Flying Microtonal Banana (Flightless Records) // par Nicolas Gougnot
Coïncidence, on célèbre ces temps-ci le centenaire de la glorieuse offensive du Chemin des Dames. Le parallèle avec l’actualité politique devient alors saisissant. Les théories libérales sont au XXIème siècle débutant ce que les offensives Nivelle étaient au XXème siècle émergent : des dizaines de milliers d’existences fauchées pour gagner cinquante mètres. Les discours politiques, tous bords confondus, concernant la fumeuse « lutte contre le chômage » s’apparentent au « Je les grignote » de Joffre en la prestigieuse année 1915. La retraite à un âge décent, dans des conditions décentes, la protection maladie, la limitation du temps de travail, et autres supposés freins à la compétitivité ? Autant de tranchées ennemies à emporter et à nettoyer à la bêche aiguisée. Des abris à lessiver à la grenade et au lance-flammes. Du gaz moutarde à chaque repas, on s’en fait des tartines. On bombe le torse et on monte sur ses ergots, ça impressionne le populo. Pendant quatre ans, ces recettes guerrières ont montré leur inefficacité à emporter l’enjeu, malgré leurs performances destructrices. Depuis une quarantaine d’années que les remèdes de rebouteux du libéralisme sont appliqués tels des cataplasmes au saindoux, on mesure que leur seule efficacité est de briser des existences. Marchands de canons hier, actionnaires aujourd’hui, les cyniques sont toujours ceux qui profitent.
Le libéralisme est devenu le nouveau totalitarisme. Si le mot est fort et l’expression galvaudée, il suffit néanmoins de constater que toute dissidence idéologique est balayée d’un revers de la main. Elle n’est certes plus aujourd’hui dénoncée comme « hérétique », « dégénérée » ou « contre-révolutionnaire », mais comme « généreuse, bien qu’utopique », « farfelue » ou, pire, « populiste ». L’égalité sociale entre les individus, quelle idée farfelue ! Exiger que les riches paient leurs impôts, reversés sous forme d’aides aux plus démunis, c’est du populisme ! Certes, il y a le populisme-pas-bien, vieil héritage crypto-fasciste européen. Mais cette notion de populisme est surtout bien pratique pour décrédibiliser les idées qui dévient de la ligne, du credo libéral.
On est en droit de se demander si le fantasme ultime de nos décideurs, politiques ou économiques, n’est pas le modèle singapourien. La fourmilière libérale. Un vote sans véritable choix, quasi inutile donc, en échange de promesses d’enrichissement personnel. Le grand chacun-pour-soi. Une « dictature éclairée » tournée vers le culte de l’efficacité, personnelle et collective, où l’idée d’épanouissement personnel, pour ne pas parler du bonheur contemplatif, n’apparaissent plus comme sympathiques et saugrenues, mais comme des déviances criminelles. Il faut se sacrifier pour l’économie de son pays, pour son entreprise, sa famille, son institution. La dévotion à la performance. Etes-vous un employé performant ? Comment améliorer vos performances de sportif du dimanche ? Etes-vous performant au lit ? Nos recettes pour être une mère idéale. Et l’on attend la plus exemplaire « loyauté » des pauvres types que nous sommes, soumis aux contrats d’objectifs et évaluations de toutes sortes.
Ecouter King Gizzard and the Lizard Wizard, c’est faire tout le contraire de ce que l’on attend de nous. Un bon vieux gros laisser-aller. Une forme de mutinerie dans le contexte actuel. Un refus de monter en ligne, au nom de la plus totale liberté créatrice. Personne ne leur a dit qu'on n'introduit pas un album par un chef-d’œuvre krautrock ? On DOIT conclure avec un tel morceau. C'est mécanique. C'est obligatoire. La preuve ? Tous les autres le font ! Et cette pratique qui consiste à enchaîner avec des contre-pieds totalement insaisissables ? Leurs rythmes et mélodies ne sont pas immédiatement efficients comme le voudrait la doctrine. Leurs morceaux sont trop longs, ou alors trop courts. Ils sont capables de mêler, par exemple, la flûte traversière opiacée et la guitare microtonale hachichine, soutenues par deux batteries, parfois épileptiques, pour un résultat pourtant flegmatique. Les mélodies orientalisantes bien qu’électriques sont un véritable pied-de-nez aux prétendues valeurs occidentales agitées par les plus excités. Quand débute un morceau, bien malin qui pourrait dire comment il s’achèvera. Flying Microtonal Banana est un chiffon rouge subversif agité sous le nez de nos décideurs à chaussures à bout pointu et à costumes à 50 000 €. Et peu importe la question de savoir si cette musique me plaît ou pas. La seule chose qui compte, c’est de constater que les jeunes gens opérant au sein de King Gizzard & the Lizard Wizard disposent manifestement d’une liberté totale, et qu’ils ont bien compris que celle-ci ne s’use que s’ils n’en usent pas.
Le libéralisme est devenu le nouveau totalitarisme. Si le mot est fort et l’expression galvaudée, il suffit néanmoins de constater que toute dissidence idéologique est balayée d’un revers de la main. Elle n’est certes plus aujourd’hui dénoncée comme « hérétique », « dégénérée » ou « contre-révolutionnaire », mais comme « généreuse, bien qu’utopique », « farfelue » ou, pire, « populiste ». L’égalité sociale entre les individus, quelle idée farfelue ! Exiger que les riches paient leurs impôts, reversés sous forme d’aides aux plus démunis, c’est du populisme ! Certes, il y a le populisme-pas-bien, vieil héritage crypto-fasciste européen. Mais cette notion de populisme est surtout bien pratique pour décrédibiliser les idées qui dévient de la ligne, du credo libéral.
On est en droit de se demander si le fantasme ultime de nos décideurs, politiques ou économiques, n’est pas le modèle singapourien. La fourmilière libérale. Un vote sans véritable choix, quasi inutile donc, en échange de promesses d’enrichissement personnel. Le grand chacun-pour-soi. Une « dictature éclairée » tournée vers le culte de l’efficacité, personnelle et collective, où l’idée d’épanouissement personnel, pour ne pas parler du bonheur contemplatif, n’apparaissent plus comme sympathiques et saugrenues, mais comme des déviances criminelles. Il faut se sacrifier pour l’économie de son pays, pour son entreprise, sa famille, son institution. La dévotion à la performance. Etes-vous un employé performant ? Comment améliorer vos performances de sportif du dimanche ? Etes-vous performant au lit ? Nos recettes pour être une mère idéale. Et l’on attend la plus exemplaire « loyauté » des pauvres types que nous sommes, soumis aux contrats d’objectifs et évaluations de toutes sortes.
Ecouter King Gizzard and the Lizard Wizard, c’est faire tout le contraire de ce que l’on attend de nous. Un bon vieux gros laisser-aller. Une forme de mutinerie dans le contexte actuel. Un refus de monter en ligne, au nom de la plus totale liberté créatrice. Personne ne leur a dit qu'on n'introduit pas un album par un chef-d’œuvre krautrock ? On DOIT conclure avec un tel morceau. C'est mécanique. C'est obligatoire. La preuve ? Tous les autres le font ! Et cette pratique qui consiste à enchaîner avec des contre-pieds totalement insaisissables ? Leurs rythmes et mélodies ne sont pas immédiatement efficients comme le voudrait la doctrine. Leurs morceaux sont trop longs, ou alors trop courts. Ils sont capables de mêler, par exemple, la flûte traversière opiacée et la guitare microtonale hachichine, soutenues par deux batteries, parfois épileptiques, pour un résultat pourtant flegmatique. Les mélodies orientalisantes bien qu’électriques sont un véritable pied-de-nez aux prétendues valeurs occidentales agitées par les plus excités. Quand débute un morceau, bien malin qui pourrait dire comment il s’achèvera. Flying Microtonal Banana est un chiffon rouge subversif agité sous le nez de nos décideurs à chaussures à bout pointu et à costumes à 50 000 €. Et peu importe la question de savoir si cette musique me plaît ou pas. La seule chose qui compte, c’est de constater que les jeunes gens opérant au sein de King Gizzard & the Lizard Wizard disposent manifestement d’une liberté totale, et qu’ils ont bien compris que celle-ci ne s’use que s’ils n’en usent pas.