The Limiñanas

«Malamore» (Because Music) // par Nicolas Gougnot
Une lumière soudaine, blanche, m’aveugle et me tire de ma torpeur. Une voix rude grogne « C’est l’heure, debout », accompagnée d’un coup de croquenot dans les reins. J’essaie maladroitement de me lever, des mains m’arrachent du sol et me remettent brutalement sur mes pieds. Et puis le noir, encore. On m’a remis un sac sur la tête, on menotte mes poignets dans le dos. Les idées les plus déstructurées qui soient s’entrechoquent dans mon esprit affolé. La veille (la veille, vraiment ?), des malabars ont débarqué chez moi, vandalisant tout, terrifiant ma famille, m’ont tabassé, mis un sac sur la tête et balancé dans le coffre d’une voiture. Après un temps infini, on m’a sorti du véhicule, toujours sans ménagement, fait marcher, le chef toujours couvert de cette toile à l’odeur de moisi, le long d’interminables couloirs dans lesquels résonnaient nos pas et m’ont jeté dans un placard dans lequel je ne pouvais pas tenir debout. Cagibi dont je viens d’être fort peu courtoisement extrait.

On m’ôte le sac. A travers mes yeux plissés, j’aperçois une salle blanche, digne d’un hôpital, avec pour tout mobilier une table, deux chaises, dont l’une est occupée par un homme au costume sombre et au visage impassible. Les deux costauds qui m’encadrent me font asseoir en appuyant sur mes épaules. Je me laisse faire. Je ne sais ni où je suis ni ce que l’on me veut. J’imagine que ce n’est pas pour me faire des bisous que l’on m’a fait entrer ici. L’homme en noir prend la parole :

-    Avez-vous une idée, monsieur Gougnot, de la raison pour laquelle nous vous avons convié dans nos locaux ?
Je secoue négativement la tête, ce qui réveille la douleur due aux coups. Mon interlocuteur reprend :
-    C’est que, voyez-vous, vous vous êtes cru autorisé à perpétrer un texte insignifiant, mais allant à l’encontre de nos intérêts communs.
Je dois avoir l’air passablement ahuri, puisque l’autre continue avec un vague sourire, qu’il efface rapidement.
-    The Limiñanas, cela doit vous dire quelque chose ?
Je ne peux qu’acquiescer timidement, attendant la suite avec appréhension. Il reprend :
-    Vous avez commis une terrible erreur d’appréciation, monsieur Gougnot, ainsi que vos petits camarades de Rock à la Casbah, lesquels doivent en ce moment même recevoir une petite visite de courtoisie de la part de nos collaborateurs.  Pourquoi n’avez-vous pas fait comme l’ensemble des médias, spécialisés ou non, ayant effectué une recension de cet album avec un regard positif et bienveillant ? Pourquoi avoir sali le travail d’honnêtes gens contribuant par ailleurs au rayonnement culturel de notre beau pays, le « soft power », comme disent nos amis anglo-saxons ? Pourquoi toujours dévaluer le labeur d’autrui ?
Je tente une réponse :
-    Ben pasque j’ai pas aimé.
Une torgnole me fait comprendre que ce n’était pas ce qui était attendu. Ça fait mal.
-    Jusqu’à présent, tout le monde avait bien compris le sens de ce disque. J’ai quelques exemples à vous soumettre. Regardez : Libération et France Culture évoquent l’esprit de Gainsbourg, les Inrocks y voient une réminiscence du mouvement cinématographique de la nouvelle vague, Télérama appelle à ce que l’on en étudie les paroles dans les établissements scolaires, L’Humanité évoque le souvenir du Midi Rouge et en appelle aux mânes de Jaurès… Même l’Express a profité de l’occasion pour consacrer un numéro spécial immobilier à Perpignan… Et vous, scribouillard écervelé, vous moquez la qualité littéraire de paroles pourtant unanimement portées aux nues ? Je vous cite : « une pauvreté textuelle, du niveau des tongs de Serge Gainsbourg, une agaçante obsession de la rime à tout prix, d’une pauvreté à toute épreuve, facilités qui nous rappellent qu’une rime suivie se nomme aussi rime plate … »
Je le coupe :
-    Ben, en même temps, faire rimer « Baigner » et « beignet »…
Sublimant cette paronomase, une beigne ne me laisse pas le temps d’aller plus loin. Putain… une couronne à 700 balles, fraîchement posée, vient de sauter. Je la recrache. Mon interlocuteur continue sur sa lancée :
-    « … thèmes surfant sur le nostalgisme perpétuel de notre époque, célébration d’un chimérique âge d’or yéyé-pop, sur fond de plagiat, ou plutôt d’ersatz, de Melody Nelson, agrémenté d’horripilantes petites mélodies au piano pour enfant tapant furieusement sur les nerfs ». Vous vous permettez même une « impression irritante d’entendre toujours le même morceau, toujours le même album ».
Il s’arrête. Par prudence, je ne dis rien. On s’agite à ma gauche. Un nombre considérable de phalanges vient violemment heurter mon visage déjà meurtri. L’enculé. Gros-Bras n°2 porte une chevalière. Je sens le sang couler de l’estafilade dont il vient de gratifier ma joue. Il grogne « Réponds ». C’est moins sophistiqué que son collègue intervieweur.

Répondre quoi ? Que, dans le même texte, je concédais que la qualité littéraire me pose moins de problèmes quand le chant est en anglais, vu que j’y panne que pouic ? Que j’y reconnaissais la qualité de l’atmosphère proposée  par certaines chansons, comme The Dead Are Walking, belle réussite psychédélique au classicisme assez classieux, comme The Limiñanas savent tout de même proposer ? Que je sais très bien qu’il est facile de critiquer quand on ne fait pas soi-même, qu’il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas ? J’ai trop de me faire encore taper, alors je coasse :
-    Je le ferai plus. Plus jamais j’écrirai de chroniques sur des disques que j’ai pas aimés. Je vous promets. Je vais même le réécouter, çui-là, peut-être que j’ai pas bien entendu.

Je pleurniche. J’aimerais bien vous y voir. On vous arrache à votre bonheur béat et, il faut  le reconnaître, parfois un tantinet mesquin, pour vous mettre des mandales dans la gueule à cause de ce que vous avez écrit pour amuser vos copains et aussi pour rompre cette unanimité dévote à propos d’un groupe dont vous n’aimez pas le dernier effort même si vous n’éprouvez aucune animosité à l’égard de gens qui vivent eux aussi leur petite vie tranquille. Je pensais que j’étais lu par dix personnes à tout casser. Mais non, même les services secrets du Ministère de la Culture, de la Francophonie et du Rayonnement International de Notre Beau Pays avaient les yeux braqués sur mon insignifiante personne. Sans déconner, ça fout les boules. Je veux revoir le soleil, manger du fromage avec du pain et de la salade. Boire des bières avec les potes, confortablement installés sur la terrasse, à observer paisiblement les hirondelles chasser quand rosissent les derniers rayons du soleil printanier. Je veux revoir mes enfants, ma compagne. Je ne veux pas mourir, j’ai faim, j’ai froid, j’ai soif, j’ai peur, alors je pleure.

Je prends encore quelques coups, pour la route, dans le ventre cette fois-ci, on me refourre la tête dans le sac, on me lève, me fait marcher, me rejette dans une bagnole, puis me balance devant chez moi, hagard, perclus de douleurs en tous genres. Soulagé.

Bizarrement, Je prendrais bien un cachou.


------------------ English version by Oscar Mavioc'h ---------------------

A sudden light, white, blinds me out and pulls me out from my torpor. A harsh voice growls "It's time ! Get up !", acommpanied straight ahead by a kick in the kidneys. I awkwardly try to get up, but hands tear me from the floor and put me back grossly on my feet. And darkness, again. They put me the bag again on the head, I am handcuffed. My thoughts, the most confused ever, clatter in my distraught mind. On the eve (the eve, really ? ), gorillas broke my house, vandalized all inside, terrified my family, beat me up, put a bag on my head and threw me into the trunk of a car. After an untimeable journey, took me out, still without regrets, made me walk, my head still covered by this moisted canvas, all along unfinishable corridors where every step was sounding and they threw me into a closet where i couldn't stand on my feet. Closet where I've just been extracted. Very rudely for God's sake.

They take off the bag. Between my pleated eyes, i can see a white room, with all the hospital warmness, within, for all furniture, a table, two chairs and one of them is occupied by a man in a dark suit with a deadpan face. The gorillas couple make me sit, pushing on my shoulders. I let them do. I don't know where I am, even what they want. I guess it's not to kiss me they brought me here. The man in black starts to speak :

-   Do you have any idea, mister Gougnot, about why we invited you in our permises ?
I negatively shake my head, waking up the pain of every stroke. My discussion partner keeps going :
-   It's because, you see, it seems you allowed yourself to commit an insignificant text, but going against our common interests.
I guess I look like a bit stunned, because the guy goes further with an elusive smile that quickly disappears.
-   The Limañanas, does it sound to you ?
I can only say yes, with apprehension. He goes :
-   You made a terrible evaluation fault, mister Gougnot, as well as your little comrades of Rock à la Casbah, who, i guess, at this very moment are friendly visited by our associates. Why haven't you done like all the medias, specialised or not, and promoted this album with a positive eye and goodwill? Why did you spit on honnest peoples work, contributing by the way to the cultural delight of our amazing country, the "soft power" as the English say ?
I try an answer :
-   Em... 'Cause i didn't like it. 
A bash on the face makes me understand that it was not what was expected. It hurts.
-   Until now, everyone has understood the meaning of that disc. I got a few exemples to submit you. Look : Liberation and France Culture suggest the Gainsbourg's spirit, the Inrocks imagine a reminiscence of the cinematographic movement of La Nouvelle Vague, Telerama claims that the lyrics have to be studied in schools, L'Humanité remembers Midi Rouge and calls to the future of Jaures... Also l'Express jumped on the occasion to release a special "Perpignan's real estate" ! And you, unbrained scribbler, you just mocked the literary quality of those lyrics in spite of the general plebiscite ! I'm quoting you : "a textual poorness, with the Gainsbourg's sleepers level, an annoying obsession for the rhyme at any price, as empty as possible, facilities reminding us that a followed rhyme is also called a flat rhyme..."
I cut :
-   Sorry but they rhymed "baigner" and "beignet"...
Subliming this paronomasia, a punch doesn't let me go further. Fuck ... A 700 euros dental crown, so new, just got out. I spit it. My speaker keeps going, same tone :
-   "... subjects surfing on the perpetual nostalgism of our time, celebration of a fanciful yéyé-pop golden age, on plagiarism background, rather ersatz of Melody Nelson, embellished by horrifying tiny childish piano melodies truly scratching on my nerves". You also permit yourself, mister Gougnot an "irritant impression of hearing always the same track, always the same album".
He stops. Carefully, I shut up. They fuss on my left. A considerable number of phallanxes comes violently crash on my face already bruised. What a mother fucker. Big-Arms n°2 wears a signet ring. I feel the blood sinking from the cut my cheek just has been gifted. He growls "Answer ! ". It's less sophisticated than his interviewer colleague.

What can I answer ? That, in the same chronicle, i conceeded that the literary quality is, for me, less problems when it's english speaking, just because i don't get a shit ? That i recognized the quality of the proposed atmosphere in some tracks like "The Dead are Walking", nice psychedelic success with classiest classic, as the Limañanas know how to make ? That i know how easy it is to criticize when you don't make your own stuff, that only the unmakers never mistake ? I'm too scared to get beaten again, so I croak :
-   I won't do that anymore. Never ever, I will write any chronicle on albums i haven't liked. I swear ! I will also listen to this one again, maybe i haven't heard so well.

I'm sighing. I'd like to see you in. They take you out from your blissful happiness and, it's true, sometimes a few shabby, to punch your face because you wrote just to have fun with your friends and also to break the devout unanimity about a band that you didn't like the last effort also if you don't feel any animosity for those people who try to have a quiet life. I thought i was red by only ten people, no more and i include the translator. But no, also the secret services of the Ministry of Culture, of French Tongue and of the International Delight of Our Beautiful Country have had their eyes aimed on my insignificant person. No joke, that fucks me up . I want to see the Sun again, to eat cheese with bread and salad. To drink beers with my buddies, comfortably on a terrasse, looking quietly at the hunting swallows, when get pink the last spring sunlights. I want to see my children again, my wife. I don't wanna die, I' m hungry, I'm cold, I'm scard, so I cry.

Weirdly, I would like some catechu again.