Le Girl Power helvétique entre en scène

Coups de latte et baisers (2023)
          Quoi de mieux que la Journée internationale de la femme du 8 mars
pour parler des artistes féminines suisses ? Car, croyez-le ou non, le sujet est brûlant !


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     En juin dernier, Sophie HUNGER, une des figures de proue de la scène helvétique, poussait un coup de gueule bienvenue sur Twitter pour dénoncer l’absence de femmes dans la programmation du festival tessinois (en Suisse italienne pour les moins connaisseurs) Moon & Stars. Le directeur du festival, un certain Dani BÜCHI (un mâle) répondait, par l’entremise d’une interview accordée à Keystone-ATS, que ce n’était pas de sa faute, mais « qu’il n’avait pas été possible cette année de réserver une musicienne qui attirerait 8 000 à 10 000 spectateurs », plus encore il ajoutait : « dans cette ligue, il n’y a malheureusement que très peu de musiciennes. Le marché est extrêmement restreint ». Relayant ces faits, la Radio télévision suisse romande (RTS) s’est lancée dans une petite étude statistique des programmations des principaux évènements musicaux de Suisse romande et arrivait à la conclusion que les artistes féminines (toutes provenances confondues) étaient sous-représentées. Pour les seules têtes d’affiche, le pourcentage de femmes se situait entre 6% et 33%. Michael DRIBERG, directeur de Live Music Production (un des plus gros organisateurs de concerts en Suisse), lui, n’y allait pas par quatre chemins, dénonçant un faux débat de la part de Sophie HUNGER, car, disait-il, « nous aimerions tous avoir plus d’artistes féminines sur scène et on les cherche activement. Déjà, elles sont moins représentées dans l’industrie musicale et il est compliqué de trouver une artiste capable de remplir une jauge à plus de 10 000 places ». Quant aux stars, telles ADELE ou RIHANNA, elles sont simplement inabordables pour les programmateurs helvétiques. Enfin, histoire de se défausser encore un peu plus de ses responsabilités, DRIBERG assènait que, de toute façon, « on doit présenter au public ce qu’il aime. Et si cette année c’est majoritairement masculin, alors la programmation sera majoritairement masculine ».

À l’image de l’industrie agro-alimentaire qui ne peut pas baisser la quantité de sucre ou de sel, sans parler du glumate addictif, parce que c’est ce que le consommateur demande, on rappellera que le « goût » du consommateur a quand même été formé par les choix de l’agro-alimentaire privilégiant la mal-bouffe à la qualité pour des raisons purement mercantiles de rentabilité ! Le monde du show-biz ne fait pas mieux ! Aussi, le message semble bien rodé du côté des hommes (« Ce n’est pas notre faute ! », « On n’y peut rien ! », « Pourquoi changer un modèle qui fonctionne ? »…), mais comme l’explique la Fondation CMA qui soutient et développe les musiques actuelles en Suisse romande, « les femmes qui drainent du public existent, mais les réflexes pour aller les chercher ne sont pas encore présents ». On l’aura compris, les machos aux commandes ne veulent pas que les choses bougent, par flémardise, idéologie rétrograde et peur du changement. Qu’on se le dise ! Et d’ailleurs on se le dit, puisque, depuis 2018 au moins, des voix s’élèvent en Helvétie pour demander des quotas paritaires dans le domaine musical.
Quoi qu’il en soit, cette tendance machiste est confirmée par les premiers résultats, publiés en 2021, de l’étude lancée par Pro Helvetia auprès de l’Université de Bâle, en collaboration avec le Swiss center for social research. Une autre étude similaire de l’Université de Berne doit s’étendre jusqu’en 2024. Pour 2021, les premiers résultats montrent une sous-représentation des femmes dans tous les domaines culturels et, en particulier, très prononcés du côté du Rock et du Jazz, comme le montre le graphique suivant :

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Si maintenant, on considère la situation du point de vue des créatifs et non des « distributeurs-programmateurs », d’une manière générale, il apparaît qu’il n’est pas vrai que les artistes féminines actives et suffisamment célèbres pour drainer un public important sont rares ou inexistantes. Donc, mensonge de la part de DRIBERG, BÜCHI and Co, les hommes au pouvoir. S’il fallait une preuve, il suffirait de donner l’initiative de la PRS Foundation, une fondation britannique favorisant la création musicale. À la suite de son appel, pas moins de 46 festivals d’envergure européens ou internationaux s’engageaient en février 2018 pour atteindre la parité, dont deux seulement en France il est vrai (le Gilles Peterson's Worldwide Festival de Sète et le Midem de Cannes) et… AUCUN en Suisse. Mais c’est donc que c’est possible, pas forcément facile, mais possible, et qu’il existe un vivier d’artistes féminines ayant une notoriété suffisant, même si la résistance « aveugle » des mâles est tenace ! Et si ces dames ne sont pas en mesure de faire venir à elles seules 10 000 payeurs de tickets de concert, elles peuvent sans difficulté faire une première partie d’un groupe de mecs célèbres. Donc, oui, il est possible de programmer des artistes féminines et il est ridicule de programmer un festival uniquement masculin sous prétexte qu’on ne trouve pas d’artistes féminines. Me trompe-je ?
 

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Il faut savoir qu’en Helvétie, on connaît plusieurs actions visant à promouvoir les femmes musiciennes. L’agence Inouïe s’engage avant tout auprès des artistes féminines, tout comme le projet Keychange au niveau de l’Europe. La plateforme web Music Directory, elle, a été initiée en 2020 afin d’essayer de favoriser la parité, sous la houlette d’Helvetia Rockt, une association qui met, elle aussi, en avant la création musicale féminine, sans oublier le festival genevois Les créatives, qui en sera à sa 19e édition cette année et qui ne proposent que des artistes féminines. La majeure partie de ces projets sont souvent le fruit de féministes engagées et parfois très radicales (on pense à l’équipe d’Helvetia Rockt qui nous refusa un projet collectif de promotion du 8 mars, car… « c’est tous les jours que la femme doit être célébrée » !). Par ailleurs, très fréquemment, ces projets s’ouvrent à la communauté LGBTQIA+, elle aussi fortement minoritaire dans le monde culturelle suisse ou mondial.
Autrement dit, il y a aujourd’hui une prise de conscience grandissante et une très claire et nette volonté de lutter contre le machisme patriarcal ringard qui prédomine encore dans le monde de la culture en ces temps de réinvention de la société.
 

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Maintenant, histoire de montrer la croissance exponentielle et qualitative de la production musicale féminine suisse, faisons un petit tour d’horizon rapide de ce qu’on trouve actuellement sur la plateforme MX3 que nous parcourons de jour en jour, en quête du meilleur. Pour les 12 derniers mois seulement, dans un ordre quasi chronologique décroissant, en plus de Sophie HUNGER, Émilie ZOÉ, Anna AARON ou Evelyn TROUBLE, les papesses icôniques incontournables de la scène helvète, on trouve une ribambelle d’artistes féminines débutantes ou confirmées, dans presque tous les styles, et, bien sûr, on vous en a fait une playlist de… 85 titres, soit plus de 5 heures d’écoute !
Quand bien même il est vrai qu’un artiste en studio n’est pas forcément performant sur scène, le nombre d’artistes femmes laisse quand même la place à un choix appréciable dans lequel programmateurs et programmatrices peuvent puiser. La quasi-totalité des artistes de notre playlist ont été diffusées par une ou plusieurs radios suisses, publiques ou privées, mais nombre sont encore à découvrir ! Notons aussi, pour être franc, que les artistes féminines ont été intégrées, mais également quelques groupes dont la voix est féminine.

Petit extra : pour achever cette chronique, on pourrait encore citer Sarah MÜLLER, alias Soy SARITA, qui a signé, à l’été 2022, chez Universal Music, une major s’il en est, sans pour autant que l’on sache vraiment pourquoi, tant ses chansons en franco-espagnol sont convenues et formatées mainstream – tube de l’été qui n’a pas fonctionné ! Mais le contrat est là, donc bel exploit !

Alors n’hésitez pas à partir à la découverte de la musique féminine, même si l’ART avec un grand A s’en contrefout des sexes ! Un morceau devrait être considéré pour lui-même et sa qualité artistique et non en fonction du sexe de son / ses interprète(s) ou créateur(s). N’est-il pas ?!
 

GROTOTORO, Genève 

(08 mars 2023)

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Pour prolonger...


Juliette de Banes Gardonne. 
Dans le milieu de la musique, on se demande où sont les femmes
     Le temps, 14/06/2022

Léo Michoud. Ces chanteuses qui réveillent la pop romande
     Blick, 12/03/2022

Andrea Zimmermann (dir.). Les relations de genre dans le secteur culturel suisse.
Une analyse qualitative et quantitative axée sur les acteur - trice - s culturel - le - s,
les institutions culturelles et les associations
    
(Universität Basel, 2021).

Changeons de refrain. Les femmes dans l’industrie musicale
     L’auditoire : le journal des étudiants de Lausanne depuis 1982,
     n° 242 (2017/12), p. 4-11.

Nicolas Poinsot. Label Suisse : 4 chanteuses suisses sous la loupe
     Femina, 08/09/2014

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Photographies : Les Créatives, HelvetiaRockt, DR
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