CITY SOUNDS - L'ENTRETIEN 2/2

On discute des résonances New-Yorkaise avec Alexandre Breton (directeur artistique)
Cette année, le festival se consacre à New York, pourquoi encore une ville américaine ?
On ne pouvait pas quitter le sol américain, sans en passer par une dernière ville, quitte à y revenir plus tard... On a essayé de monter en 2014 une édition centrée sur Melbourne, qui a mal tourné à cause d'un gros partenaire qui a fait faux-bond in extremis. Donc, il fallait relancer la machine, et, alors que La Cigale nous ouvrait les bras,  New York s'est imposée, avec ses myriades de groupes déments qui font trembler les murs des clubs de Brooklyn, où tout se joue en ce moment : Cerebral Ballzy, Savants, Endless Boogie, DIIV, Pampers, Cold Cave, les Obits... Et puis ces groupes qui sont à l'affiche de City Sounds 2015 : les hallucinants Beech Creeps, les géniaux Mystery Lights, mais aussi White Hills, duo psych-glam, les Seigneurs The Men... Nous avions envie d'avoir, pour cette édition deux figures tutélaires, et ce furent Thurston Moore - même s'il vit à présent à Londres - et Heavy Trash, le side-project de Jon Spencer avec Matt Verta-Ray des Speedball Baby. Une affiche de rêve!
 
Comment définirais-tu le son de New York ?
Là encore, c'est une autre atmosphère, une autre odeur : c'est plus urbain, expérimental, arty; New York draine avec elle une autre idée du rock, façonnée par le Velvet - l'acte de naissance musical de la ville -, Suicide, Lydia Lunch, Glenn Branca, les Ramones, jusqu'aux Strokes. New-York a été le lieu de gestation de nombreux mouvements comme le free jazz, le punk, la disco, la no wave, le hardcore... C'est la ville où l'on pourrait s'arrêter et monter quinze édition de City Sounds...
 
Deux jours, relativement éclectique quel est le fil conducteur de votre programmation (hormis New York) ?
Le fil conducteur n'est pas celui d'une ligne esthétique précise. City Sounds n'est pas un festival de rock garage ou psyché ou quoi que ce soit. C'est un festival de rock, qui accueille tout ce que le rock a produit comme croisements, comme sous-genres, comme choses parfois indéfinissables. Et c'est tant mieux. L'éclectisme est de mise. Allez définir ce que font les White Hills depuis quinze albums! On peut toujours simplifier, mais il faut alors accepter de réduire le groupe à ce qu'il ne cesse de questionner, avec ce avec quoi il ne cesse de rompre... Les étiquettes sont des commodités linguistiques, des sésames qui servent la communication, mais au fond, on ne s'y retrouve, et c'est tant mieux. Ces groupes s'intéressent toujours à ce qui est hors-cadre, hors champ. S'il font du rockabilly, comme Heavy Trash, il le nettoie de ce qui en fait un truc de puristes, et ça devient quoi? Du rock'n'roll, où on entend aussi bien, chez Jon Spencer, James Brown, Charlie Feathers ou les Cramps, voire une tradition de crooner, comme c'est le cas dans le dernier album du groupe, le sublime Noir. Idem chez Thurston Moore : expérimentation et pop sont toujours liées, ce n'est ni exactement l'un ni l'autre... Et pour The Men, c'est pire! On passe du punk au post-punk à la country, voire l'americana, le blues... C'est impur, et c'est exactement ce qui nous intéresse!
 
New York, c'est un nombre de possibilités de groupes important. Parle-nous de tes deuils de programmation ?
Les deuils de programmateurs, ce sont des centaines d'heures à faire et défaire des listes, où on cherche une cohérence, sans exactement savoir en quoi elle doit consister, puis un panel intéressant de propositions, avec ce cadre imposé : deux jours, six groupes, c'est fou! Après, il y a les coups de foudres, qui décident en dernière instance. On ne retient que ce qu'on aime définitivement, après réécoute des milliers de fois des albums... Après tout, il ne s'agit que de ça : ce qui nous semble incontournable à un instant T. C'est la raison pour laquelle on pourrait revenir, on n'a pas la prétention d'une objectivité impossible, d'avoir cerné l'identité musicale de la ville, qui n'existe tout simplement pas. Après, on aurait vraiment adoré accueillir Cerebral Ballzy, Lydia Lunch ou James Chance, ou les shoegaze DIIV, mais il fallait choisir...
 
Futur du City Sounds ?
Ce sont des villes en pagailles qui restent à sonder! Des capitales et des sous-capitales! Après tout, pourquoi pas mettre à l'honneur un jour, dans un cadre approprié, Bordeaux ou Rostov-sur-le-Don? Voilà l'avenir, trouver un équilibre entre des villes à la personnalité forte, avec cette parure mythique comme Frisco ou New York, et des villes plus confidentielles mais pas moins passionnantes, créatives à leur manière... Il ne s'agit pas de ne célébrer que les "stars", mais aussi de faire entendre ce qui se passe dans ces villes qui sont parfois plus rock qu'on l'imagine. Le rock reste un truc d'adolescent qui déteste son environnement, déteste le monde, sa ville, s'y emmerde ferme, et s'empare d'une guitare pour extérioriser tout ça! C'est ce que racontait Ty Segall à propos d'Orange County où il a grandi avant de s'installer à San Francisco. Merci donc à toutes les Orange County lisses, anxiogènes, insipides : elles enfantent les grands rockers!