisées pour les 26 chansons de l'album... une aubaine pour les remixeurs de tous poils !)

MOUNT EERIE : Empty paper towel roll / I spoke with a fish / Huge fire (Live @ Office hours with Tim HEIDECKER)

MOUNT ERRIE does NIRVANA : Something in the way

EXPLOSIONS IN MOUNT EERIE : EXPLOSIONS IN THE SKY & Phil ELVERUM - Live in Vigo 2003

MOUNT EERIE in New Zealand : Live At Dive 29/9/2023
(Avec les excellents BLACK BELT EAGLE SCOUT en backing band)

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

c3b50331-82c7-4f8b-acd5-a8b4ee04582c_3000x4251.jpg

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Photographies, illustrations : DR, (c) Elverum & Sons
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX