Don't spook the barn // Neil YOUNG & CRAZY HORSE

Chronique musicale (2021)
          Le vieux jeune (ou l'inverse ? ) a encore frappé. À 76 ans passés et sur un cheval fou, il laisse pas mal de gens sur le carreau.

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          « I was at Neil’s ranch one day just south of San Francisco, and he has a beautiful lake with red-wing blackbirds. And he asked me if I wanted to hear his new album, Harvest. And I said "Sure, let’s go into the studio and listen". Oh, no. That’s not what Neil had in mind. He said "Get into the rowboat, we’re going to go out into the middle of the lake". Now, I think he’s got a little cassette player with him. So I’m thinking I’m going to wear headphones and listen in the relative peace in the middle of Neil’s lake.
Oh, no. He has his entire house as the left speaker and his entire barn as the right speaker. And I heard
Harvest coming out of these two incredibly large loud speakers louder than hell. It was unbelievable. Elliot Mazer, who produced Harvest, came down to the shore of the lake and he shouted out to Neil : "How was that, Neil ? ".
And I swear to god, Neil Young shouted back : " More Barn ! " »
                                                                                                      (Graham NASH)
 
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Du mont à l'Barn

L'oncle Picsou n'aimait rien de plus au monde que de plonger dans sa piscine remplie de biftons. Uncle Neil préfère quant à lui partir en apnée dans les dédales de ses archives, enchaînant dans une frénésie quasi perpétuelle les sorties d'albums perdus et de concert légendaires, piochés aux quatre coins d'une carrière débutée il y a plus de quarante ans. Cela ne l'empêche pas de revenir à la surface de temps en temps. Cette fois-ci, ce sera avec ce Barn enregistré l'été 2021, avec un CRAZY HORSE vieillissant, mais qui a toujours autant fière allure, et qui garde surtout les bonnes grâces de son patron après un album enregistré dans les hauteurs du Colorado il y a deux ans. Welcome to the Barn !

Visiblement peu intéressé à l'idée de retrouver la haute intensité d'un Ragged glory ou Psychedelic pill, le Loner sait que lui et son groupe n'ont plus vingt ans depuis longtemps. Et ça s'entend. Comprenez par là que Barn est un formidable disque de vieux briscards, jouant à l'économie, en s'assurant que toutes les notes comptent. Oubliez immédiatement tous les superlatifs habituels de rigueur, le disque s'en passera très bien. Car Barn tient formidablement sur la route médiane séparant la folk et le rock, autrefois abhorrée par un YOUNG qui débarque ici en mode plein phares dans sa Lincvolt rutilante. Exemplaire de parité, Barn alterne avec facilité morceaux unplugged nous rappelant au bon souvenir d'Harvest et les traditionnels assauts soniques du groupe, où Nils LOFGREN a une nouvelle fois pris la place de guitariste laissée vacante par Frank « Poncho » SAMPEDRO. Ce qui explique en partie le côté posé du disque, tant le jeu du guitariste de SPRINGSTEEN est beaucoup plus fin que le massif mur du son de son prédécesseur. Tout cela sans altérer l'ADN du groupe, qui arrive quand même à sonner très massivement sans donner l'impression de forcer.
Enregistré en période de pleine lune dans la grange de Neil YOUNG rebâtie après un incendie qui l'avait quasi détruite, Barn démarre de fort belle manière avec ce Song of the seasons rustique, magnifiquement rehaussé par l’accordéon de LOFGREN. On rira deux-trois secondes du plagiat assumé des accords du A day in the life des BEATLES avant de s'incliner devant la beauté sans fioritures de cette chanson qui aurait facilement pu sortir au milieu des années 70.

 
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nyoungeric4retro_500.png, by Bingo

Ok, (sonic) boomer

Situé dans la même décennie, le suivant Heading West rappelle furieusement le CRAZY HORSE circa 1976, alors en pleine apogée de son irrésistible puissance scènique. Et pas question de tout gâcher en partant dans des jams ou larsens de fin interminables, l'affaire est réglée en 3 minutes 30. Revisitant une nouvelle fois le divorce de ses parents, lançant sa ruée vers l'Ouest à lui, YOUNG retrouve sa jeunesse en vantant ces « Good old days » avec une énergie et une conviction non feintes. Également de mise sur Canerican, Human race et Welcome back, l'énergie brute du groupe semble plus consistante et cohérente que sur le précédent Colorado. Le jeu de mot Canerican laissait pourtant craindre le pire, mais CRAZY HORSE brille une nouvelle fois de mille feux hypnotiques, capables de jolies envolées (ce break surgit de nulle part qui disparaît aussi vite qu'il est arrivé), tout en restant on ne peut plus court avec à peine plus de trois minutes au compteur. « Well the old generations they've got something to say, But they better say it fast or get out of the way » chantait YOUNG en 2002 sur When I hold you in my arms. Cette recommandation est ici appliqué à la lettre. Bon, OK, il aura fallu mettre un fade-out sur les solos de fin qui semblaient vouloir en découdre, mais l'envie de concision est indéniable. Même constat sur ce Human race qui parait également taillé pour durer beaucoup plus longtemps. Ici, YOUNG se permet quelques punchlines percutantes (« Today no one cares, Tomorrow no one shares », « Child like a flower, that rose and fell, back to earh as it turned to hell »), lançant la course à la survie de l'espèce humaine. Ses guitares hurlantes et acérées en seront la B.O. toute désignée, leur urgence rappelant forcément celle d'un chantier climatique qui commence déjà à sérieusement se casser la gueule. Assurant des surprenants chœurs hyper virils, les membres de CRAZY HORSE nous rappellent de leur côté l'époque où ils pouvaient tabasser avec une facilité déconcertante le Pushin' too hard des SEEDS.

C'est finalement sur l'avant dernier titre de l'album, Welcome back, que Neil YOUNG lâchera la bride et laissera galoper sa monture plus de huit minutes... pour ce qui sera paradoxalement le morceau le plus calme de Barn. Ce qui n'est aucunement un souci, tant le groupe creuse avec brio le sillon stellaire déjà tracé par Milky Way il y a deux ans. Magnifique ode à l'introspection et à la retenue, Welcome back aurait pu être un morceau de bravoure sur Sleep with angels, Tonight's the night ou On the beach. Mais c'est bien sur ce dix-septième album de Neil YOUNG & CRAZY HORSE qu'il laissera son empreinte indélébile. Cette superbe comète filant au ralenti dans une complainte feutrée nous rappelle encore une fois à quel point la versatilité du CRAZY HORSE, quelle que soit sa mouture, est restée beaucoup trop longtemps sous-estimée.

 
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nyoungeric2_500.jpg, by Bingo

Le repos des braves

Barn ne manque pas de rectifier cette injustice sur d'autres terrains. Et se permet même un blues convaincant, là où YOUNG s'est cassé les dents à plusieurs reprises par le passé (This note's for you, Babe what you want me to do sur Broken arrow). Change ain't never gonna come s'impose avec son harmonica familier et le piano boogie d'un LOFGREN décidément parfait quel que soit son instrument. Alors qu'il donne l'impression de faire un AVC au ralenti sur le clip de Welcome back, le bassiste Billy TALBOT tient remarquablement bien la baraque avec son compère Ralph MOLINA. Jouant avec un plaisir indéniable et une motivation intacte, Neil Young & CRAZY HORSE assument avec grâce le poids des années et les ravages du temps. C'est indéniablement le cas sur un Tumblin' thru the years qui voit Neil YOUNG livrer une nouvelle lettre touchante à sa femme Peggi YOUNG, décedée en 2019  (« It's a complicated life if I wasn't here with you thumblin' through the years without our love») sans pour autant verser dans le larmoyant. On pardonnera très volontiers un titre comme Shape of you (dédié à Daryl HANNAH), un peu en dessous des standards du disque, à l'écoute de They might be lost. Cette bluffante ballade acoustique murmurée, pas très éloignée des terres arides d'un Driveby d'Albuquerque, est est une belle démonstration de force avec son songwriting aux multiples interprétations possibles, confirmant une nette embellie à ce niveau. C'est également le cas en ce qui concerne le chant, tant YOUNG semble de plus en plus à l'aise avec ses limitations, arrivant même parfois à en jouer avec brio.

En concluant Barn sur un Don't forget love, aussi paisible que lumineux et porteur d'espoir, le groupe boucle la boucle de la plus belle des manières, après un parcours marqué par un icontestable sans-faute. Tout en retenue et simplicité, Neil YOUNG & CRAZY HORSE continuent de justifier leur statut de monument du rock, qui n'en a pourtant plus besoin depuis bien longtemps.

 

Eric F.

(07 janvier 2022)

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Neil YOUNG & CRAZY HORSE. Barn (Reprise Records, 2021)
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Pour prolonger...

Neil YOUNG : Archives
ARTISTE : site web officiel
ARTISTE : Facebook
Neil YOUNG & CRAZY HORSE : Austin City Limits [session live]
 
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #XXX (XX/XX/2021)

Dans nos archives écrites :
Neil Young & Crazy Horse – Colorado par Eric F. (15/11/2019)
 

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Photographies : Eric F., Neil YOUNG Archives, DR.
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