Here Come (Casbah Records/Autre Distribution) // par Nicolas Gougnot
Moi, ce que je préfère à la chasse, c’est quand on est à la cabane. Pasque sinon, on s’emmerde un peu : t’es assis sur ton pliant, à côté de ton Lada Niva, et tu passes ta matinée à te geler le cul et à attendre que le gibier se pointe, rabattu par les autres, ceux avec les chiens. Et pour être bien certain de ne pas rater les bestioles, tous les tireurs sont espacés d’au moins cent mètres, pour couvrir la plus grande surface possible. Alors tu peux pas causer et t’es même pas sûr de pouvoir te servir de ton nougat. C’est pour ça que j’aime bien la cabane : tu peux te réchauffer, tu manges un bout, tu bois un coup, mais surtout tu peux causer. Et il y en a un qu’aime bien causer, et il lui arrive toujours des trucs pas possibles, c’est Jean-Paul. Et comme c’est çuy qui raconte le mieux ses histoires, le Jean-Paul, hé ben on l’écoute. Samedi (on chasse le samedi et le mercredi, comme ça les copains ont pas leurs mômes et leurs bonnes femmes dans les pattes), il nous en a encore raconté une pas mal. On était en train de boire le coup, après qu’on a débité les bestioles et qu’on a filé la fressure aux chiens, quand il nous a raconté ce qui lui était arrivé le matin. Alors donc il était en train de suivre son chien, qui lève un truc dans des fourrés d’épineux, du côté de la Combe aux Renards, mais ça semblait pas bien clair. Des fois t’en sais de belles de c’qu’y a dans les bosquets, t’oses pas trop tirer, des fois que. Le chien était bien en arrêt, mais Jean-Paul la sent pas trop, c’t’histoire. Si c’est un cochon et qu’il le rate, il est mal. Il faut jamais tirer un sanglier quand t’es tout seul, sauf si y te vient dessus et que t’as pas le choix. Il décide de faire du bruit, et là y’a des mecs qui sortent en gueulant. Les types avaient les foies, ça se voyait, qu’il nous a dit Jean-Paul. « Qui vous êtes ? », qu’il leur demande. « On est les Duck Duck Grey Duck », qu’y z’y répondent. « Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? », qu’il leur fait. « Ça veut dire Canard Canard Gris Canard. » Et là, Jean-Paul il leur dit, l’air de rien : « Trois canards et un Gris, y’a rien de protégé, on peut tout tirer ». Ça nous a tous bien fait marrer, nous aussi. Du coup, on a rebu un coup, pasque c’était une bien bonne histoire et pis pasqu’y faisait soif aussi, et on allait pas rester sur une patte, non plus. Et pis il aime bien ménager ses effets, le Jean-Paul. Apparemment, les types sont devenus tout blancs et ils ont crié qu’ils étaient citoyens velvétiques, ou un truc du genre, un mot compliqué qu’il a pas compris et pis on s’en fout, on est pas à la chasse pour s’encombrer la tête avec des trucs compliqués. C’est ce qu’il leur a dit, alors ils lui ont dit qu’ils étaient des Suisses et qu’y z’étaient neutres. Jean-Paul a pris l’accent suisse pour raconter ça, ça nous a bien fait marrer et on a rebu un coup. Y’a Maurice qu’a fait l’accent belge, pour déconner, ça nous a bien rappelé les histoires à Michel Leeb, qu’on se demande bien ce qu’il devient lui, c’est bien con qu’on en entende plus parler. Le petit Bigard il fait des squètches pas mal, mais ça vaut pas le Leeb ou le Magdane, quand même. Ça nous a mis de la nostalgie, du coup on a eu soif, c’est José qu’a mis sa tournée, du porto qu’y ramène de par chez lui. Y cause pas trop, le José, mais qu’est-ce qu’y picole.
Alors Jean-Paul il leur demande quesqu’y foutaient dans les fourrés et si y seraient pas un peu en train de faire des trucs dégueulasses des fois. Et pis d’abord vous avez dit que vous êtes quat’ et vous êtes que trois, il est où l’aut’ là, l’Arabe, pasque vous avez plus des têtes de canards que des têtes d’Arabes, encore que toi, le grand, avec ta tête d’escogriffe crépu et ta barbe, je me demande si ce serait pas toi, des fois les Arabes y ressemblent à des gens normaux, j’me méfie, chuis armé, alors pas de coup fourré, c’est pas vous qu’allez me casser les roustingots, j’vous préviens, qu’il leur dit, le JeanPo. Des fois, Jean Paul, on l’appelle JeanPo, c’est pour ça. Apparemment, les types ont eu l’air fatigués, d’un coup. Ils ont commencé à expliquer que c’est des musiciens, qu’y jouent dans z’un orchest’ et qu’y z ‘étaient v’nus pour faire des photos pour un disque, mais que finalement y z’allaient p’têt garder celle avec le toboggan. Il a eu l’air un peu perdu, Jean-Paul, quand il a raconté ça, alors on lui a resservi un coup pour qu’y se r’mette de ses émotions et aussi pour y éclaircir un peu les idées, ça avait l’air un peu compliqué. Bon, au final, il a vu que c’étaient pas des mauvais bougres, alors il leur a proposé de venir boire un canon à la cabane à la pause de midi, ça sera plus pratique pour causer, pasque ça a commencé à défourailler dans tous les sens juste à côté et les mecs y z’avaient pas le Solognac© orange pour pas se faire tirer comme des lapins, si on peut dire, vu que c’était des canards suisses à ce que j’ai compris.
A la cabane, les types sont arrivés, un peu timides, mais avec une boutanche pour payer un canon, comme quoi c’est des gars qu’ont une éducation. « C’est de la petite arvine », qu’y nous a dit celui avec une mèche devant les yeux, en versant son picrate dans nos verres. Ah ouais, pasque je vous ai pas dit à quoi qu’y ressemblaient, les types. Y’avait donc le grand que JeanPo y se demandait si c’était pas lui le melon, et pis les deux autres, y’en avait un avec la mèche devant les yeux et l’aut’ avec la mèche en l’air. C’est marrant, les Suisses, ça ressemble un peu aux Parigots qui viennent en vacances dans le coin. Si ça se trouve, y sont de la même espèce, mais pas du même coin. On a trinqué, on a basculé nos verres. C’est gueulable, leur pinard, mais ça a pas beaucoup de goût, je trouve. Moi je dis que c’est le chablis qu’est le meilleur, en blanc. En rouge, j’aime bien des trucs du Rhône, mais j’en bois jamais, pasque je bois que du blanc, au moins je sais comment c’est fait.
« Alors, comme ça, vous jouez dans un orchestre ?», qu’y leur demande, Didier. Didier, c’est l’intello, c’est celui qu’a eu son bac et qui bosse dans une banque, mais c’est pas le mauvais bougre. Il met jamais des chaussures à bout pointu, comme ceux à Londres ou à Paris qu’on voit au 20 heures. Oui, que les Suisses y répondent. « Ça vous dirait pas venir faire la fanfare à la prochaine Saint-Hubert ? », qu’il leur lance. On sent que les gars sont un peu emmerdés, et y commencent à expliquer qu’y jouent du blouze. « Vous avez des champs de coton, en Suisse ? Je savais pas », qu’y leur dit, Jean-Paul. Les mecs, ça leur a un peu coupé la chique, nous on a rien compris, mais ça nous a tous fait bien rigoler quand il a espliqué la blague. On a trinqué avec du bon de chez nous et on a rebu un coup. C’est pas souvent qu’on a de la visite, mais on a des manières. Après, on est revenus à leur musique, aux gars, et y nous ont dit que y’avait pas que du blues, y’avait aussi du truc de rock de surf, dedans, ça nous a semblé bien compliqué, mais Maurice il a dit : « J’ai vu Brice de Nice, mais j’ai pas bien compris, c’était mon gamin qui voulait aller voir ça, en plus y’a même plus de buvette dans les cinoches, maintenant, encore une invention des Yankees, avec eux, on peut plus rien faire. » Tout le monde a opiné du bonnet, en regardant par terre, le verre à la main et l’air grave. « C’est comme pour la tartine de saindoux », que j’ai dit, « Avec un oignon cru », qu’il a rajouté Maurice. « Ouais », j’ai dit, « mais maint’nant, avec leurs analyses, on peut plus rien manger, y vont nous faire crever, avec leurs analyses. C’est encore les Amerloques, qu’ont inventé ça pour nous emmerder ». Didier est revenu sur l’histoire du disque, ça avait l’air sérieux, c’est pas tout le monde qui fait des disques, quand-même. Ils nous ont dit que eux ils faisaient la musique et que c’est une maison de disques qui faisait le disque. « Vous avez pas besoin d’un impresario, des fois ? » qu’il leur a demandé, Didier. « Pasque je travaille dans la banque, alors les histoires de sous, ça me connaît. Mais bon, vous en avez des bons aussi, dans vos cantons, même si des fois y font des trucs pas clairs, comme y disent aux zinfos». Le grand a dit que non, c’était bon et que ça collait bien avec Casbah Records. Quand il a entendu ça, le JeanPo a commencé à gueuler : « J’en étais sûr de cette histoire d’Arabe, moi j’ai fait l’Algérie, les Aurès je connais, la bataille d’Alger et la casbah j’y étais aussi, si y’a des fellaghas, y vont vite comprende sur qui y vont tomber ! », alors on lui a remis un coup de blanc pour le calmer, c’est le seul truc qui marche quand y s’excite sur les fellouzes, on a l’habitude. Quand y nous ont dit qu’y faisaient de la musique de garage, Maurice y leur a dit qu’y pouvaient venir dans son garage à lui, vu que c’est lui le patron, mais que chez lui, c’est plutôt Rire et Chanson d’habitude. Y z’ont voulu sortir un Naillepode pour nous faire écouter, mais comme y’avait pas de réseau, ça captait pas. On a causé comme-ci comme-ça encore un peu, pis les gars nous ont fait comprendre qu’il fallait qu’y z’y aillent. Alors on en a rebu un dernier pour leur route à eux, et pis y sont barrés en nous remerciant. Comme quoi, j’aime vraiment bien la cabane de chasse et c’est bien de voir des étrangers, surtout des polis comme ceux-là, mais on a un peu de mal à trouver des trucs sur lesquels bavarder, y sont quand même pas très causants, ces mecs-là, ça doit être à cause de la langue.
Alors Jean-Paul il leur demande quesqu’y foutaient dans les fourrés et si y seraient pas un peu en train de faire des trucs dégueulasses des fois. Et pis d’abord vous avez dit que vous êtes quat’ et vous êtes que trois, il est où l’aut’ là, l’Arabe, pasque vous avez plus des têtes de canards que des têtes d’Arabes, encore que toi, le grand, avec ta tête d’escogriffe crépu et ta barbe, je me demande si ce serait pas toi, des fois les Arabes y ressemblent à des gens normaux, j’me méfie, chuis armé, alors pas de coup fourré, c’est pas vous qu’allez me casser les roustingots, j’vous préviens, qu’il leur dit, le JeanPo. Des fois, Jean Paul, on l’appelle JeanPo, c’est pour ça. Apparemment, les types ont eu l’air fatigués, d’un coup. Ils ont commencé à expliquer que c’est des musiciens, qu’y jouent dans z’un orchest’ et qu’y z ‘étaient v’nus pour faire des photos pour un disque, mais que finalement y z’allaient p’têt garder celle avec le toboggan. Il a eu l’air un peu perdu, Jean-Paul, quand il a raconté ça, alors on lui a resservi un coup pour qu’y se r’mette de ses émotions et aussi pour y éclaircir un peu les idées, ça avait l’air un peu compliqué. Bon, au final, il a vu que c’étaient pas des mauvais bougres, alors il leur a proposé de venir boire un canon à la cabane à la pause de midi, ça sera plus pratique pour causer, pasque ça a commencé à défourailler dans tous les sens juste à côté et les mecs y z’avaient pas le Solognac© orange pour pas se faire tirer comme des lapins, si on peut dire, vu que c’était des canards suisses à ce que j’ai compris.
A la cabane, les types sont arrivés, un peu timides, mais avec une boutanche pour payer un canon, comme quoi c’est des gars qu’ont une éducation. « C’est de la petite arvine », qu’y nous a dit celui avec une mèche devant les yeux, en versant son picrate dans nos verres. Ah ouais, pasque je vous ai pas dit à quoi qu’y ressemblaient, les types. Y’avait donc le grand que JeanPo y se demandait si c’était pas lui le melon, et pis les deux autres, y’en avait un avec la mèche devant les yeux et l’aut’ avec la mèche en l’air. C’est marrant, les Suisses, ça ressemble un peu aux Parigots qui viennent en vacances dans le coin. Si ça se trouve, y sont de la même espèce, mais pas du même coin. On a trinqué, on a basculé nos verres. C’est gueulable, leur pinard, mais ça a pas beaucoup de goût, je trouve. Moi je dis que c’est le chablis qu’est le meilleur, en blanc. En rouge, j’aime bien des trucs du Rhône, mais j’en bois jamais, pasque je bois que du blanc, au moins je sais comment c’est fait.
« Alors, comme ça, vous jouez dans un orchestre ?», qu’y leur demande, Didier. Didier, c’est l’intello, c’est celui qu’a eu son bac et qui bosse dans une banque, mais c’est pas le mauvais bougre. Il met jamais des chaussures à bout pointu, comme ceux à Londres ou à Paris qu’on voit au 20 heures. Oui, que les Suisses y répondent. « Ça vous dirait pas venir faire la fanfare à la prochaine Saint-Hubert ? », qu’il leur lance. On sent que les gars sont un peu emmerdés, et y commencent à expliquer qu’y jouent du blouze. « Vous avez des champs de coton, en Suisse ? Je savais pas », qu’y leur dit, Jean-Paul. Les mecs, ça leur a un peu coupé la chique, nous on a rien compris, mais ça nous a tous fait bien rigoler quand il a espliqué la blague. On a trinqué avec du bon de chez nous et on a rebu un coup. C’est pas souvent qu’on a de la visite, mais on a des manières. Après, on est revenus à leur musique, aux gars, et y nous ont dit que y’avait pas que du blues, y’avait aussi du truc de rock de surf, dedans, ça nous a semblé bien compliqué, mais Maurice il a dit : « J’ai vu Brice de Nice, mais j’ai pas bien compris, c’était mon gamin qui voulait aller voir ça, en plus y’a même plus de buvette dans les cinoches, maintenant, encore une invention des Yankees, avec eux, on peut plus rien faire. » Tout le monde a opiné du bonnet, en regardant par terre, le verre à la main et l’air grave. « C’est comme pour la tartine de saindoux », que j’ai dit, « Avec un oignon cru », qu’il a rajouté Maurice. « Ouais », j’ai dit, « mais maint’nant, avec leurs analyses, on peut plus rien manger, y vont nous faire crever, avec leurs analyses. C’est encore les Amerloques, qu’ont inventé ça pour nous emmerder ». Didier est revenu sur l’histoire du disque, ça avait l’air sérieux, c’est pas tout le monde qui fait des disques, quand-même. Ils nous ont dit que eux ils faisaient la musique et que c’est une maison de disques qui faisait le disque. « Vous avez pas besoin d’un impresario, des fois ? » qu’il leur a demandé, Didier. « Pasque je travaille dans la banque, alors les histoires de sous, ça me connaît. Mais bon, vous en avez des bons aussi, dans vos cantons, même si des fois y font des trucs pas clairs, comme y disent aux zinfos». Le grand a dit que non, c’était bon et que ça collait bien avec Casbah Records. Quand il a entendu ça, le JeanPo a commencé à gueuler : « J’en étais sûr de cette histoire d’Arabe, moi j’ai fait l’Algérie, les Aurès je connais, la bataille d’Alger et la casbah j’y étais aussi, si y’a des fellaghas, y vont vite comprende sur qui y vont tomber ! », alors on lui a remis un coup de blanc pour le calmer, c’est le seul truc qui marche quand y s’excite sur les fellouzes, on a l’habitude. Quand y nous ont dit qu’y faisaient de la musique de garage, Maurice y leur a dit qu’y pouvaient venir dans son garage à lui, vu que c’est lui le patron, mais que chez lui, c’est plutôt Rire et Chanson d’habitude. Y z’ont voulu sortir un Naillepode pour nous faire écouter, mais comme y’avait pas de réseau, ça captait pas. On a causé comme-ci comme-ça encore un peu, pis les gars nous ont fait comprendre qu’il fallait qu’y z’y aillent. Alors on en a rebu un dernier pour leur route à eux, et pis y sont barrés en nous remerciant. Comme quoi, j’aime vraiment bien la cabane de chasse et c’est bien de voir des étrangers, surtout des polis comme ceux-là, mais on a un peu de mal à trouver des trucs sur lesquels bavarder, y sont quand même pas très causants, ces mecs-là, ça doit être à cause de la langue.