The Limiñanas

Interview // par Lætitia Lacourt
Jeudi 10h, le soleil tape rue de Dunkerque côté impair. Côté pair, c’est au Walrus que nous avons rendez-vous. The Limiñanas sont déjà là lorsque je franchis la porte. Crinière rousse flamboyante pour elle, barbe ultra fournie pour lui et total look noir pour le couple le plus rock’n’roll de France. La discrétion et l’accent chantant de Marie, le verbe franc et la coolitude de Lionel : le tutoiement est de rigueur pour causer de la réédition de leurs 3 albums et de leurs titres rares chez Because, de la Fille de la ligne 15, de Pascal Comelade, de Babou et de Gifi aussi.
 
Because vient de rééditer toute votre discographie sous forme d’Anthologie, ça sonne un peu comme un bilan. Quel regard vous portez sur les 5 dernières années ?
Lio : On ne le voyait pas comme ça mais c’était surtout l’occasion d’avoir une distribution en Europe. On est issu de la scène garage punk pure et dure, on fait de la musique et on a des groupes depuis nos 16-17 ans. Ce qui est arrivé avec les Limiñanas, c’est qu’à un moment donné, tous nos potes étaient en tournée, tout le monde avait signé. On a bricolé une démo deux titres qu’on a mise sur My Space, on s’est appelé The Limiñanas parce que je voulais envoyer un lien à mon frère pour le faire marrer. C’étaient juste les deux premières chansons qu’on faisait tous les deux. On s’est fait branché par les labels américains et ça a fait boule de neige : un single pour Trouble in Mind, puis un album. On leur a menti, on leur a dit qu’on avait pleins de titres alors qu’on avait rien du tout. On a du s’y mettre pour de bon et ça a été l’apprentissage pour les enregistrements parce qu’on avait ni le temps ni la thune pour aller en studios. On s’est équipés avec des bouts de ficelle et on a commencé à enregistrer seuls avec tous les aléas de l’enregistrement quand on y connaît rien. Puis on s’est retrouvé en tournée, il a fallu monter un vrai groupe parce qu’on bricolait tout à deux en invitant des copines pour chanter sur les disques. C’était à la fois incroyable qu’on réussisse à se retrouver en tournée, rencontrer des gens mortels un peu partout, enregistrer des disques parce qu’on avait absolument rien planifié, et on a toujours rien de planifier. On s’est juste donné cette directive de continuer comme on a toujours fait. Le bilan : j’aime plutôt les disques qu’on a faits et aussi toutes les situations qu’ils ont engendré.
 
Qu’est ce qui vous a le plus marqué ces cinq dernières années ? Est-ce que certaines rencontres ont changé votre perception de la musique ?
Lio : Y’a eu pleins de trucs. La tournée aux Etats-Unis était vraiment incroyable. C’était dans des conditions assez roots mais en même temps, ça nous a permis de rencontrer beaucoup de monde. Celle avec les gens de Trouble in Mind a changé vraiment pleins de choses pour nous. Il faut savoir que c’est un couple qui bosse dans un appart, ce sont deux fondus de vinyles qui font vraiment ça pour l’amour de la musique. Ils nous ont amené à Memphis, à Nashville, nous ont fait joué à New York, on s’est retrouvé dans des séries télé, c’est hallucinant. La rencontre avec Trouble in Mind est quelque chose d’important. Le travail avec Pascal Comelade aussi.
 
Pouvez-vous nous parler, justement, de ce « Traité de guitarres trioléctiques » sorti il y a deux mois ?
Lio : On connaissait le travail de Pascal. On l’a rencontré il y a quelques années. A l’époque, on avait un groupe qui s’appelait les Bellas. On a fait la première partie des Seeds, pour leur fameuse reformation. Pascal, étant un grand fan de musique psychédélique, était venu au concert. Je crois que c’est après qu’on a discuté, qu’il nous a dit qu’il aimerait bien bosser avec nous. On s’est revu quelques années après, il m’a invité à jouer sur la bande son d’un ballet de danse contemporaine sur laquelle il travaillait. Il m’a réinvité à jouer sur un puis deux disques et Marie est venue jouer de la batterie sur le dernier album qui est sorti chez Because. Entre temps on a joué ensemble au Musée d’Art Moderne de Céret, fait des concerts dans la rue, des performances, des reprises des Troggs, puis on est devenu amis. A la base, ce disque est une idée de JB de Born Bad. Ca ne s’est pas fait pour des raisons contractuelles. C’est le disque qui a été le plus facile à faire dans le sens où ça s’est fait tout seul. On lui a fait écouté nos démos, lui les siennes puis on a fait un montage. On a enregistré chez lui des pianos sur nos bases, ensuite il venait à la maison jouer de l’orgue ou des petites guitares sur nos bases à nous. Chacun complétait ses trucs dans son coin.
Marie : Par couches successives
Lio : Ca s’est fait en deux mois peut être, avec des rendez-vous…
Marie : Culinaires !
Lio : Oui on a pas mal mangé aussi. Mais ça s’est fait tout seul c’était vraiment une super expérience. Et c’est le disque dont je suis le plus fier je crois, de tout ce que j’ai fait depuis que je suis môme.
 
Quand vous dites que c’est le plus facile, les autres ont été durs à délivrer ?
Lio : Non pas du tout, mais sur celui-là, il n’y a eu aucun blocage, aucun moment de stagnation sur le process d’enregistrement, ça se passait de façon extrêmement simple. On enregistre sur du matériel extrêmement basique et à partir du moment où on se limite au niveau des outils, qu’on cherche à exploiter le maximum de ce qu’on connaît, ça évite l’écueil des 8h à passer sur une caisse claire pour une reverb. Que ce soit pour le disque avec Pascal ou les nôtres, on travaille toujours avec un ami qui est producteur de musique électronique, Raph Dumas, chez qui on va une fois qu’on a fait nos maquettes. Il a l’habitude de travailler à la fois avec nous et avec Pascal parce qu’il a fait le mixage de ses disques.
Marie : Il met sa touche aussi.
Lio : Ce qui est rigolo, c’est qu’il n’évolue pas du tout dans le même univers musical que nous mais il a un vrai talent pour bosser avec la dynamique, les basses, les caisses claires, les batteries, il comprend tout de suite comment ça doit fonctionner.
 
Pour revenir sur cette anthologie, quels sont vos titres préférés ou ceux que vous aimez particulièrement jouer ?
Marie : On ne joue pas « Je ne suis pas très drogue »
Lio : Ah ouais, on n’a jamais réussi à la faire sur scène. On l’a faite en deux heures dans notre salon avec rien du tout et c’est le morceau qu’on nous demande le plus. On a essayé de la faire une paire de fois  mais on n’y arrive pas, ça ne sonne pas bien. Le morceau que je préfère est celui fait avec la chanteuse de JC Satan, Paola, « I Miei Occhi Sono I Tuoi Occhi ». On a fait la musique chez nous, on lui a envoyé les bandes à Bordeaux, et Paola a écrit le texte et enregistré sa partie.
 
Et toi Marie ?
Je les aime tous. Il y a « La berceuse », parce qu’on la faite pour notre fils. Et j’aime bien My Black Sabbath aussi.
 
Quels sont les projets futurs ? Y’a t’il toujours ce conte psychédélique pour adultes sous forme d’objet disque ?
Lio : Oui sauf qu’on n’arrive pas à la finir. On aurait du le livrer à Casbah il y a belle lurette et la seule raison pour laquelle on ne l’a pas encore fait c’est qu’on en est pas content. On continue à bosser dessus, on a le texte du conte, on a la moitié des illustrations, on a fait les ¾ de la musique mais ce n’est pas fini. Là on est en train de travailler sur le prochain album, qui sortira chez Because en 2016 et chez Trouble in Mind pour les States. Parallèlement à ça, on va faire le disque de Sarah McCoy. On a déjà fait un ou deux titres. Elle est en train d’enregistrer ses parties avec ses musiciens à la Nouvelle Orléans et va nous envoyer prochainement des tracks. On va bosser dessus, soit ce sera dépouillé et on fera pleins d’arrangements, soit on rajoutera juste des basses, des caisses claires ou des petites percus, ça va dépendre. Ce disque sera fini pour fin octobre.
 
Il y a d’autres artistes comme ça que vous aimeriez produire ?
Lio : J’adorerai qu’on le fasse plus souvent, c’est une démarche différente vraiment intéressante.
 
Il y a un projet avec l’anis Liminana…
Lio : Ils nous ont proposé de faire l’illustration sonore d’un lieu d’exposition à Marseille, comme l’accueil téléphonique, pleins de formats marrants comme ça.
 
Vous êtes de la même famille ?
Lio : Ma famille vient d’un petit village du côté d’Alicante qui s’appelle Monforte où étaient situées les usines historiques. Mais des Liminana, je pense qu’il y en a partout dans le monde. Une partie de la famille est partie bosser en Algérie au siècle dernier, on est des pieds noirs espagnols. Et dans une famille de pieds noirs espagnols, y’a toujours une bouteille d’anisette dans un placard, c’est mythique. Quand ils nous ont appelé, j’étais carrément sur le cul et super fier.
 
Je reviens sur un de vos titres, La fille de la ligne 15 : il y a un Babou à Perpignan ?
Marie : (éclat de rire) Ouiiii !
Lio : Il y a un Babou gigantesque. Là ils viennent de tout refaire, si tu veux venir, il est flambant neuf !
Marie : c’est un Babou de luxe !
 
Je trouve ça super balèze de placer un Babou dans une chanson, de façon aussi classe !
Lio : je suis vachement touché que tu aies captée ça. On a le même traumatisme que toi. On y est allé avec notre gamin y’a 15 jours. Le rayon œuvres d’art, avec les trucs en plâtre ! Avec un pote on s’amusait à s’en offrir, à chaque fois qu’on allait chez lui ou qu’il venait à la maison. Le but du jeu c’était de s’offrir une œuvre d’art soit de chez Babou soit de chez Gifi.
Marie : L’idée c’était de venir avec le truc le plus atroce et après tu étais obligé de l’exposer chez toi pendant quelques temps.
 
Comment arrivez-vous à pondre des pépites aussi géniales que ça, comment travaillez vous ensemble ?
Lio : On bosse tout le temps. On a le studio dans le garage, j’ai arrêté de bosser il y a un an et demi. Mais à l’époque où on a fait tout ça, je bossais entre 5h du mat et l’heure d’aller au boulot. C’est rarement des chansons montées avec des couplets/refrains, c’est souvent des boucles répétitives car j’adore les riffs. Donc on travaille plutôt sur le riff, un peu comme des musiciens de musique électronique. On fait plein de démos qu’on monte dans Itunes et qu’on écoute dans la bagnole. Il y a des morceaux sur lesquels on accroche et sur lesquels on va travailler un peu plus en profondeur. On est complètement désinhibé : si les basses sonnent Gainsbourg, on s’en fout, « Votre côté yéyé m’emmerde » rappelle Kim Fowley, The Trip, enfin non Godfrey car je préfère la version de Godfrey : on le garde tel quel. J’ai été disquaire indépendant très longtemps et après j’ai bossé à la FNAC pendant 10 ans. Pour l’anecdote,  il y avait une stagiaire italienne qui avait une voix mortelle à la Sophia Loren. Elle est venue à la maison, a enregistré le morceau en une demi heure et c’est la seule chanson qu’elle n’ait jamais faite. On ne se met aucune pression, les chansons viennent comme elles viennent. « La fille de la ligne 15 », c’est un matin en allant au boulot, je suis tombé en face de cette fille, j’étais à moitié collé du matin. Ca fait un peu malade mental mais j’ai pris des notes et la chanson est sortie comme ça. Après rien ne s’est passé comme dans la chanson. Costa Blanca parle de souvenirs de famille, des vacances en Espagne dans les années 70. Parfois c’est plus léger, « je ne suis pas très drogue », c’est un délire. « Votre côté yéyé m’emmerde », c’est un truc qu’on m’a dit une fois : « J’aime bien ce que tu fais mais ton côté yéyé m’emmerde ». J’ai trouvé ça vachement bien. Après on invite aussi des potes à jouer, comme Laurent, un fondu de musique de l’Est. Mais le cœur du truc, c’est qu’on bosse tout le temps.
 
Et toi Marie tu travailles à côté ?
Marie : Oui. En fait Lionel bosse non stop dessus, et après je me retrouve avec un casque le matin, au réveil, avec mon café. Le soir et le week-end aussi mais c’est beaucoup moins intense que Lionel.
 
Vous ne tournez pas énormément… Quelles sont les raisons ?
Marie : déjà, notre fils.
Lionel : On fait à peu près, les bonnes années, 25 dates par an. Y’a plein de raison. Déjà on a un gamin, et les autres membres du groupe aussi. On essaye de ne pas faire exploser le groupe live en vol, en trouvant des moyens pour que tout le monde soit là. L’autre raison hyper importante, c’est qu’on veut vraiment que ça reste un peu excitant et je préfère les belles situations à 15 jours dans un van à faire des SMAC, sans dire du mal des SMAC. Le côté promo pour la promo m’emmerde un peu. Du coup, ça reste excitant, ça continue d’être flippant mais on a encore vraiment envie de le faire. Ca nous fout en difficulté à chaque fois parce qu’on n’a pas le background des groupes qui font 100 dates par an, qui sont supers forts. Ca reste fragile, y’a des concerts qui sont réussis, d’autres non.