REALITY IN REVERSE / Bill CALLAHAN

Chronique (2022-23)
          Septième album post-SMOG pour un Bill CALLAHAN décontracté qui remet avec brio sa carrière sur les bons rails.

 
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          On a un temps cru, passé le discutable et inaugural Woke on a whaleheart, que la carrière de Bill CALLAHAN sous son nom allait être marquée du sceau de l'excellence. Sometimes I wish we were an eagle, Apocalypse et Dream river ont rapidement fait figure de Sainte Trinité, rivalisant haut la main avec les meilleurs moments de SMOG. Dieu merci, ce bon vieux Bill n'est pas un surhomme, mais bien un être humain comme vous et moi, avec ses moments de moins bien. Et pour cause : à ces trois pièces essentielles ont suivi un album de remix dub (?!), un double Shepherd in a sheepskin vest fatigant dès la moitié de son premier disque et un Gold record bien mal nommé, malgré la présence du magnifique Pigeons, sans oublier ce navrant et interminable disque de reprises sorti avec le moribond Bonnie “PRINCE” BILLY il y a deux ans.

Fallait-il pour autant enterrer sa carrière ? Son dernier album, YTILAER vient répondre avec panache par la négative. Un superbe retour en forme pour celui qui semble enfin avoir digéré sa paternité tardive, certaines mauvaises langues ayant été jusqu'à affirmer que CALLAHAN s'était mis à écrire des chansons pour ne pas réveiller son bébé. Il faut croire qu'on ne met pas six pieds sous terre une légende de l'indie folk aussi facilement. Pourtant peu avare de clins d'œil au passé de SMOG, Bill CALLAHAN a le regard résolument tourné vers l'avenir. Et il s'annonce à nouveau radieux.
 
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Il va sans dire que l'annonce de la présence de Jim WHITE au line-up du groupe ayant participé aux sessions d'enregistrement de ce disque ne pouvait que nous pousser vers un optimisme forcené. Sans grande surprise, le batteur du DIRTY THREE est un facteur primordial dans la réussite de ce disque. Tout en douceur et en nuance, l'australien apporte sa traditionnelle touche aérienne, conférant un indéniable plus aux chansons de Bill CALLAHAN, sans manquer de nous offrir deux-trois feux d'artifice (Bowevil, Partition). Cette association intermittente depuis 2001 et le Rain on lens de SMOG, fait une nouvelle fois des merveilles, comme cela avait déjà été le cas sur Supper, A river ain't too much to love ou encore Apocalypse.

Si les chansons de l'album ne présentent pas forcément d'atours tubesques aux premières écoutes (à part peut-être Bowevil), elles dégagent pourtant d'entrée une belle impression de sérénité, portées par une force tranquille et une instrumentation large (guitares, pianos, orgues, basse, batterie, trompette, clarinette, trombone), mais pas tapageuse. Ce qui n'empêche pas quelques moments de bravoure, comme sur le réjouissant final de Naked souls qui nous rappelle les superbes embardées rythmiques avec TORTOISE sur Dongs of sevotion.
 
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S'il ne se distingue pas particulièrement par sa concision (plus d'une heure pour douze titres), YTILAER fait néanmoins preuve d'une belle cohésion, contrairement à ses deux prédécesseurs. À tel point que les deux-trois morceaux un peu en dessous parviennent quand même à bien s'intégrer à l'ensemble. Les rares moments trop évanescents ou en surplace de l'album nous rappellent finalement qu'un grand disque peut tout à fait contenir des plages de respiration, pour mieux souligner et mettre en valeur ses temps forts. Temps forts qui, outre l'apport incontestable de Jim WHITE, sont souvent à porter au crédit de la complémentarité guitaristique entre CALLAHAN et Matt KINSEY (qui commencerait presque à faire partie des meubles depuis son arrivée pour Apocalypse), soit une guitare acoustique aux larges cordes en nylon que ne renierait certainement pas Willie NELSON et une Gibson SG rêveuse et atmosphérique, toujours dans la recherche et qui sait aussi tenir son rang quand il s'agit d'envoyer du riff acéré.

Et puis il y a évidemment cette voix. Accompagné par plusieurs voix féminines en renfort, CALLAHAN impressionne encore une fois avec son baryton chaleureux et de plus en plus apaisé, à des années-lumière du lo-fi névrotique et mal dégrossi du SMOG des débuts. On a donc pu assister à une mue saisissante qui aura fini par voir CALLAHAN assurer avec brio le poids de son âge (cinquante-sept bougies au compteur, déjà). La sagesse et l'enthousiasme qui se dégagent d'un Natural information en disent long sur la santé artistique du bonhomme, à la créativité retrouvée.

Il ne reniera pas certaines marottes pour autant, comme mettre en avant nos amis les bêtes pour mieux parler de l'humain. On recense un First bird, Bowevil, des Coyotes et The horse au bestiaire du disque d'un CALLAHAN aux boots fortement ancrées dans son sol d'adoption texan. L'occasion pour lui d'observer notre monde qui change, un œil mi-clos et l'autre goguenard, et de nous transmettre le tout grâce à ses punchlines dont il a le secret (“More and more / The horse walks in the house / Through the front door / More and more / What used to be forbidden / Is the norm / More and more” sur The horse, plus beau titre de l'album).
 
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Autre tradition toute Callahanienne, soigner sa sortie avec un morceau de fin marquant (citons par exemple Guiding light, Faith/void et One fine morning, avec un CALLAHAN s'amusant à répéter la référence catalogue de l'album). Ici, c'est à Last one at the party que revient cette tâche. En intensifiant un peu les arpèges du morceau précédent (Planets), tout en donnant l'impression de pouvoir s'effondrer d'une seconde à l'autre, ce morceau meta (quoi de plus normal pour un disque épelant réalité à l'envers) est un parfait exemple de l'humour pince sans rire de Bill CALLAHAN : “Last one at the party, He always said he had to go, Last one at the party, We thought he'd never leave, If you were a housefire, I'd go back in for the cat”.

Soit tout l'inverse de ce qu'on se dit en terminant l'écoute de ce grand disque magnifiquement enregistré et mixé par Mark NEVERS (LAMBCHOP). Disque qui confirme encore plus, si besoin était, que Bill CALLAHAN a toute sa place dans les livres d'Histoire, accompagnant l'armée composée de “Captain Kristofferson, Buck Sergeant Newbury, Leatherneck Jones, Sergeant Cash”.


 

Eric F.

(14 avril 2023)

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callahanlp_500.jpg, by Bingo
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Bill CALLAHAN. YTILAER (Drag City, 2022)
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Pour prolonger...

Bill CALLAHAN : Bandcamp

Bill ? À table, c'est l'heure du Supper !

Attention les yeux !
     Live at the Lonesome Lounge Sessions


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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #791 - émission Bestiaire - (23/11/2022)

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Photographies : Eric F., DR/Drag City
Illustration : Raphaël GAUTHEY

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