La sagesse rayonnante des BUMBLEBEES

Chronique (2022)
          Contrairement à ce que son nom pourrait laisser présager, la musique du groupe suisse-italien BUMBLEBEES ne file pas le bourdon. Notre correspondant Genevois se charge de nous faire découvrir ce pur nectar sonore.
 

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          Tout a commencé en mai 2022, avec un vidéo-clip visuellement bluffant d’animation en papier. Little fish nous a emballé au premier regard tellement il est coloré, frais, amusant, bien fait, intelligent, à mille lieues au moins de ce qui se diffuse sur les écrans actuellement... Quelques jours plus tard, on retenait un single au titre de Older qui nous allait si bien, quand bien même le contenu était plus poppy dansant que psyché planant, vieillesse oblige. Tous deux ont intégré le top de nos playlists du moment. Peu importe ! La musique des BUMBLEBEES (BOURDONS en français) est un pur nectar pour les oreilles. Et ces deux singles esseulés se sont, en fait, avérés être les prémisses du second LP du groupe, autoproduit avec un brio aux limites de la perfection, Paper boat, sorti à l’aube des fêtes de tous les Saints et des morts d’hier, grand Dieu ! Impossible donc de résister à la tentation pécheresse et gourmande d’une petite incursion dans le monde dream pop nu-psychédélique des BUMBLEBEES, du candy ear (ou « sucre candy pour les oreilles » en français) qui fait du bien, même pour les non diabétiques, avec un chouilla de réminiscence PET SHOP BOPienne et de leur ELECTRONIC Band collatéral. Cet attrait pour le Paper boat n’est cependant pas anodin, car la forme enjouée cache délicatement la profondeur du fond.
 

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En fait, j’ai toujours refusé de grandir, au grand dam de ma très chère maman qui ne cesse de se lamenter et de m’assourdir les oreilles avec un « Mais enfin, quand est-ce que tu vas te décider à devenir adulte ? ». Réponse (définitive, indéfectible, assurée, géniale - Vive moi ! ) : JA-MAIS ! À 20 ans, ça passe. À mon âge, y a plus rien à espérer sauf pour celle qui m’a engendré et sevré. Qui puis-je ? Et ce choix, je l’affirme, est des meilleurs car, qui mieux qu’un enfant peut apprécier les sucreries de la vie, hein ? Un adulte ? Laissez-moi rire ! « Haribo, c’est que pour les enfants », ça veut tout dire, non ?! Faut bien que la pub serve à quelque chose quand même !
Mais revenons à l’essentiel, au concret. Les BUMBLEBEES, c’est un groupe suisse-italien, du Tessin (au milieu du Sud du pays du chocolat, où on trouve surtout… des Suisses-allemands, désolé), composé de cinq gugusses (les frères Emanuel et Valentin KOPP, Andrea PIFFARETTI, Nicolò TAMÀ et Francesco FABRIS, auxquels il faut ajouter Joanna KOPP pour les lyrics de Little fish - bravo à elle, une des meilleures chansons du LP, avec Seastar / Sister et Almost nothing) qui grandissent (comme tout le monde, en fait), tout en gardant leur âme d’enfant et qui ont décidé pour composer et produire leur musique de se home-baser à Zurich… la capitale de la Suisse alémanique. Vous suivez ?
 

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Après un premier EP autoproduit (Pollination, sorti en 2017) et un premier LP sorti chez Radicalis en 2019 (Dancing dots in the dark, voici qu’ils récidivent avec un LP dix titres parfaitement abouti et homogène. Dans une interview accordée au magazine online Tio (en italien), Andrea PIFFARETTI explique que Paper boat est le fruit de l’évolution des membres du groupe, une maturité naturelle et forcée à la fois, en particulier à la suite de l’épidémie de Covid-19, et que de ce fait, « certaines chansons sont des extraits de [leurs] expériences personnelles. Dans certains passages, les incertitudes et les doutes liés à ces changements émergent ». Plus encore, dit-il, il y a un fil rouge qui lie toutes les chansons. Pour PIFFARETTI, l’explication est simple : « nous sommes allés à la redécouverte de ″l’enfant intérieur″ qui nous habite, et c’était agréable de cheminer à ses côtés durant ce voyage ». Au final, le constat est des plus clairs : Paper boat est un album plein de positivité, de fraîcheur et offre à l’auditeur une sorte de joie de vivre à l’écoute.

Mais quel(s) message(s) véhicule(nt) ces dix morceaux ? Le temps qui passe sans fin et ses effets corrupteurs ou magiques sur chacun de nous. Peut-on garder ses rêves d’enfant ? Doit-on grandir tout de suite ou peut-on attendre un peu, voire un petit peu plus (Older) ? La vie infinie qui nous environne est effrayante, tout y est possible. Alors comment grandir dans ce monde ? À qui se fier ? Quelle(s) voix suivre (Little fish) ? « The only constant is uncertainty (La seule constante est l’incertitude) », où qu’on aille, quoi que l’on fasse, et pire, tout n’est qu’illusion ou voué aux limbes de la fatale disparition, inévitable. « And we’re always somewhere, balancing between black holes (Et nous sommes toujours quelque part, en équilibre entre les trous noirs) » (Delicate limbo). La vie, grandir, vieillir, c’est oublier ses rêves et retrouver la raison. Mais la raison fait mal. Elle blesse, elle est sombre et rarement rayonnante. « Reality and dreams may be equally insane but dreams are so much better at alleviating pain. I don’t care if you forget me when I’m dead. I don’t care if you forget me when I’m dead. I won’t be there to have regrets. But I’m afraid you might forget me while I’m here (La réalité et les rêves peuvent être tout aussi fous, mais les rêves sont tellement meilleurs pour soulager la douleur. Je m’en fous si tu m’oublies quand je serai mort. Je ne serai pas là pour avoir des regrets. Mais j’ai peur que tu m’oublies pendant que je suis ici) » (Lightheartedness).
 

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On est jamais loin du « Carpe diem, quam minimum credula postero (Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain) » d’HORACE, à la différence près qu’HORACE parle de vivre sa vie pleinement, maintenant, sans penser à demain, alors que les BUMBLEBEES parlent de vivre le moment présent en contact avec l’Autre. Il ne suffit pas d’exister, mais d’exister en complicité avec le regard des autres, dans le moment présent. Serait-ce finalement cela vivre ? Dans le doute ou l’incertitude, il suffit de se souvenir, l’esprit vagabond, de regarder son passé et se remémorer les moments de partage, les moments aimés, les bons moments, tout en attendant ce futur qui toujours vient, inlassablement, remplissant le vide dont on ignorait tout jusque-là (Roving mind). Dans ces moments de doute vient la pensée délétère : à quoi ça sert ? Pire, sans toi, à quoi bon ? « The sounds I make don’t mean a thing when there’s no one listening (Hey, is anyone listening ? ) (Les sons que je fais ne veulent rien dire quand personne n’écoute (Hey ! Est-ce que quelqu’un écoute ? )) » (Waiting list). À quoi bon vivre dans la solitude ? Mais, a contrario, qui peut dire ce qui est ? Qui peut être sûr ? « Yesterday, today was tomorrow. Does it mean that the future is now? (Hier, aujourd’hui, c’était demain. Est-ce dire que le futur c’est maintenant ? ) » (Your guess is as good as mine). Celui qui dirait autre chose, aurait-il plus raison que moi ? Qui sait ? Alors que faire ? Allez de l’avant, bouger. En bougeant, on n’est pas seul. On finit toujours par entrer en contact avec quelqu’un et même dans le noir, on peut avancer car au final, la lumière est en nous et parce que la lumière est en nous, on peut sans autre se dire « I don’t know where I’m going, I don’t know where I’ve been, but I could go wherever as long as I keep moving (Je ne sais pas où je vais, je ne sais pas où j’ai été, mais je pourrais aller n’importe où tant que je continue à bouger) » (Seastar / Sister). C’est là que réside l’espoir, l’espoir de vivre toujours heureux ou presque. Car la rencontre est une promesse de possibles infinis, même si « You, you told me almost nothing, nothing at all about your deepest sorrows, it would feel so good to meet again tomorrow (Toi, tu ne m’as presque rien dit, rien du tout sur tes peines les plus profondes, ce serait si bon de se revoir demain) » (Almost nothing). Au final, quoi qu’on en dise, on se ressemble, même si on n’est pas pareil. Et c’est cela qui est bien. Ce n’est pas grave, pas plus que « Thoughts and fears are spinning in my mind. Forever, I know, youth won't fade away (Les pensées et les peurs qui tournent dans mon esprit. Pour toujours, je sais, la jeunesse ne s’effacera pas) » (Kites). Et la jeunesse, c’est les rêves. La boucle est presque bouclée. Cependant, il faut vieillir, mais vieillir n’est pas mauvais non plus. C’est non seulement obligatoire. On n’a pas le choix. Mais vieillir, c’est une progression, une progression de soi-même. Or, la beauté de la chose, c’est qu’on peut changer tout en restant toujours le même, fidèle à ses rêves, et cette vérité n’est pas valable seulement pour moi, mais pour toi aussi, car on se ressemble, même si on n’est pas pareil !
 

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Voilà le monde des BUMBLEBEES. Un monde de questionnement, de doutes existentiels, mais toujours positif, toujours en quête de la lumière intérieure qui réchauffe lorsqu’il fait froid et qui se partage avec l’Autre, celui qui, semblable à nous-mêmes, nous permet de mieux voir, de mieux explorer le monde, de découvrir les multivers et les possibles infinis de la vie qui nous est offerte pour un temps limité, même si l’on en ignore à tout jamais le jour de péremption.
Avec cette autoproduction si bien finalisée, aux mélodies enchanteresses, au texte intelligent et empli de la sagesse de ceux qui ont vécu, on peut dire, sans peur ni reproches aucun, que les BUMBLEBEES nous ont concocté, si ce n’est l’album de l’année, du moins l’un des cinq meilleurs albums de notre TOP 5 de 2022. On se réjouit maintenant de découvrir leurs futurs vidéo-clips et - plus encore - de les découvrir sur scène, pour savoir si la magie opère aussi dans le réel de la vie vraie, immédiate et surprenante !

 

GROTOTORO (from Genève)

(11 novembre 2022)

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BUMBLEBEES. Paper boat (Autoproduction, 2022)
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Pour prolonger...

BUMBLEBEES : Bandcamp
BUMBLEBEES : site web

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Photographies : DR / Bandcamp BUMBLEBEES
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