La Vie Electrique (PIAS) // par Anton Schaeffer
S'affrichissant des dogmes indie pop dans lesquels on aurait pu les cantonner, le groupe Aline revient avec un deuxième album, "La Vie Electrique". Epaulé par le producteur anglais Stephen Street, le groupe délivre ainsi un disque pop dans le sens le plus noble du terme, au carrefour entre The Smiths, les Buzzcocks, et Etienne Daho. Interview avec le chanteur du groupe, Romain Guerret.
Dans quel état d'esprit avez vous abordé la réalisation de ce deuxième album ?
On était assez décontractés, on a essayé de le faire assez vite pour désacraliser le passage au deuxième album. Donc, on a voulu remonter très vite, ne pas se poser trop de questions. Ce que l'on aime, c'est faire de la musique et composer. Du coup, on a toujours quelques morceaux dans nos tiroirs. On avait donc le désir d'aller vite et on a pas trop réfléchi. Cela s'est fait assez naturellement en fait, sans trop de stress. On savait qu'il y avait plein d'autres gens qui nous attendaient au tournant. Mais bon, il y a des choses plus graves dans la vie.
Pour cet album, vous avez travaillé avec Stephen Street, producteur entre autres des Smiths, de Morrissey et de Blur. Comment s'est faite la connexion avec lui ?
A partir du moment où on a signé chez PIAS, on nous a demandé avec quel réalisateur nous voulions bosser pour l'album. Alors, nous avions fait une short-list des gens avec qui nous voulions bosser, et nous avions mis Stephen Street en se disant pourquoi pas, même si on rêve un peu. Et, nous l'avons alors contacté sur son vieux site internet, en lui envoyant un lien du premier album, en nous disant qu'il ne nous répondra jamais. Un peu comme une bouteille à la mer, tu écris au mec mais tu sais qu'il ne te répondra pas. Et en fait, le lendemain il nous a répondu, en disant qu'il n'avait jamais travaillé avec des français, qu'il avait adoré ce qu'il avait écouté du premier album. Et le surlendemain, on avait un message de son manager et de son avocat qui nous demandaient comment on voulait faire l'album, combien de titres on avait... Donc, ça s'est fait très vite et très naturellement, et c'était une surprise pour nous, une très bonne surprise bien évidemment.
Qu'est ce que vous avez ressenti en apprenant que vous alliez bosser avec lui ?
On s'attendait vraiment pas à ce qu'il accepte, on s'attendait même pas à ce qu'il réponde. C'est surprenant. Et puis, on a eu peur à un moment donné. On s'est dit : « merde », un peu comme des gamins qui font une connerie au téléphone. On s'est dit qu'il fallait qu'on assure maintenant, faut pas qu'on déconne. Mais bon, ça s'est très bien passé avec lui. Il a très vite vu, le premier jour, qu'on avait bien bossé, qu'on était au point, et ça l'a rassuré. Et puis nous, on a très vite oublié que c'était Stephen Street, et on l'a considéré comme le sixième membre du groupe. C'était une franche camaraderie.
Pour le premier album, « Regarde le Ciel », vous aviez travaillé avec Jean louis Piérot du groupe les Valentins. Quelles différences as-tu pu repérer dans leurs manières de travailler ?
C'est pas du tout les mêmes personnalités, même si ils sont de la même génération et qu'ils ont écouté la même musique. Jean Louis Piérot a adoré les Smiths, il a adoré les musiques anglo-saxonnes. Quelques part, ils ont les mêmes références et les mêmes influences. Mais Jean Louis Piérot est français, donc il a aussi la culture française, ce background que Stephen Street n'a pas du tout. Mais en fait, c'est deux personnes très calmes, très organisées, très à l'écoute... Il y a quelques similitudes dans leurs façons de travailler, sans stress et puis plutôt méthodique. L'enregistrement de cet album avec Stephen Street s'est déroulé sur une période courte, quelques jours seulement. On l'a enregistré très live, très vite. Alors il sonne très produit, mais très live. Le travail avec Jean Louis Piérot est moins live, il y a moins d'air, moins de room.
A l'écoute de ce deuxième album, on a l'impression d'un ensemble très cohérent, mais tout de même avec quelques directions artistiques assez inédites pour le son du groupe, je pense notamment au dub sur le titre "Plus Noir Encore". Aviez vous cette volonté de vous affranchir de l'étiquette indie pop / Sarah Records qu'on a pu vous coller lors de la sortie de votre premier disque ?
C'est exactement ce qu'on voulait faire. On ne voulait absolument pas refaire complètement le premier album, ce que l'on aurait pu faire. Ça aurait été assez simple pour nous, on avait déjà des morceaux dans ce sens, que l'on a pas repris. On a donc voulu explorer d'autres facettes de nos influences, parce qu'on écoute pas que les Smiths, on écoute pas que Daho ou Jesus & Mary Chain. On écoute plein de trucs, du dub, du reggae, beaucoup de musiques électroniques aussi. Disons que c'était l'occasion d'amener d'autres couleurs, d'avoir une palette plus large, d'étoffer le son, aller voir un peu ailleurs tout en ne maîtrisant pas forcement les couleurs que l'on a utilisé. Mais c'est ça qui est intéressant. On est pas un groupe de reggae, et l'intérêt pour Aline c'est que les gens aient la vision que nous pouvons avoir du reggae, comme la vision que l'on peut avoir du funk ou de n'importe quelle autre musique. Parce qu'au final ça reste du Aline, et c'est ce qui compte le plus. On fait pas de la musique pour puristes, pour des gens qui n'écouteraient que du dub ou du reggae. On a une façon de faire qui est singulière, on le fait avec nos propres moyens. Sur cet album, on a éclaté un peu les thématiques, même dans les textes c'est un peu plus varié. On voulait varier les plaisirs.
En parlant des textes, il y a également dans les paroles de cet album une volonté de sortir de l'emploi de la première personne du singulier.
C'est moins évident sur cet album, mais tous les textes parlent de moi. J'ai pas beaucoup d'imagination, je peux pas forcement inventer des trucs, donc ça parle toujours plus ou moins de moi, de la vision que j'ai des choses, des thèmes que j'aborde. J'y met beaucoup de moi même dedans. Mais par contre, dans la forme, j'ai essayé de ne pas employer toujours le « je ». Par exemple, je me suis mis à la place d'une femme dans le titre « Les Mains Vides ». C'est une chanson qui représente une certaine période de ma vie. Mais c'est pas Romain Guerret qui chante, c'est Romain Guerret qui écrit et je joue un personnage, je me met dans la peau de quelqu'un d'autre. Ce qu'il n'y avait pas sur le premier album, donc là aussi une volonté d'aller voir ailleurs.
Justement, cette chanson, "Les Mains Vides", fait écho à "Elle m'oubliera" présente sur le premier album, par sa thématique (la rupture dans un couple).
C'est écrit du point de vue d'une femme en tout cas, alors que « Elle m'oubliera » présentait le point de vue d'un homme. Pour « Les Mains Vides » je me suis mis dans la peau d'une nana mais ça pourrait être chanté par un homme. Ça pourrait être un homme qui quitte son couple, fatigué parce que son couple ne correspond plus à ce qu'il désire, il a envie d'aller voir ailleurs, d'autres femmes, d'autres existences. Écrit comme ça, ça pourrait être effectivement le pendant d' « Elle m'oubliera ».
Tu écris tous les textes au sein d'Aline. Comment arrives tu à te défaire de la tradition littéraire française (Brel, Férré) en terme de paroles, surtout lorsqu'il s'agit de faire de la pop ?
Je sais pas encore, car c'est pas un truc que je conscientise. Quelque part, ça reste un truc de magique. J'ai toujours du mal à me foutre sur les textes. Je recule toujours le moment pour trouver le texte, parce que la musique vient avant. Après quand je me met à écrire, je sais pas vraiment ce qui se passe, je vois qu'il y a une métrique, et que c'est important. Il faut que ça sonne. J'ai pas envie d'utiliser tout l'attirail grammatical et syntaxique que peut offrir la langue française. Justement, j'ai envie d'aller à la synthèse, à la simplicité, parce que c'est de la pop et pas de la chanson française. Je sais où je me situe, j'ai pas envie d'écrire de la chanson française. Je chante en français car c'est ma langue, mais je fais de la pop music. Dans la pop music, ça doit sonner, les contraintes sont tout à fait différentes. Pour moi, les mots, les textes sont contraints par la musique, par le rythme, et par l'atmosphère qui découle des mélodies. Donc, niveau travail, c'est vraiment un puzzle. Les lignes de chants au départ sont en yahourt, et au fur et à mesure, le yahourt se transforme en vraie langue. Mais c'est toujours un peu miraculeux. Lorsque j'arrive à la fin d'un texte et que ça sonne, que ça veut dire quelque chose, et que je suis arrivé à exprimer une idée, je me dis : « putain, comment j'ai fait ?». Donc, je ne sais pas encore. Je pourrai pas vraiment y mettre le doigt dessus, c'est encore un peu irrationnel en fait.
Il y a, dans la musique d'Aline une certaine dualité entre de jolies mélodies et parfois des propos plus tragiques. Comment le perçois tu ?
Je suis content que tu perçoives ça et que tu m'en parles, parce que tout le monde ne le perçoit pas. Il y a des gens pour qui Aline est un groupe fun, il y a des mélodies, c'est entraînant... Ils ont pas compris, ou ils ne veulent pas comprendre, et à la limite c'est pas grave, parce que c'est leur ressenti. Mais, il y a une double lecture. Alors, je ne dirais pas qu'il y a dans les textes quelque chose de tragique, mais plutôt quelque chose de l'ordre du spleen, en fil rouge, quelque chose de mélancolique. Mais, il y a quelque chose de nuancé, on rigole jamais vraiment, et on est jamais vraiment triste car on essaye d'éviter le pathos, ce que je déteste. Je suis pas Jacques Brel, j'ai pas envie de faire pleurer les gens à coup de pathos et de grosses ficelles. Il faut rester dans la nuance, c'est toujours en filigrane. C'est ça qui m'intéresse, cette subtilité dans le mélange des sentiments. C'est bien si on sait pas trop où on se situe lorsqu'on écoute Aline, entre espoir et désespoir, entre lumière et obscurité. Mais parce que je suis comme ça, dans les nuances. J'aime bien l'ironie, le sarcasme, j'aime beaucoup rire, mais pas tout le temps. La vie n'est pas que rigolade et foutage de gueule. Surtout dans la musique, une chanson drôle, ça te fait marrer cinq minutes mais tu l'oublies très vite.
On trouve à travers la musique et les textes d'Aline un aspect consolateur. Il y a de la mélancolie, mais pas que...
C'est toute la pop que j'aime. Mais dans tous les genres de musique, j'aime bien lorsqu'il y a deux sentiments de mêlés. Et on en ressort, suivant ses propres sentiments, joyeux ou tristes. Ça dépend de comment les gens vont le prendre. Ça me plaît lorsqu'une chanson peut prendre plusieurs détours. J'aime pas les gens monolithiques, les choses monolithiques. Il y a pleins de couleurs entre le noir et le blanc. La vie est pas marrante, mais essayons quand même de faire en sorte que ça aille. C'est vrai que c'est pas drôle, mais en même temps c'est court, donc essayons de faire que ce soit le moins pénible possible. Il y a toujours une petite lumière quelque part, au bout.
A l'écoute de cet album, on prend conscience du long chemin parcouru par ton groupe entre les débuts, sous le nom de Young Michelin et ce deuxième album, "La Vie Electrique". Quel regard portes tu sur l'évolution d'Aline ?
J'en suis très fier. Je suis très fier que l'on ait réussi à faire un deuxième album. Parce que c'était pas gagné d'avance. Young Michelin, c'était du proto Aline, quelque chose de très naïf, de très brut au final, mais ça a amené tout le reste. Quand j'écoute les premiers morceaux, j'ai de la tendresse et de la fierté. C'était pas gagné, dans les années 2000, d'arriver avec ces morceaux là, à arriver à intéresser des gens avec ces petites chansons, un peu fragiles, et qui sont très loin des canons esthétiques de l'époque. Ça aurait pu vraiment rester underground, et rester pour quelques initiés. Mais c'est allé plus loin que ça. C'est pas énorme Aline, mais je suis content de ce chemin là. Ça me rassure quelque part : les gens, quand tu leur propose des choses assez honnêtes, ça parle à tout le monde. Tu pars de toi-même, petit être, pour aller à quelque chose d'universel. Tu te dis, en fait, je suis pas tout seul. Parfois, t'as l'impression d'être tout seul, incompris, mais en fait, des gens comme toi, il y en a des millions sur la surface de la terre.
Avec Arnaud, le guitariste d'Aline, vous avez composé deux excellents titres pour Alex Rossi, sortis chez Born Bad en 2013. Est ce qu'il y aura une suite pour cette collaboration ?
Il y a quatre nouveaux titres, qui ont été faits ces trois-quatre derniers mois. Ils sont prêts. Il n'y a pas de moyens pour le moment, pas de label. Alex est en train de chercher à droite à gauche, pour voir un peu où ça va sortir. En tout cas, on est très fiers de ces quatre titres, comme de tous les titres que l'on fait avec Alex. On le vit comme une récré, mais une récré intelligente, pas du foutage de gueule. On est pas dans le pastiche, on ne se moque pas de la chanson italienne, bien au contraire, on a beaucoup d'amour pour ça. C'est un style incroyable, avec lequel on peut faire passer plein d'émotions, c'est très riche. Ca nous fait super plaisir de bosser avec Alex, qui en plus est un copain, un ami qu'on adore. J'espère que cela va sortir bientôt, parce que les titres sont vraiment biens.
Dans quel état d'esprit avez vous abordé la réalisation de ce deuxième album ?
On était assez décontractés, on a essayé de le faire assez vite pour désacraliser le passage au deuxième album. Donc, on a voulu remonter très vite, ne pas se poser trop de questions. Ce que l'on aime, c'est faire de la musique et composer. Du coup, on a toujours quelques morceaux dans nos tiroirs. On avait donc le désir d'aller vite et on a pas trop réfléchi. Cela s'est fait assez naturellement en fait, sans trop de stress. On savait qu'il y avait plein d'autres gens qui nous attendaient au tournant. Mais bon, il y a des choses plus graves dans la vie.
Pour cet album, vous avez travaillé avec Stephen Street, producteur entre autres des Smiths, de Morrissey et de Blur. Comment s'est faite la connexion avec lui ?
A partir du moment où on a signé chez PIAS, on nous a demandé avec quel réalisateur nous voulions bosser pour l'album. Alors, nous avions fait une short-list des gens avec qui nous voulions bosser, et nous avions mis Stephen Street en se disant pourquoi pas, même si on rêve un peu. Et, nous l'avons alors contacté sur son vieux site internet, en lui envoyant un lien du premier album, en nous disant qu'il ne nous répondra jamais. Un peu comme une bouteille à la mer, tu écris au mec mais tu sais qu'il ne te répondra pas. Et en fait, le lendemain il nous a répondu, en disant qu'il n'avait jamais travaillé avec des français, qu'il avait adoré ce qu'il avait écouté du premier album. Et le surlendemain, on avait un message de son manager et de son avocat qui nous demandaient comment on voulait faire l'album, combien de titres on avait... Donc, ça s'est fait très vite et très naturellement, et c'était une surprise pour nous, une très bonne surprise bien évidemment.
Qu'est ce que vous avez ressenti en apprenant que vous alliez bosser avec lui ?
On s'attendait vraiment pas à ce qu'il accepte, on s'attendait même pas à ce qu'il réponde. C'est surprenant. Et puis, on a eu peur à un moment donné. On s'est dit : « merde », un peu comme des gamins qui font une connerie au téléphone. On s'est dit qu'il fallait qu'on assure maintenant, faut pas qu'on déconne. Mais bon, ça s'est très bien passé avec lui. Il a très vite vu, le premier jour, qu'on avait bien bossé, qu'on était au point, et ça l'a rassuré. Et puis nous, on a très vite oublié que c'était Stephen Street, et on l'a considéré comme le sixième membre du groupe. C'était une franche camaraderie.
Pour le premier album, « Regarde le Ciel », vous aviez travaillé avec Jean louis Piérot du groupe les Valentins. Quelles différences as-tu pu repérer dans leurs manières de travailler ?
C'est pas du tout les mêmes personnalités, même si ils sont de la même génération et qu'ils ont écouté la même musique. Jean Louis Piérot a adoré les Smiths, il a adoré les musiques anglo-saxonnes. Quelques part, ils ont les mêmes références et les mêmes influences. Mais Jean Louis Piérot est français, donc il a aussi la culture française, ce background que Stephen Street n'a pas du tout. Mais en fait, c'est deux personnes très calmes, très organisées, très à l'écoute... Il y a quelques similitudes dans leurs façons de travailler, sans stress et puis plutôt méthodique. L'enregistrement de cet album avec Stephen Street s'est déroulé sur une période courte, quelques jours seulement. On l'a enregistré très live, très vite. Alors il sonne très produit, mais très live. Le travail avec Jean Louis Piérot est moins live, il y a moins d'air, moins de room.
A l'écoute de ce deuxième album, on a l'impression d'un ensemble très cohérent, mais tout de même avec quelques directions artistiques assez inédites pour le son du groupe, je pense notamment au dub sur le titre "Plus Noir Encore". Aviez vous cette volonté de vous affranchir de l'étiquette indie pop / Sarah Records qu'on a pu vous coller lors de la sortie de votre premier disque ?
C'est exactement ce qu'on voulait faire. On ne voulait absolument pas refaire complètement le premier album, ce que l'on aurait pu faire. Ça aurait été assez simple pour nous, on avait déjà des morceaux dans ce sens, que l'on a pas repris. On a donc voulu explorer d'autres facettes de nos influences, parce qu'on écoute pas que les Smiths, on écoute pas que Daho ou Jesus & Mary Chain. On écoute plein de trucs, du dub, du reggae, beaucoup de musiques électroniques aussi. Disons que c'était l'occasion d'amener d'autres couleurs, d'avoir une palette plus large, d'étoffer le son, aller voir un peu ailleurs tout en ne maîtrisant pas forcement les couleurs que l'on a utilisé. Mais c'est ça qui est intéressant. On est pas un groupe de reggae, et l'intérêt pour Aline c'est que les gens aient la vision que nous pouvons avoir du reggae, comme la vision que l'on peut avoir du funk ou de n'importe quelle autre musique. Parce qu'au final ça reste du Aline, et c'est ce qui compte le plus. On fait pas de la musique pour puristes, pour des gens qui n'écouteraient que du dub ou du reggae. On a une façon de faire qui est singulière, on le fait avec nos propres moyens. Sur cet album, on a éclaté un peu les thématiques, même dans les textes c'est un peu plus varié. On voulait varier les plaisirs.
En parlant des textes, il y a également dans les paroles de cet album une volonté de sortir de l'emploi de la première personne du singulier.
C'est moins évident sur cet album, mais tous les textes parlent de moi. J'ai pas beaucoup d'imagination, je peux pas forcement inventer des trucs, donc ça parle toujours plus ou moins de moi, de la vision que j'ai des choses, des thèmes que j'aborde. J'y met beaucoup de moi même dedans. Mais par contre, dans la forme, j'ai essayé de ne pas employer toujours le « je ». Par exemple, je me suis mis à la place d'une femme dans le titre « Les Mains Vides ». C'est une chanson qui représente une certaine période de ma vie. Mais c'est pas Romain Guerret qui chante, c'est Romain Guerret qui écrit et je joue un personnage, je me met dans la peau de quelqu'un d'autre. Ce qu'il n'y avait pas sur le premier album, donc là aussi une volonté d'aller voir ailleurs.
Justement, cette chanson, "Les Mains Vides", fait écho à "Elle m'oubliera" présente sur le premier album, par sa thématique (la rupture dans un couple).
C'est écrit du point de vue d'une femme en tout cas, alors que « Elle m'oubliera » présentait le point de vue d'un homme. Pour « Les Mains Vides » je me suis mis dans la peau d'une nana mais ça pourrait être chanté par un homme. Ça pourrait être un homme qui quitte son couple, fatigué parce que son couple ne correspond plus à ce qu'il désire, il a envie d'aller voir ailleurs, d'autres femmes, d'autres existences. Écrit comme ça, ça pourrait être effectivement le pendant d' « Elle m'oubliera ».
Tu écris tous les textes au sein d'Aline. Comment arrives tu à te défaire de la tradition littéraire française (Brel, Férré) en terme de paroles, surtout lorsqu'il s'agit de faire de la pop ?
Je sais pas encore, car c'est pas un truc que je conscientise. Quelque part, ça reste un truc de magique. J'ai toujours du mal à me foutre sur les textes. Je recule toujours le moment pour trouver le texte, parce que la musique vient avant. Après quand je me met à écrire, je sais pas vraiment ce qui se passe, je vois qu'il y a une métrique, et que c'est important. Il faut que ça sonne. J'ai pas envie d'utiliser tout l'attirail grammatical et syntaxique que peut offrir la langue française. Justement, j'ai envie d'aller à la synthèse, à la simplicité, parce que c'est de la pop et pas de la chanson française. Je sais où je me situe, j'ai pas envie d'écrire de la chanson française. Je chante en français car c'est ma langue, mais je fais de la pop music. Dans la pop music, ça doit sonner, les contraintes sont tout à fait différentes. Pour moi, les mots, les textes sont contraints par la musique, par le rythme, et par l'atmosphère qui découle des mélodies. Donc, niveau travail, c'est vraiment un puzzle. Les lignes de chants au départ sont en yahourt, et au fur et à mesure, le yahourt se transforme en vraie langue. Mais c'est toujours un peu miraculeux. Lorsque j'arrive à la fin d'un texte et que ça sonne, que ça veut dire quelque chose, et que je suis arrivé à exprimer une idée, je me dis : « putain, comment j'ai fait ?». Donc, je ne sais pas encore. Je pourrai pas vraiment y mettre le doigt dessus, c'est encore un peu irrationnel en fait.
Il y a, dans la musique d'Aline une certaine dualité entre de jolies mélodies et parfois des propos plus tragiques. Comment le perçois tu ?
Je suis content que tu perçoives ça et que tu m'en parles, parce que tout le monde ne le perçoit pas. Il y a des gens pour qui Aline est un groupe fun, il y a des mélodies, c'est entraînant... Ils ont pas compris, ou ils ne veulent pas comprendre, et à la limite c'est pas grave, parce que c'est leur ressenti. Mais, il y a une double lecture. Alors, je ne dirais pas qu'il y a dans les textes quelque chose de tragique, mais plutôt quelque chose de l'ordre du spleen, en fil rouge, quelque chose de mélancolique. Mais, il y a quelque chose de nuancé, on rigole jamais vraiment, et on est jamais vraiment triste car on essaye d'éviter le pathos, ce que je déteste. Je suis pas Jacques Brel, j'ai pas envie de faire pleurer les gens à coup de pathos et de grosses ficelles. Il faut rester dans la nuance, c'est toujours en filigrane. C'est ça qui m'intéresse, cette subtilité dans le mélange des sentiments. C'est bien si on sait pas trop où on se situe lorsqu'on écoute Aline, entre espoir et désespoir, entre lumière et obscurité. Mais parce que je suis comme ça, dans les nuances. J'aime bien l'ironie, le sarcasme, j'aime beaucoup rire, mais pas tout le temps. La vie n'est pas que rigolade et foutage de gueule. Surtout dans la musique, une chanson drôle, ça te fait marrer cinq minutes mais tu l'oublies très vite.
On trouve à travers la musique et les textes d'Aline un aspect consolateur. Il y a de la mélancolie, mais pas que...
C'est toute la pop que j'aime. Mais dans tous les genres de musique, j'aime bien lorsqu'il y a deux sentiments de mêlés. Et on en ressort, suivant ses propres sentiments, joyeux ou tristes. Ça dépend de comment les gens vont le prendre. Ça me plaît lorsqu'une chanson peut prendre plusieurs détours. J'aime pas les gens monolithiques, les choses monolithiques. Il y a pleins de couleurs entre le noir et le blanc. La vie est pas marrante, mais essayons quand même de faire en sorte que ça aille. C'est vrai que c'est pas drôle, mais en même temps c'est court, donc essayons de faire que ce soit le moins pénible possible. Il y a toujours une petite lumière quelque part, au bout.
A l'écoute de cet album, on prend conscience du long chemin parcouru par ton groupe entre les débuts, sous le nom de Young Michelin et ce deuxième album, "La Vie Electrique". Quel regard portes tu sur l'évolution d'Aline ?
J'en suis très fier. Je suis très fier que l'on ait réussi à faire un deuxième album. Parce que c'était pas gagné d'avance. Young Michelin, c'était du proto Aline, quelque chose de très naïf, de très brut au final, mais ça a amené tout le reste. Quand j'écoute les premiers morceaux, j'ai de la tendresse et de la fierté. C'était pas gagné, dans les années 2000, d'arriver avec ces morceaux là, à arriver à intéresser des gens avec ces petites chansons, un peu fragiles, et qui sont très loin des canons esthétiques de l'époque. Ça aurait pu vraiment rester underground, et rester pour quelques initiés. Mais c'est allé plus loin que ça. C'est pas énorme Aline, mais je suis content de ce chemin là. Ça me rassure quelque part : les gens, quand tu leur propose des choses assez honnêtes, ça parle à tout le monde. Tu pars de toi-même, petit être, pour aller à quelque chose d'universel. Tu te dis, en fait, je suis pas tout seul. Parfois, t'as l'impression d'être tout seul, incompris, mais en fait, des gens comme toi, il y en a des millions sur la surface de la terre.
Avec Arnaud, le guitariste d'Aline, vous avez composé deux excellents titres pour Alex Rossi, sortis chez Born Bad en 2013. Est ce qu'il y aura une suite pour cette collaboration ?
Il y a quatre nouveaux titres, qui ont été faits ces trois-quatre derniers mois. Ils sont prêts. Il n'y a pas de moyens pour le moment, pas de label. Alex est en train de chercher à droite à gauche, pour voir un peu où ça va sortir. En tout cas, on est très fiers de ces quatre titres, comme de tous les titres que l'on fait avec Alex. On le vit comme une récré, mais une récré intelligente, pas du foutage de gueule. On est pas dans le pastiche, on ne se moque pas de la chanson italienne, bien au contraire, on a beaucoup d'amour pour ça. C'est un style incroyable, avec lequel on peut faire passer plein d'émotions, c'est très riche. Ca nous fait super plaisir de bosser avec Alex, qui en plus est un copain, un ami qu'on adore. J'espère que cela va sortir bientôt, parce que les titres sont vraiment biens.