Humble et fuyant la nostalgie, Gilles TANDY,
le parrain de la musique sauvage en France demeure toujours mordant.
Rencontre.
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Cela faisait plusieurs décennies que je souhaitais interviewer Gilles TANDY.
Au vu de son passé discographique de parrain du punk/rock français intègre (Les OLIVENSTEINS, GLOIRES LOCALES, Les RYTHMEURS, carrière solo), dans ma tête, le papier avait déjà pour titre Je suis une légende. Mais à l’occasion d’une première rencontre (repas/concert/after pousse-disque au Mistral Palace de Valence, en mai 2022), j’ai pu mesurer la modestie et apprécier l’humilité du bonhomme hors scène. Accompagné, ce soir-là, seulement d’un batteur impeccable (nul besoin de basse avec lui) et d’Antoine MASY-PERIER à la guitare sauvage (DOGS, Tony TRUANT, WAMPAS… question légende, on est plutôt bien, là aussi !), Gilles TANDY a su prouver quel formidable chanteur il est. Libre, hors-cadre et impressionnant de charisme. Outre le fait que l’interview attendrait (assurer la pousse-disque party post gig et interviewer une idole le même soir fut impossible), le titre allait forcément changer.
En décembre 2022, juste avant Noël, a paru Replay New Rose for me, aux éditions Moonboy, un livre plutôt visuel consacré au label et magasins New Rose, concocté par Fabrice COUILLEROT, Dominique FORMA et Louis THEVENON. Un grand nombre de ses pages est consacré à Gilles TANDY. Il était enfin temps de lui poser quelques questions…
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E N T R E T I E N //// E N T R E T I E N //// E N T R E T I E N
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"Je ne suis pas du genre à feuilleter les albums-souvenirs"
Récemment est sorti le livre sur l’aventure du label New Rose. Qu’as-tu pensé de cet objet ?
Bel objet !
Entièrement d'accord avec toi. Pour fêter sa publication, une magnifique programmation de quelques concerts a été réalisée. Les CALAMITÉS, Les SOUCOUPES VIOLENTES, Les VALENTINO, François HUET des SNIPERS et toi. Quelle affiche de rêve ! Pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance d’y assister, pourrais-tu nous faire un petit résumé ?
Au départ, mon ami Philippe MARIE qui dirige toute la partie disque du Gibert Joseph du boulevard Saint-Michel [Paris, NDLR] et qui fut vendeur chez New Rose, m’avait convié à un show-case pour accompagner la sortie du livre, on s’était mis d’accord avec Stéphane GUICHARD des SOUCOUPES VIOLENTES [interviewé dans notre webzine en 2021, NDLR] pour jouer ensemble deux titres de La colère monte [le chef-d'oeuvre de Gilles TANDY, on y revient plus bas, NDLR]. Ensuite s’est greffée l’organisation d’une expo au 106 à Rouen, couplée avec un concert dédié à New Rose. En tant que régional de l’étape, je devais me montrer à la hauteur de l’événement, d’autant plus qu’un mur entier était consacré à ma trogne. Bien entendu, je n’en demandais pas tant, apparemment l’entrée des punks au musée devient de plus en plus une réalité. On a donc décidé de jouer quatre morceaux, dont Ostende sommeille que je n’avais plus chanté depuis Le Printemps de Bourges en 1987. Elsa et Stéphane [des SOUCOUPES VIOLENTES, NDLR] ont magnifiquement préparé l’affaire. Je me suis également souvenu que François HUET avait plaqué les accords du Vampire bien avant que je ne la chante ; c’était du temps où il jouait avec Antoine [MASY-PERIER, on y reviendra aussi sous peu, NDLR] dans la première formation des SNIPERS, lorsque la première ébauche du morceau s’appelait L’homme à la valise. C’est donc avec grand plaisir que je l’ai invité à se joindre à nous afin de boucler la boucle. Je fais parfois preuve d’une grande réticence lorsqu’il faut écumer les banquets d’anciens combattants, puisque mon âge certain m’amène à assumer ce statut, mais cette soirée Rouennaise était une parfaite réussite.
Une tournée en France est-elle envisageable ?
Non, ce n'est pas au programme ! On devrait peut-être imiter Les idoles des années 80, mais notre public s’aventurerait-il en croisière Costa (ou MSC) ? Chaque soir un port, l’idée paraît discutable.
À plusieurs occasions, magnifiques portraits de toi (par Alain DUPLANTIER, p. 276-279) ou pochettes de tes disques sont mis en avant dans les pages de ce livre sur New Rose. Comme celui-ci comporte très peu de textes, avec ton accord, on va un peu revenir sur ton passé... Cela te convient ?
Je ne suis pas du genre à feuilleter les albums-souvenirs ou à entrer en contemplation devant des photos de ma gueule, mais tout le monde peut constater comme moi à quel point j’étais fit en 1986 !
"Je n’allais pas m’emmerder avec du superflu !"
Tu es né et a vécu une bonne partie de ton enfance à Rouen, puis est parti vivre à Sète. Quelles furent tes premières et importantes émotions musicales pendant cette période ? Comment te retrouves-tu ensuite de nouveau à Rouen, à l’heure où naissent les DOGS et le punk ?
Je suis né à Rouen où j’ai passé la majeure partie de mon enfance. En 1974 j’avais 14 ans, mes parents sont partis habiter à Sète à un moment où la cité Héraultaise n’était pas encore le point de chute d’une partie de la branchitude parisienne. Je suis resté là-bas un peu plus de trois ans. Comme mon frère Éric vivait toujours à Rouen et bossait chez le disquaire Mélodies Massacre, je montais souvent en Normandie, avant de repartir avec des tonnes de disques dans mes bagages. C’est à cette époque que je rencontre Dominique et Mimi [respectivement chanteur-guitariste et batteur des DOGS, NDLR], alors que les DOGS commencent à se forger une solide réputation. Éric écoutant du rock depuis toujours, ce n’était pas très compliqué de suivre. Le 21 juin 1975, j’assiste à mon premier concert, DR. FEELGOOD à L’Olympia, avec LITTLE BOB en première partie ; première grosse claque aussi ! Pour saisir l’osmose entre un chanteur et son guitariste on ne pouvait pas trouver mieux. Un an plus tard, les ROLLING STONES m’ont semblé bien fadasses trois jours après avoir vu EDDIE & The HOT RODS débarquerr dans une salle paroissiale des faubourgs de Montpellier. Je me rends également aux deux festivals Punk de Mont-de-Marsan : le premier en 1976, avec les DAMNED qui déboulent furieusement en plein cagnard, puis le suivant en août 77 et un show monstrueux de CLASH. De ce même jour, je garde le souvenir d’un échange fraternel après le passage d’un groupe totalement insignifiant dénommé POLICE : « Au moins ceux-là on n’en entendra plus parler ». Fins limiers les frangins TANDY ! À la fin de cette année 77, ma famille rentre au bercail, sans doute un besoin de crachin et d’effluves d’hydrocarbure. Les DOGS sortent leur premier EP et, après avoir écumé les salles de la région, ils commencent à élargir leur champ d’action. Lorsque les groupes partent en concert, il arrive parfois qu’ils trimballent une sorte de mascotte humaine à l’arrière du camion, un type qui n’en branle pas une, mais qui participe à la bonne ambiance et qui, de temps en temps, se permet de balancer une pique bien sentie à l’organisateur, dès que l’occasion se présente. J’endosse ce rôle à merveille.
L’ambiance devait être incroyable, notamment chez le disquaire Mélodies Massacre…
Entre 1973 et 1983, toute une génération de Rouennais férus de grande musique a trainé ses guêtres et claqué une partie de ses deniers à Mélodies Massacre, c’était une époque où la fonction de disquaire était quasiment d’utilité sociale. L'endroit fait maintenant partie du patrimoine historique de la ville, la fresque de Jeff AÉROSOL représentant Dominique LABOUBÉE [chanteur des DOGS, décédé en 2002, NDLR] orne le mur qui fait face à l’emplacement de la boutique. D’ailleurs, en 2007, cette petite place qui faisait partie intégrante de la rue Massacre a été rebaptisée Place Dominique Laboubée, suite à un vote du conseil municipal. Une vraie reconnaissance des officiels pour ceux qui ont fait en sorte que la renommée de Rouen ne se limite pas aux belles façades du centre-ville.
Qu’est-ce qui te décide alors à prendre le micro pour devenir chanteur dans Les OLIVENSTEINS ?
Plus ou moins un concours de circonstances. Éric s’était amusé de la présence du toubib [le Docteur OLIEVENSTEIN, psychiatre des toxicomanes, NDLR] lors d’un concert de Johnny THUNDERS au Gibus. Un truc a plus ou moins dû germer dans sa tête ce soir-là. Il griffonnait des bouts de phrases sur les tickets de caisse abandonnés sur le comptoir, mais il lui fallait trouver quelqu’un pour les balancer derrière un micro. Je voyais souvent Vincent DENIS au magasin, il a trouvé l’idée poilante, c’était déjà un guitariste talentueux et il jouait dans un groupe qui s’appelait SECTION SPÉCIALE en compagnie d’Alain ROYER, qui nous rejoindra plus tard dans les OLIVENSTEINS et qui sera également présent lors de la reformation entre 2013 et 2014. Mimi venant d’être incorporé, Dominique nous a proposé de venir faire un essai dans la cave à Mont-Saint-Aignan [la tanière des DOGS, NDLR], histoire de passer le temps. Donc la première répétition, il y avait Hugues, le bassiste des DOGS à la guitare, un pote à lui à la basse, Vincent à la batterie, Dominique au sax et moi au chant. Nous avions deux morceaux au répertoire : Patrick Henry est innocent et Euthanasie. J’ai tout de suite senti que ça le faisait. La semaine suivante, je laissais tomber le lycée : un brillant avenir me tendant les bras, je n’allais pas m’emmerder avec du superflu !
"Je n’avais pas l’impression de vivre quelque chose de sensationnel"
Dès le départ, ton frère Éric écrit les textes pour toi. N’avais-tu point envie de chanter tes propres paroles ou te voyais-tu en nouvel Elvis (mort à tes débuts) ?
Il écrit mieux qu’il ne chante et moi c’est l’inverse, une situation idéale pour une grosse feignasse telle que moi, ça a fonctionné ainsi pendant des années et plutôt bien. Le travail en famille n’est pas sans inconvénients et nos engueulades entre frangins en ont certainement gonflé plus d’un dans notre entourage. Mais j’ai beau m’essayer à l’écriture, je ne fais pas mieux.
Pour les disques et projets suivants, Éric continuera d’écrire pour toi. Cela a toujours bien fonctionné entre vous. Qu’est-ce qui te plaît tant dans ses paroles, au point de les faire tiennes ?
Malgré le paquet de défauts que je lui connais, rendons hommage à son sens de la formule.
Les OLIVENSTEINS première mouture n’ont pas duré longtemps et ont seulement publié un 45 tours quatre titres en 1979… mais quel disque ! Comment expliquer cette si courte existence ?
Sur le coup, je n’avais pas l’impression de vivre quelque chose de sensationnel, si on avait su qu’on parlerait encore de ce truc-là cinq décennies plus tard, on se serait peut- être démerdé autrement. Quant à la fin de l’histoire, au fil du temps, j’en ai donné tellement de versions que je suis bien incapable d’authentifier la bonne.
Écrite par ton frère et composée par Dominique LABOUBÉE, Fier de ne rien faire a très souvent été reprise ou citée en exemple par des groupes d'ici. Pourrait-on la considérer comme la chanson la plus emblématique du punk français (légèrement en retard par rapport aux anglo-saxons) ?
On peut regretter que ce chant révolutionnaire de circonstance ne soit pas plus utilisé pour ambiancer les manifs contre la réforme des retraites [L'interview a été réalisée début 2023, NDLR]. Souvenons-nous tout de même que Patrice Blanc- Francard a matraqué Euthanasie durant la deuxième partie de l’année 1979 sur les ondes de France Inter. D’autres ont suivi ensuite, mais c’est ce titre-là qui nous a fait nationalement connaître. La valeur travail, la fin de vie, les très riches (Je hais les fils de riches), quelle intemporalité tout de même ! Quant à choisir un hymne punk d’expression francophone, j’ai quand même un petit faible pour Bunker du groupe suisse TECHNYCOLOR.
Sortie chez Born Bad en 2011, l’anthologie OLIVENSTEINS a tous dû vous replonger dans le passé. Quelle fut ta participation dans l’élaboration de ce disque ?
En ce qui me concerne, je n’avais pas une folle envie de m’y coller à nouveau, je ne vis pas dans la nostalgie. Je ne sais plus qui d’Eric TANDY ou de JB Born Bad a pris l’initiative de la réédition, toujours est-il que je connaissais les compilations qui sortaient sur ce label et je trouvais ça bon esprit. Donc j’ai tout de suite donné mon accord. Quant à la réalisation je me suis contenté de donner quelques indications mais c’est Eric et Vincent DENIS qui ont été puiser dans les archives. Il a fallu ensuite nettoyer les bandes puis les mastériser, d’où le boulot remarquable effectué par Jean Louis NORSCQ : les enregistrements d’origine qui provenaient la plupart du temps de cassettes de concerts ou de répétitions étaient souvent de mauvaises qualité et n’avaient pas du tout vocation à être publiés un jour.
Cela a-t-il contribué à la reformation du groupe en 2013, puis à faire de nouveau des concerts et à sortir Inavalable chez Smap Records en 2017 ?
Oui, bien sûr ! Avec Alain ROYER, Vincent DENIS et son frère Romain, batteur historique du groupe, on s’est retrouvé à faire des dédicaces pour la sortie de la compile, ensuite quelqu’un a approché Romain pour qu’on participe à un festival en région Parisienne. Comme je commençais à sérieusement m’encroûter, je me suis dit que c’était peut-être le moment de retrouver une saine activité, afin d'agrémenter mes fins de semaine. Je pense que la motivation de mes camarades étaient du même ordre. On s’est vite pris au jeu, ce qui nous a permis d’exploser notre quota de concerts du siècle dernier en promenant nos trombines à travers nos belles régions. Jusqu’alors, les prestations scéniques du groupe étaient concentrées sur l’axe entre Paris et la Normandie. Tout comme lors de la première période, on a connu du turn-over au sein de la formation, mais nous avons poursuivi l’aventure jusqu’en 2020. Nous avons fini par enregistrer un chouette album, notre premier en studio, et on a enfin pu profiter de notre petite notoriété. Il fallait éviter de donner l’image d’une bande de vieux pâtés sur le retour, ce qui, avouons-le, est souvent le cas lorsqu’il s’agit de reformation. Nous nous en sommes honorablement sortis. Personnellement, j’ai traversé cette période avec beaucoup de relâchement et de sérénité, ce qui n’était pas toujours le cas par le passé.
"Il arrive un moment où on est rattrapé par le monde réel
et ses besoins matériels"
À la fin des OLIVENSTEINS première époque et suite à l'éphémère projet GLOIRE LOCALES (un 45t. quatre titres chez Mélodies Massacre en 1980), tu te lances dans Les RYTHMEURS, avec Vincent DENIS. L’album sort chez New Rose en 1983. Quel était ton état d’esprit à ce moment-là ?
On tend vers autre chose. Vincent avait fourbi quelques compos et nous avons mis ça en place. L’humeur est aussi sombre que la pochette. L’album a été réédité sur Smap Records en 2019. En l’écoutant, j’y trouve quelques similitudes avec un groupe comme R.E.M. [en effet, NDLR], qu’on ne connaissait pas au moment de l’enregistrement du disque, même si, pour l’occasion, Vincent a troqué sa Rickenbacker contre une Travis Bean avec un manche en fer. Paroles, musiques et production, Vincent a pris énormément sur lui avec cet album. Sans sombrer dans l’autocritique, vocalement je suis entre deux eaux. Si c’était à refaire, je poserais mon chant avec un peu plus de retenue, d’ailleurs les versions du Tueur à gages et de Plaire, plaire [cela ne nous étonnerait pas qu'un jeune groupe Bordelais se soit abreuvé à cette source, avant de sortir son premier 45t.,en 1987, NDLR], que nous interprétions récemment avec Les OLIVENSTEINS me semblaient plus accomplies. Sinon, nous avons fait les premières parties d’Alan VEGA et des LORDS OF THE NEW CHURCH, ainsi qu'un Tour de l’avenir avec les SNIPERS, autres espoirs du label New Rose.
Ici encore, l’aventure dure peu. Pourquoi ?
Il arrive un moment où on est rattrapé par le monde réel et ses besoins matériels. Vincent est alors parti bosser à Paris, j’ai suivi le même chemin deux ans plus tard.
"Si, aujourd’hui, tout le monde se rue vers Sète,
nous à l’époque, on avait plutôt de envie de se barrer"
En 1986, sous ton propre nom, sort le magnifique album La colère monte. Le début de ta carrière solo ne signifie pas pour autant aventure solitaire, puisque les chansons du 33t. et les formidables faces B des 45t. (mention spéciale à John Wayne !) furent enregistrées avec Dominique LABOUBÉE et Antoine MASY-PERIER des DOGS. Comment se sont passés tous ces moments ensemble, notamment en studio ?
À force de faire des rappels avec les DOGS, il fallait concrétiser sur disque cette association. Entre la fin de l’enregistrement de More More More [6ème album des DOGS, sorti en 1986, NDLR] et le début des habituelles tournées de printemps des DOGS, on devait faire vite. Je crois me souvenir que nous étions partis pour un maxi 6 titres, avant qu’on ne rajoute au dernier moment Le responsable [reprise de DUTRONC, NDLR] et Ostende sommeille, qui à l’origine n’avait pas été écrite pour moi. En effet, Éric voulait proposer cette chanson que Dominique avait maquettée à différents éditeurs, dans le but d’appâter un fleuron du Top 50. Je me suis approprié ce titre, j’espère que DESIRELESS et Jean-Pierre FRANÇOIS ne m’en voudront pas trop ! L’enregistrement de l’album s’est fait en une dizaine de jours, mixage compris, et encore on a dû amadouer le père MATHÉ [l'un des co-fondateurs du label New Rose, disparu en 2018, NDLR] pour obtenir une rallonge. L’apport de Dominique, qui était un mélodiste hors pair, m’a été fort précieux au moment d’effectuer mes parties vocales. Lorsqu’il a fallu ajouter deux faces B, nous sommes retournés en studio durant l’été 86 pour mettre en boîte Les crayons de couleurs. Avec le recul, et même si il n’a pas touché grand-chose sur les droits de passage, ça fait quand même mal au cul d’avoir le nom de ce vieux réac de Pierre DELANOË sur la rondelle d’un de mes disques [la chanson, originale fut chantée par Hugues AUFRAY, NDLR] et John Wayne qu’on jouait déjà avec les GLOIRES LOCALES. Je crois me souvenir que l’enregistrement des deux morceaux nous a pris à peine un après-midi.
Quelques concerts eurent lieu dans la foulée. TANDY + DOGS = casting d’enfer ! De très bons moments j’imagine…
On s’était fixé quelques mois pour faire un petit nombre de dates. Ceux qui ont assisté à ces concerts ont certainement ressenti les bonnes vibrations qui circulaient sur scène. Dominique aimait bien se placer en retrait et laisser d’autres prendre la lumière, mais c’est quand même lui qui drivait l’affaire. Il avait une telle classe !
Et cette superbe pochette d’Hervé DI ROSA !!! Peut-on parler de connexion Sétoise ?
J’ai rencontré Hervé au lycée Paul Valéry. Nous étions encore ados et si, aujourd’hui, tout le monde se rue vers Sète, nous à l’époque, on avait plutôt de envie de se barrer. En 1977, avec quelques autres nous avons introduit le Punk dans la cité de Georges BRASSENS. Hervé est devenu un artiste mondialement reconnu, mais nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Comme j’avais sollicité mes amis proches pour faire cet album, j’en ai fait de même pour la pochette et il a tout de suite accepté. Avec Marina OBRADOVITCH qui a pris tous les clichés qui figurent sur la pochette, on avait anticipé le concept d’un portrait par chanson, Hervé les a ensuite intégrés sur sa toile. Elle jette tellement cette pochette ! Avec Tony [aka Tony TRUANT, soit Antoine MASY-PERIER, NDLR], on a donné un concert en 2011 pour célébrer les dix ans du M.I.A.M [Musée International des arts modestes, créé par Hervé DI ROSA, NDLR]. C’est quand même dingue tous ces Sétois qui ont opté pour l’option peinture !
Malgré un excellent accueil critique, La colère monte reste plutôt confidentiel. Peut-être a-t-il souffert de la vague du rock alternatif. Quel regard portais-tu à cette époque sur les jeunes pousses qui ont certainement dû être élevés aux OLIVENSTEINS ?
Mais j’ai pu me rendre compte dernièrement que cet album avait marqué énormément de gens et c’est l’essentiel. Quant au renouvellement générationnel, il en faut, place aux jeunes bordel ! Notre sonorisateur qu’on appelait Le Chinois bossait avec la plupart de ces groupes, c’est donc lui qui a établi les liens. Dans l’ensemble, on était accueilli avec bienveillance par la mouvance alternative parisienne et je n’avais pas le sentiment d’assumer un quelconque parrainage. De mon côté, j’étais passé à autre chose depuis un certain temps. J’aimais bien PARABELLUM qui avait une vraie assise rock’n’roll et avec qui je partageais quelques goûts musicaux.
"Je déteste être en représentation"
En 1991, sans titre, ton nouvel album est signé Gilles TANDY et Les RUSTICS. Vincent DENIS est de retour. Plaisir des retrouvailles ?
À partir de 1987, j’attaque un nouveau binôme avec Jean-Michel DANIAU, qui jouait précédemment dans TICKET, aujourd’hui il vit à Nantes et sort son quatrième album avec son groupe LEO SEEGER. On enregistre Cowboy Joe [sous le nom Gilles TANDY, son frère et ses amis, NDLR] pour la compilation Mon grand frère est un rocker, sortie chez Boucherie, puis on part l’année suivante faire un concert à Montréal dans le cadre d’un festival. Ensuite, on a continué à bricoler des chansons. Jean-Michel avait une approche musicale un peu différente et une palette plus élargie que la mienne, à son contact j’ai beaucoup évolué dans ma manière de chanter. Vincent s’est joint à nous, mais en tant que guitariste soliste, arrangeur, bidouilleur, ça lui allait à merveille. Pour l’occasion, il a fait l’acquisition d’une pedal steel dont il se servait parfois sur scène, mais qui pesait son poids lorsqu’un roadie nous faisait faux-bond.
Surprenant, ce disque est distribué par Polydor, au moment où le label New Rose donnait ses derniers signes de vie.
On a signé sur le label Kondo Music créé par Thierry HAUPAIS, un mec très attachant qui, à quarante ans (à l’époque), cumulait déjà plusieurs vies. Kondo était distribué par Polydor, mais le label était indépendant. C’est donc avec ses propres moyens qu’on a enregistré cet album au studio Davout durant l’été 1991. Thierry HAUPAIS avait été directeur artistique chez Virgin et chez Barclay, avant de fonder son propre label. Il connaissait donc bien le fonctionnement d’une major, on pensait que de nouvelles opportunités allaient s’offrir à nous, les radios, les télés auxquelles nous n’avions guère eu accès jusqu’alors... On nourrissait l’espoir de pouvoir enfin montrer notre savoir-faire. Comme souvent, ça ne se passe pas comme on veut. Certes, on a eu quelques passages sur les grandes ondes, quelques articles élogieux ça-et là, mais pas plus que pour La colère monte. L’album est de qualité, malgré une production un brin faiblarde. Gilles Tandy & les Rustics contient certains des meilleurs titres de ma discographie, mais j’ai l’impression que ça n’a pas laissé la même empreinte que les disques précédents et c’est dommage. Sur scène avec Les OLIVENSTEINS, on a continué à jouer Au-delà de là et Inavalable, qui figure sur un CD promo et qui a ensuite donné le titre de l’album des OLIVENSTEINS. Nous avions aussi tourné un beau clip réalisé par Hervé DI ROSA et Jean Yves ESCOFFIER (chef-opérateur de Leos CARAX sur Les amants du Pont neuf, notamment), malheureusement il est resté coincé quelque temps dans les tiroirs, suite à un conflit entre les distributeurs et les chaînes musicales. Lorsque la situation s’est débloquée, ils ont sorti la grosse artillerie : les HALLYDAY, GOLDMAN, U2 ou STING, dont les clips étaient en attente de diffusion depuis des semaines. Au bas mot, Le seul pleureur, qui était notre morceau-phare, n’a pas dû excéder la dizaine de passage sur M6 et MCM. On a quand même tourné un peu et on a fini en beauté avec une avant-première partie de Johnny à Lausanne ! Ce soir-là, c’était Les Martiens débarquent, le public n’a rien compris, nous non plus.
Tu m'étonnes ! Le relationnel était-il différent d’avec New Rose ?
C’était assez différent. Chez New Rose qui sortait des disques à profusion quasiment toutes les semaines, c’était difficile d’avoir un vrai suivi. À leur décharge, il fallait bien du courage à l’attachée de presse qui s’occupait de la promo pour se frayer un chemin au milieu des majors toutes puissantes à l’époque, mais il y avait quand même un accès à la PQR et au circuit des FR3 régionales [pour les plus jeunes, FR3 était l'ancêtre de France 3, NDLR]. Ça permettait de faire des trucs sympas. Pour le reste, c’était essentiellement de la démerde. Compte tenu du contexte et de mon aversion à aller frapper aux portes afin de vendre ma tronche, je ne m’en suis pas si mal tiré. Polydor c’était autre chose, même si je sais me comporter honorablement en société, je déteste être en représentation, ce qui était l’exercice demandé, et là, j’avoue avoir été mal à l’aise dans mes prestations non musicales. Nous étions conviés à des pince-fesses avec les pointures du catalogue, bien entendu ça ne servait strictement à rien, sinon à promouvoir ceux qui faisaient la promo, un truc très superficiel, absolument puant. Tout le monde adore ce que tu fais, ils ont d’ailleurs tous tes disques, etc. Je n’étais pas dupe, j’ai tenté de jouer le jeu un moment, mais j’ai vite compris que ce milieu de merde n’était pas mon truc. Ce qui me faisait gerber c’est que le budget alloué aux petits fours aurait été beaucoup plus utile ailleurs, affiches, gasoil pour partir en tournée (eh oui déjà) parce que major ou de ce côté-là les conditions restaient compliquées, mais ça ne faisait pas partie des plans du distributeur, leurs préoccupations étaient toutes autres même si je n’ai pas bien saisi lesquelles. D’autres passaient leur temps à choper des aides ministérielles pour faire fonctionner l’intendance, ce à quoi je me suis toujours refusé. Remplir un dossier administratif pour faire du Rock’n’roll quelle ineptie….
Entre cet album avec Les RUSTICS et Inavalable des OLIVENSTEINS se sont écoulées de nombreuses années. N’avais-tu plus envie de faire de musique ?
À vrai dire, j’en avais plein le cul et je ne prenais plus aucun plaisir à faire ça. La période a duré 17 ans.
Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
Une vie sociale assez basique... Le gros regret, moi qui suis passionné de courses cyclistes [quel scoop ! NDLR], c’est que ma période de récupération correspond aux années EPO/Armstrong, donc les mutants sur le vélo rendaient les épreuves chiantes au possible et de mon côté je n’avais pas de pot belge à ma disposition pour pouvoir tenir le choc.
"Bon esprit"
Depuis quelques années, suite à ceux des OLIVENSTEINS, tu fais occasionnellement des concerts en solo. J'ai entendu parler d'une prestation avec un saxophoniste autour du Fun house des STOOGES.
C’était avec Lionel MARTIN qui a pondu un album avec le saxophoniste des STOOGES. C’était une performance réalisée à Saint-Étienne dans le cadre du Grand Barouf consacré à Robert COMBAS. C'était ma première prestation publique depuis le décès de Vincent. L’idée d’un one shot assez improbable m’a séduit. Lionel MARTIN au sax, une pédale de distorsion en direct dans la petite sono et moi, éructant une face entière de Fun House, puis No Fun et I wanna be your dog furent rajoutées au répertoire. Quand que je chante en anglais, j’ai un mal de chien à me défaire de mon accent Haut-Normand, mais l’ensemble devait être assez brutal. En tous cas, Eric MINGUS qui jouait plus tard dans cette même salle a trouvé ça fun ! Récemment CAESAR SPENCER qui sort un album au mois de Mai 2023 m’a demandé de faire les chœurs sur un de ses morceaux. Je me suis appliqué à soigner la phonétique.
La plupart du temps, Antoine MASY-PERIER t'accompagne, comme ce fut le cas le 24 mai 2022 au Mistral Palace (Valence, Drôme). J’ai été époustouflé par votre performance. Vous étiez sauvages, libres, beaux… Comment l’as-tu vécue ?
Dans cette configuration minimaliste, guitare, batterie, voix, je tiens à souligner l’apport déterminant de Kris OFWOOD [par ailleurs batteur chez CALOGERO, NDLR]. Sans ce formidable batteur, le résultat n’aurait pas été le même. Pour le reste on ne s’est pas trop posé de question.
Tant sur scène que backstage, on a pu mesurer que l’ambiance entre Antoine et toi est des plus chaleureuses, très fraternelle. Back in 78 ?
C’est en 78 qu’on s’est rencontré. Il était monté à Paris voir les DOGS qui jouaient au Rose Bonbon. Nous faisions la première partie avec Les OLIVENSTEINS ce soir-là. Deux ans plus tard, il débarquait à Rouen pour former les GLOIRES LOCALES avec moi [un 45t. comprenant 4 titres sortira chez Mélodies Massacre en 1980, NDLR], avant de rejoindre les DOGS fin 1981. Nous entretenons notre complicité lorsqu’une bonne occasion se présente. C’est un artiste accompli, un guitariste fantasque et fantastique, un auteur-compositeur-interprète brillant et prolifique qui a aussi été capable de m’initier aux rudiments de la plomberie [un autre scoop ! NDLR]. Si les lieux avaient été conservés en l’état, les deux studios que nous occupions au 80 rue des Bons enfants (lui au premier, moi au second) pourraient être présentés comme appartements-témoins à plusieurs générations de designer, tant notre conception de l’aménagement d’un intérieur était novatrice.
Ce soir-là à Valence, la set-list fut un beau florilège de ton œuvre de 1979 à 2017 (avec un John Wayne acéré, rageur - merci !). Est-ce facile de faire des choix dans ton répertoire pour établir une liste idéale ?
Dans le cas présent, ça n’a pas été très compliqué de faire un tri : trois titres des GLOIRES LOCALES - je ne sais pas pourquoi, mais j’ai omis Le rasoir qui ouvrait l’EP- , les morceaux d’Antoine qui figurent sur l’album La colère monte, les deux titres les plus connus des OLIVENSTEINS, ainsi que Fugitif, un morceau joué en version ballade, que Tony avait sorti il y a quelques années et sur lequel j’avais fait des chœurs, Didier WAMPAS était aussi de la partie. Ainsi on remplissait aisément les 45 minutes qui nous étaient impartis. Avec Les OLIVENSTEINS dernière mouture, on faisait tourner la set-list en répétition longtemps à l’avance, afin de peaufiner les enchaînements, ce qui n’empêchait pas quelques couacs au moment du concert. J’adore aussi roder de nouveaux morceaux sur scène avant de les enregistrer, quitte à laisser les anciens dans les tiroirs. WIRE balance des sets entiers avec des compos récentes que personne ne connaît, ça frustre un peu le public, mais je trouve ça bon esprit.
"Je cherche à éviter le syndrome du vieux con"
Aujourd’hui, en 2023, quel regard portes-tu sur l’ensemble de ta carrière ?
J’ai enfin mes annuités !
Y a-t-il une période que tu préfères ?
Ce qui reste avant tout, ce sont les anecdotes croustillantes dont je me suis nourri tout au long de mon parcours, et j’en ai accumulé un paquet. Je n’ai pas spécialement envie de faire un tri.
Depuis la disparition de ton ami et complice Vincent DENIS en 2021, j'imagine que tu vois le monde différemment...
C’est une douleur, bien entendu. De manière plus égoïste, on se dit que ça y est, on a atteint cette putain de zone grise.
Arrives-tu à tenir à distance mélancolie et nostalgie ?
Je préfère évacuer toute forme d’aigreur et d’auto-contemplation dans laquelle pas mal de mes contemporains sont tombés, je cherche à éviter le syndrome du vieux con.
Gilles, tu le sais, cela faisait un certain temps que je voulais t’interviewer. Au départ, je m'étais même dit que le papier pourrait avoir pour titre Je suis une légende… Ça fait quoi d’être une légende ?
Franchement, tu n’as pas d’autre ânerie à raconter ? [Rires] Epargne-moi ce genre de formule...
Après t’avoir rencontré et partagé quelques moments avec toi, j’ai rapidement pu mesurer ta modestie, ton humilité. Comment fais-tu pour garder la tête froide et ne pas avoir les chevilles qui enflent ?
Mais il n’y a vraiment pas de quoi se la péter. Mon rôle de fantaisiste, je le tiens essentiellement derrière un micro et pas autre part. D’autres ont parfois une démarche inverse à la mienne, libre à eux….
Je sais que tu prépares un nouvel album. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
Absolument rien dans les tuyaux actuellement, mais on ne sait jamais…
Un dernier mot pour les lectrices et lecteurs du Casbah Webzine ?
Par les temps qui courent, je risque peut être d’en gonfler certains avec mon relevé de carrière… Courage jeunes gens !!!!
Article et propos recueillis par bingO
(03 octobre 2023)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
Fabrice COUILLEROT, Dominique FORMA et Louis THEVENON.
Replay New Rose for me (Moonboy, 2022)
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Pour prolonger...
Les OLIVENSTEINS : Bandcamp
Gilles TANDY et les DOGS à la télévision française en 1987
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #519 (28/10/2015) - Chronique de bingO consacrée à Rouen
Rock à la Casbah #722 (09/02/2021) - Hommage à Vincent DENIS, par bingO
Photographies : archives personnelles Gilles TANDY, bingO,
Gilles MORTEVEILLE, Marina OBRADOVITCH / New Rose,
Nathalie LAFOND, Alain DUPLANTIER / Moonboy, DR.
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MERCI : Gilles T., Antoine MASY-PERIER, The LONELY DOGS,
Didier MORTI et l'équipe du Mistral Palace (Valence), Moonboy.
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Votre serviteur, avec un Legendary lover
et Pierre-Jean, chien solitaire.
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