Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp

Sauvages Formes (Les Disques Bongo Joe / Red Wig) // par Nicolas Gougnot
Ho putain, cette fois ça va chier ! Il y a des limites à ce qu’on peut accepter. Et ces limites ont été allègrement dépassées. Et je connais les coupables. Et je vais me les faire. Ça sent la viande froide. Les gendarmes, ces guignols en bleu, ont beau dire ce qu’ils veulent, c’est forcément les voisins d’en face qu’ont fait ça. Les Goutedot. Jusqu’à maintenant, leur nom me faisait marrer, mais là, c’est la Goutedot qui fait déborder le vase. Pasque d’abord, il y a eu les trois Suisses qu’ont fait foirer la partie de chasse avec leurs photos pour leur disque à la con. Ensuite il y a eu le père Leborgne  qui s’est fait descendre par son chien. A se demander si les gendarmes, y z’auraient pas bâclé leur enquête, ça semblait quand même un peu bizarre cette histoire de clebs. Après, ça a été au tour du Désiré. Désiré Ducqüe, le gars de la ferme des Marauds. Çui qu’est devenu complètement marteau l’année dernière dans la vallée de la Glaise. Y s’en est jamais remis. Encore aujourd’hui, y reste toute la journée dans la cour de sa ferme en répétant à l’envi « La voiture, la voiture ». Ça commençait déjà à faire beaucoup. Mais là, nom de Dieu de nom de Dieu, c’est pas possible. C’est trop, que j’vous dis, c’est trop.

Je suis certain que c’est les Goutedot. Je leur ai dit, aux condés, mais ils m’écoutent pas. Ils se croient le plus malins, mais ils connaissent pas tout. C’est forcément des vegans qu’ont fait le coup. C’est obligé, j’ai vu ça dans le journal. Ils filment dans les abattoirs, ils attaquent les boucheries, ils souillent ce qu’on a de plus sacré. Et le père Goutedot, il a les cheveux longs. Ça veut dire que c’est un hippie. Les beatniks et les vegans, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. C’est la même engeance. Tout ce que ça aime, c’est foutre le bordel et s’attaquer à ce qu’on a de plus cher.

Alors d’abord, il a les cheveux longs. Et pis il écoute vraiment de la musique de hippie. Rien que ce matin, par exemple. Il est revenu chez lui avec un disque sous le bras. J’ai essayé de voir ce que c’était. Une pochette avec des couleurs vertes, bleues et noires. De l’art dégénéré. Comme il en fabrique, le Goutedot. Pasqu’en plus, il dessine, « il peint », comme il dit. Des trucs vraiment bizarres.  Ça barbouille des couleurs, paf, et pis c’est tout. Sans déconner. Et il vend ça une blinde. Du pognon foutu en l’air, si vous voulez mon avis. C’est même pas beau, d’ailleurs ça représente rien. Il est prof, aussi. Je sais pas pourquoi les profs détestent autant les chasseurs. C’est peut-être pasque c’est des intellos de la ville, un peu tapettes sur les bords. Ça supporte pas la vue du sang et les activités d’hommes. Prof de dessin au collège, qu’il est, le Goutedot. C’est pour ça aussi, que je le soupçonne d’être dans le coup. Sur le disque, j’ai réussi à lire « Orchestre Tout Puissant Didier Deschamps ». Qu’est-ce que c’est encore que ces conneries, que je me suis dit. Il va quand même pas en plus se foutre de la gueule de nos plus illustres représentants, de ceux, et ils sont pas si nombreux, qui nous rendent vraiment fiers d’être Français ?

Il est rentré chez lui, et il a dû le faire jouer, le disque, à cause que j’ai entendu quelque chose que j’avais encore jamais entendu, et pourtant il m’en a fait voir, et de toutes les couleurs, si on peut dire. Du rock d’intellos mélangé à de la musique de Noirs. Ça m’a rappelé mon service militaire en AOF, d’abord en Haute-Volta et après au Dahomey. J’ai reconnu tout de suite les rythmes de zoulous et leurs convulsions négroïdes. Ça te marque un bonhomme, leurs spectacles de danse dans les villages, avec les masques et tout le bazar. J’avais jamais vu ça, je pensais pas que ça pouvait exister, ils pouvaient pas danser comme tout le monde, en guinchant au son de l’accordéon, en tournant avec sa Gisèle bien serrée contre soi ? Ben non. Des nuits, j’en rêve encore, si on peu appeler ça rêver, et je me réveille en sueur sous mon édredon, avec encore dans la bouche le goût de la poussière de latérite. Alors entendre ça de nouveau, et dans mon village en plus, non non non, c’est pas possible. Ils mélangent ça avec du djâze, aussi. On entend les trompettes et les autres binious du même genre. Et cette gamine qui chante tout doucement,  d’une voix fragile, rhâââ ce que ça m’énerve ! Mireille Mathieu, Edith Piaf, ça c’est des chanteuses, qu’ont du coffre et des choses à dire ! Pasque les babacools, là, ce qu’ils baragouinent, ça veut rien dire ! De la  poésie ! « Nous avançons, nous avançons, le front comme un delta ». Mais c’est quoi ces conneries ?!? Ou des trucs en anglais qu’on comprend rien. Des hippies drogués, ça peut pas être autrement. Quand on voit que les gens écoutent des machins pareils à fond la caisse, on se dit qu’ils sont prêts à toutes les saloperies pour enquiquiner les honnêtes personnes.

Comme par exemple profaner ce que les êtres ont de plus sacré. Franchement, je le dis comme le pense, c’est un peu à notre sanctuaire qu’ils se sont attaqués. C’est bien des gens qui trouveraient tout-à-fait normal de transformer les églises en mosquées. Ils respectent rien, je vous dis. A force d’écouter de la musique cosmopolite, ils se sont fait bouffer le cerveau. Des vegans zombies du potager. Et là, ils ont commis l’irréparable. On a découvert ça ce matin. On s’était donné rendez-vous au hangar du Frédo, pour graisser les fusils et boire un coup avant d’aller à la cabane qu’on a au fond du val des Blaireaux, histoire d’organiser l’apéro d’avant la chasse. On est monté chacun, qui dans son quat’-quat’, qui dans son pikeupe avec les chiens en cage sur le plateau derrière, on adore rouler en convoi, c’est l’Amérique, on trouve ça chouette. C’est moi qu’ouvrais la route. Je suis le premier à avoir vu. Un carnage. Oh bon Dieu, tiens, j’en ai les larmes qui me montent aux yeux. Ça me chamboule tout en dedans. Et pis l’autre, là, avec sa musique qui répète, qui répète, qui répète les mêmes boucles, il me tape sur le système. Profite mon gars, on finira bien par te coincer et on verra qui c’est qui rira le dernier.

Ça me déglingue que les cognes m’aient pas pris au sérieux. Ça me fout en l’air. Du terrorisme vegan comme à la télé, c’est tout ce que c’est. Peindre des fleurs de toutes les couleurs et des Bambis sur la toile goudronnée imperméabilisant la cabane de chasse, il n’y a que des monstres qui peuvent faire des choses pareilles.