Entre rythmiques minimalistes, harmonies radieuses et folk domestique, le dernier album en date de SCRITTI POLITTI retrouve la modestie des débuts. Mais sa philosophie est à l’opposé du post-punk néomarxiste de Skank Bloc Bologna. La voix de Green GARTSIDE n’a jamais été aussi cajoleuse et les mélodies épicuriennes enrobent un récit âprement romantique.
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Engagé dans les jeunesses communistes britanniques, punk lo-fi et adepte de la pensée déconstructiviste du philosophe Jacques DERRIDA, Green GARTSIDE prend à trente ans un virage pop inattendu. Chérubin chéri le temps d’un deuxième album qui eut pu faire de lui le Michael JACKSON gallois (Cupid & psyche 85, 1985), il enregistre une suite (Provision, 1988), puis se met au vert, reclus dans une petite masure du cottage de Usk, Monmouthshire. L’ex-star des eighties fréquente depuis, de manière assidue, un pub local, où il écoute du hip-hop, boit de la bière brune et joue aux fléchettes. White bread black beer est l’aboutissement de cette trajectoire bizarre, sans cible.
Brune on Brune
White bread black beer pourrait faire partie de cette longue tradition d’albums folk, enregistrés à la campagne, dans la bonne humeur, communautaire ou familiale. Mais la production feutrée et immaculée de ce disque fait presque oublier sa nature autarcique. Il y a bien la pochette, brodée par Madame GARTSIDE, qui évoque le bonheur conjugal. Qu’on ne s’y trompe pas : la déclaration d’amour qui ouvre l’album (The boom boom bap) ne lui est pas destinée. Elle célèbre à la place le hip hop old school, ses rythmes ad hoc et se termine par l’évocation ordonnée de tous les titres du premier RUN DMC. On pense à une tentative piteuse pour se chercher une crédibilité dans la rue, puis on se souvient que MOS DEF avait rejoint GARTSIDE pour un titre sur le précédent Anomie & bonhomie sorti sept ans plus tôt. White bread black beer ne réitère aucune des tentatives d’hybridation passées et préfère la démonstration de l’intime, à la démonstration de force. Les quatorze chansons fabriquées à la maison déconstruisent un demi-siècle de musique pour ne se servir que de quelques briques, façon Lego sans égo trip. On trouve donc dans le désordre des chœurs de BEACH BOYS (Snow in the sun), la chouette de Minerve (Dr Abernathy), des rythmes Pro Tools, un romantisme naïf (Locked), des synthés fatigués (Petrococadollar), beaucoup de douceur et une voix qui a traversé les flots du temps sans s’altérer, grâce aux vertus de l’orge malté.
Hegel de bois
Les disques les plus connus de SCRITTI POLITTI ont toujours proposé un confort d’écoute optimum, sans sacrifier les ambitions d’un songwriting raffiné. Son leader doit se justifier en 1981 dans une interview au magazine Smash : « Il n’est pas nécessairement besoin d’être lobotomisé pour faire de la pop music ». GARTSIDE recourt donc à HEGEL pour opérer la synthèse impossible entre ses racines DIY, intellectualistes, et la pop commerciale. Il doit convaincre les membres de son propre groupe et écrit un manifeste pour justifier ses prétentions à l’universel. Une tension impossible à assumer sur scène, où elle se traduit par des crises d’angoisse. Le succès est là, mais il cède rapidement la place à une gueule de bois de plus d’une décennie. Enfin, trente ans plus tard, le gallois assume la contradiction, non par la dialectique, mais par une désarmante simplicité. Il n’est plus le pétulant PRINCE de Galles qui chante au second degré les charmes de la plus douce des filles (Sweetest girl en 1982, sur lequel officiait aux claviers un certain Robert WYATT) mais il se rêve en Robin des Bois (Robin Hood en clôture de l’album), qui redistribue généreusement ses trésors pop, dans l’ombre anonyme d’un passé flamboyant.
Paul MÉGLOT
(07 juin 2022)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
SCRITTI POLITTI. White bread black beer (Rough Trade, 2006)
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Pour prolonger...
À écouter de toute urgence, en prenant le temps :
SCRITTI POLITTI. Songs to remember (Rough Trade, 1982)
SCRITTI POLITTI. Cupid & psyche 85 (Warner, 1985)
SCRITTI POLITTI. Provision (Warner, 1988)
SCRITTI POLITTI. Anomie & bonhomie (Warner, 1999)
AZTEC CAMERA. High land, hard rain (Rough Trade, 1983)
PREFAB SPROUT. Jordan, the comeback (Kitchenware, 1990)
Cody CHESTNUT. The headphone masterpiece (Ready Set Go !, 2002)
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Photographies : John Swannell, DR
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