The Mystery Lights

The Mystery Lights (Wick / Daptone Records) // par Nicolas Gougnot
                                                            Acte I Scène 1

Un salon confortable et de bon goût dans une boîte crânienne de la petite intelligentsia provinciale. Le décor est chargé : le papier-peint, rosâtre, semble fait d‘une matière spongieuse aux circonvolutions complexes. Le feu ronfle dans l’âtre, face auquel se trouve un canapé dans lequel, installé confortablement, Lobe Frontal lit en sirotant une bonne tasse d’oméga 3. L’ambiance serait celle de la félicité studieuse si The Mystery Lights n’emplissaient totalement l’espace sonore. Cerveau Reptilien, visiblement agité, fait irruption dans la pièce.

CERVEAU REPTILIEN : Hé ! Salut !

LOBE FRONTAL (sans lever les yeux de son ouvrage) : Tiens, le débile… Que me vaut l’honneur de ta visite ? Il y a du foot à la télé, mais plus de bière dans le frigo ? Une nouvelle compilation super intéressante d’accidents de courses de NASCAR à voir sur You Tube ?

CERVEAU REPTILIEN : Naan, c’est pas ça. T’entends le dernier Mystery Lights ?

LOBE FRONTAL (légèrement agacé, il lit toujours) : C’est le cas, oui, je n’ai pas trop le choix… Je te rappelle qu’à l’évidence, j’entends la même chose que toi…

CERVEAU REPTILIEN : Ah ouais ? Et alors, tu trouves ça comment ?

LOBE FRONTAL : Intéressant, mais au final très fatigant.

CERVEAU REPTILIEN (Stupéfait, les bras lui en tombent) : Quoi ?!? T’es cinglé, c’est trop bien ! Je sais pas ce qu’il te faut ! Les musiciens sont vachement bons et les morceaux aussi ! On peut dire qu’ils savent composer de bons titres de rock ! Les guitares sont super bien, la batterie est au poil. Il est bien, ce disque !

LOBE FRONTAL (se décide à enfin lâcher son bouquin) : Je ne peux que reconnaître la qualité intrinsèque des morceaux ambitieux et efficaces proposés par ces jeunes gens, ainsi que l’absence globale de faute de goût musicale. Celle-ci me semble en outre soutenue par des choix de production qui s’avèrent pertinents. En dépit d’influences tirant clairement vers le hard rock 70’s, le choix du son garage fuzz en lieu et place de guitares saturées et lourdingues et l’absence de soli interminables s’avèrent payants. D’ailleurs, c’est le vocaliste qui donne cette sensation seventies assez pénible sur la longueur.

CERVEAU REPTILIEN (il ouvre de grands yeux, mouillés par l’évidente souffrance de l’incompréhension) : Tu peux pas dire ça, le chanteur il est trop fort, quand même !

LOBE FRONTAL : Je te conseille de te montrer méfiant avec ce genre de considérations. Tu commences par te laisser séduire par ce genre de vocalises et tu finis par te laisser aller à écouter Deep Purple ou Led Zeppelin en arborant une veste en cuir à franges et les cheveux longs alors qu’à ton âge tu ne peux capillairement plus te le permettre.

CERVEAU REPTILIEN (méfiant) : J’ai pas tout compris, mais je sens que c’est pas gentil. Tu  généraliserais pas un peu, genre pour faire ton pisse-froid d’intello ? La plupart des morceaux sont assez directs, quand même. Follow Me Home, par exemple, est assez sobre au niveau du chant.

LOBE FRONTAL : Je n’en disconviens pas. Ce morceau est même très bon. Je maintiens néanmoins ma position, notamment concernant l’enchaînement des quatre derniers morceaux, à partir de 21 & Counting. J’en sors éreinté. J’ai l’impression d’avoir à subir un étrange amalgame entre les musiciens des Seeds et le chant criard d’Axl Rose ou de Bon Scott. En moins pire, nonobstant.

CERVEAU REPTILIEN  (offusqué) : Ouah… T’es vachement méchant, en fait. Moi, je trouve que le chant réussit à être à la fois très ample et mélodique. Et quand ça s’emballe un peu dans les aigus, le chanteur trouve une combine pour arriver à calmer le truc. Il y a de la rage, on n’est pas en train d’écouter Skid Row, quand même ! Moi, je suis content de tomber sur un disque comme celui-ci !

LOBE FRONTAL : Tu sais, tu es également content quand tu manges du bon pâté ou quand tu fais un gros caca… Alors je ne suis pas certain que ce type d’argument ait une réelle portée !

CERVEAU REPTILIEN : T’es chiant, de tout le temps intellectualiser le bidule. Franchement, moi je trouve que The Mystery Lights est un groupe de qualité qui joue un bon rock psyché qui me parle tout de suite. Mon truc, c’est pas trop de réfléchir…

LOBE FRONTAL (l’interrompant) : J’avais déjà remarqué…

CERVEAU REPTILIEN (lui jette un regard peu amène) : C’est de pas trop réfléchir, je disais, à savoir si c’est bien mainstream ou de bon goût, si c’est pas trop ceci ou pas assez cela. Je suis pas snob, moi, Monsieur Le Conceptuel. C’est du rock, merde, c’est fait pour se lâcher, pour envoyer la purée, pas pour intellectualiser. Tu m’as assez fait chier avec tes trucs d’intello branché il y a vingt piges, tes Fugazi, Heliogabale et tes autres trucs avec des breaks à contretemps du ternaire, pour que désormais je me fasse plaisir comme j’ai envie.

LOBE FRONTAL : Et c’est à cause de qui qu’on s’est tapé du metal, des années auparavant ?

CERVEAU REPTILIEN: Tu vas me le rappeler pendant combien de temps ? Pis c’est pas la question ! Et ça va, hein, arrête de me faire passer pour un débile ! The Mystery Lights ne jouent ni du punk à roulette ni du stoner psyché au son à chier, compressé à mort, pas plus qu’ils ne sont d’énièmes clones garage. Je les trouve lumineux et généreux dans l’effort. Cet album est varié : touchants d’émotion sur Candlelight, très garage sur 21 & Counting, étcétéra.

LOBE FRONTAL : Tu as peut-être raison, après-tout… Mais je maintiens que, sur la longueur, ça me broie la matière grise. Au bout de six-sept titres, je n’en peux plus du chant. Peut-être l’album est-il trop long ? Franchement, sur la fin, je cale vraiment.

CERVEAU REPTILIEN (malicieux) : Tu serais pas trop vieux ? T’es là à chipoter, à faire ton vieux schnock, au lieu de te laisser aller aux plaisirs simples.

LOBE FRONTAL (amusé) : Que veux-tu, il semblerait que ce soit mon destin… Comme le tien semble d’être le Pol-Pot du rock’n’roll…

CERVEAU REPTILIEN (redevient soudainement sérieux) : C’est le plaisir qui guide mes pas ! Et à l’écoute de cet album, j’en prends énormément ! Nan, la vérité c’est que tu fais ta bégueule, que tu adore te pignoler au sujet de conneries que tu intellectualises à outrance. (Il singe outrancièrement l’intellectuel affecté) Ouiiii, le krahotrockeuh, c’est formidâââbleuh, on mesure bien l’influence du milieu industrialisé rhénan sur l’individu musicien, reflet de son époque et de l’aliénation du moi qui devient élément du nous deshumaniséeuh. Et le garageuh, après 1967, c’est une ca-ta-stro-phe, impossible, trop mauvais, la preuve, j’en écoute jamais ! (Il marque un temps) Arrête un peu ! Accepte quand c’est bon, mais que cela n’obéit à aucune règle, ou alors pas à celles que tu fixes. Laisse-toi aller, merde ! Le plaisir, mec, le plaisir ! Ben du coup, tu vois, j’y retourne, et avec une bonne bière, en plus !

(Cerveau Reptilien quitte la pièce comme un prince, un peu comme Cantona quand il jouait à Manchester, c’est tout dire. Lobe Frontal sait qu’il a raison, mais il n’est pas habitué à ne pas avoir le dernier mot. Il se retrouve seul, et il faut l’avouer, un peu comme un con.)