Pierre & Bastien

Pierre & Bastien (Pouet! Schallplatten) // Par Anton Schaefer
C'est avec horreur que j'ai appris dernièrement que Thom Yorke s'apprêtait à sortir un nouveau disque. Car si les premiers Radiohead sont géniaux, les derniers sont d'une prétention qui ne provoque, chez moi, que des bâillements. Au fil des années, Thom Yorke a malheureusement emprunté le même chemin que Bjork : celui de l'expérimentation musicale tellement intellectualisée qu'elle finit par être dépossédée de toute mélodie. Et si le chemin le plus direct pour faire le lien entre deux points reste la ligne droite, la meilleure façon de faire de la musique pour toucher l'auditeur est peut-être de privilégier la spontanéité. Et de la spontanéité, il en est question pour qualifier le groupe au centre de cette chronique. 

Après une série de 45 tours et de chansons pour diverses compilations, le trio français de punk rock Pierre & Bastien a sorti il y a quelques mois un premier album sur l'excellent label Pouet! Schallplatten (à qui on doit également les sorties de Delacave et Noir Boy George, également chroniquées ici). Traitant tour à tour d'alcool, de crise boursière et de cancer, les chansons du groupe dépeignent, au final, ce qui peut constituer le quotidien de notre société. La musique de Pierre & Bastien n'est certainement pas optimiste, sans pour autant verser dans le pathos si cher à certains. Je pense qu'ils ont plus une vision tragique de notre monde : notre société est telle qu'elle est, on ne peut pas y faire grand chose, donc autant prendre le parti d'en rire.

Les chansons de ce disque, enregistrées par Arthur et Dorian de JC Satàn, sont brutes, et nous laissent pleinement ressentir l'urgence qui anime ces trois types. Les morceaux dépassent rarement les 4 minutes, et sont dotés de refrains hystériques comme sur la chanson « Cancer » : « Mon cancer, c'est ma vie, je l'ai longtemps cherché, on s'est croisé, on s'est compris, mon cancer, c'est ma vie, c'est mon meilleur ami, parce que c'était moi, parce que c'était lui ». Ce qui fait l'intérêt d'un tel groupe, c'est que derrière le côté potache parfois des textes, on trouve un vrai fond, ainsi qu'une certaine sensibilité. La meilleure chanson de l'album, « Journal », évoque la jeunesse, la galère, la solitude, et pourrait être le testament d'une génération sacrifiée : « si je meurs ça ne gênera personne, vous serez beaucoup mieux sans moi, la vie n'en vaut pas la peine, je vais faire un long voyage, bientôt tout sera oublié, bientôt tout sera du passé, j'ai tant douté de moi, que j'ai perdu ma réalité ». Trouant.

Ce qui frappe surtout à l'écoute de cet excellent album, c'est la sincérité de la démarche. En se focalisant sur une musique simple et épurée, sans artifices superflus, Pierre & Bastien est un groupe qui, par son authenticité, nous touche directement, parfois pour nous faire sourire, parfois pour nous rappeler que ce monde touche à sa fin. Moins fou que T.I.T.S, plus épique que Cobra, une seule chose est sûre : on tient ici un des albums de l'année.