Chroniques Schnouffiennes // Chapitre 3 : Le Projet UNDER 45

Chronique + Feuilleton (2022)
          Après un détour dans le futur dans le chapitre précédent, retour à la réalité et à notre héros, Schnouff.
 
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          Ça se passe aujourd’hui, là, maintenant, il fait nuit, il pleut un peu, il fait froid. C’est normal, c’est l’hiver et c’est un Schnouff mal assuré aux commandes de son autolaveuse qui nettoie tant bien que mal les salles du musée situées au sous-sol de l’immense bâtiment désert. Un vieux reste de lucidité lui enjoint de sagement s‘abstenir de s’approcher trop près des vitrines et le courageux garçon ne se prive pas de s’en assurer. Mieux vaut éviter les emmerdes. Une fois sa tâche accomplie sans excès de zèle, Schnouff zigzague jusqu’au local servant à ranger l’encombrant engin. Il parvient tout aussi mollement à s’extraire du siège. Il ferme le local à clé en laissant la lumière allumée, on peut pas penser à tout et vaut mieux ça que le contraire, et s’engage dans le couloir pour regagner la sortie. Sauf qu’en lieu et place du corridor menant aux escaliers remontant vers le grand hall, à droite du local, Schnouff emprunte le couloir gauche, dont il ignore ce qu’il dessert. Il ne s’en rend bien entendu pas compte immédiatement. Il a bien le temps de dépasser de nombreuses portes fermées, ainsi qu’un ou deux autres embranchements, avant que l’évidence ne le frappe. Il ne sait pas où il est. N’importe qui aurait fait demi-tour et emprunté le même chemin en sens inverse, d’une parfaite rectitude. C’est ça qui est confortable, avec la connerie sphérique : l’intelligence n’a aucune prise. Schnouff avise la porte d’un ascenseur. Son raisonnement est évident, aussi judicieux qu’on peut s’en douter : il regagnera plus vite le rez-de-chaussée en prenant l’ascenseur sur la porte duquel est inscrit en gros et en majuscules : ACCÉS INTERDIT À TOUTE PERSONNE NON AUTORISÉE. Il appuie donc sur le bouton d’appel.
 
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La porte s’ouvre immédiatement. Schnouff entre dans l’habitacle. Il se penche vers le panneau de commande, à la recherche du bouton qui permettra de retrouver la surface. Il n’a pas les yeux en face des trous, il le sait, alors il prend bien son temps pour scruter chaque numéro. Il est dans l’expectative, le Schnouff, c’est vachement tentant d’aller voir ce que le Chablis’s Andouillette European Search Center a dans le ventre, mais d’un autre côté, à 1 heure du mat’, ils n’ont peut-être pas fini l’apéro, chez Le Gros. La décision n’est pas facile à prendre, les portes se ferment, l’apéro ou l’exploration, la cuite ou l’investigation, la défonce ou…

Les portes se sont refermées depuis longtemps quand Schnouff finit par appuyer sur le bouton -45. Oui, le bâtiment s’enfonce sous le sol à la profondeur de quarante-cinq étages. Sans déconner. Il y a ça à Chablis, ouais, on dirait. Le boulot de malade et l’investissement de taré que ça représente. En plus, le site est dans la vallée, il y a le Serein, c’est la rivière qui s’appelle comme ça, ça doit être hyper humide, c’est cinglé, quand on y pense. Ça tombe bien, Schnouff n’y réfléchit pas très longtemps. Une très légère secousse signale au corps que l’ascenseur amorce sa descente. Ascenseur silencieux, confortable, en plastique blanc très lisse, presque brillant. Les angles de la cabine sont incurvés, arrondis. Un peu comme dans Star Wars, se dit Schnouff, qui, à part ça, ne pense pas trop. Aucune anxiété à braver un probable interdit, aucun remords à fouiner où il ne devrait peut-être pas. De la curiosité bovine. Assortie d’une pointe de convoitise : que peut-on bien planquer au quarante-cinquième sous-sol d’un bâtiment et n’y aurait-il pas moyen d’en tirer bénéfice ?
 
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Le très léger amorti de l’arrivée à destination précède l’ouverture des portes. La descente s’est faite à une vitesse vertigineuse, les dizaines d’étages souterrains ont été avalés en quelques instants. Ou alors le temps s’est difracté. Ça ne serait pas impossible. Une contraction du continuum espace-temps, ou une connerie du genre. En vérité, c’est plus simple de considérer que l’ascenseur est descendu vachement vite. En tout cas, les portes s’ouvrent, donnant sur un autre couloir dont le revêtement, du sol au plafond, a la même texture que l’ascenseur. Ça sent à plein nez le truc hyper secret. Sans la moindre surveillance active des lieux. Pas d’agent de sécurité somnolent pour cause de digestion de blanquette vespérale et se disant qu’il ne faudra pas qu’il oublie d’acheter du pain en partant demain matin. Pas de portique d’alarme, de détecteur de présence. Rien ni personne. Un désert d’albâtre brillant. Schnouff s’avance. Le couloir s’illumine, accentuant son caractère lacté, au fil de sa progression. Il a beau être un tocard de cambrousse, il a le nez pour renifler l’embrouille. Et là, à vue de pif, y’en a pas. Tout lui semblant assez tranquille, il poursuit plus avant. Puis il commence à percevoir comme des vibrations. Une pulsation régulière, binaire. Etouffée. Lointaine. Il continue dans la même direction, puis se trouve face à une porte. Celle-ci est marquée d’une simple indication : PROJET UNDER 45. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Pour le savoir, il suffit d’appuyer sur la poignée et de franchir le pas.

Une pièce aux cloisons aussi aseptisées que les couloirs. Un équipement en plastique blanc et acier inoxydable. Des écrans d’ordinateurs pendent du plafond. Une couchette équipée de sangles de contention. Des installations scientifiques ultrasophistiquées. Un laboratoire. Le meilleur des mondes de Joseph Mengele. Car dans les sous-sols du Chablis’s Andouillette European Search Center, on charcute et on bricole comme au rez-de-chaussée. Des dossiers impeccablement rangés annoncent la couleur : clonage, assemblage d’ADN, bidouille génétique de premier plan. Schnouff compulse négligemment le dossier marqué Chanteur : assemblage d’ADN de Jason WILLIAMSON pour le bagout spokingwords et l’accent, de Fabrice GILBERT pour les intonations, avec un zeste de Jello BIAFRA pour le vibrato (« Tous les essais avec Julien CLERC ont entraîné la mort du sujet »). Un dossier Guitares : échantillonnage de ce qui se faisait de mieux en post-punk, arpèges et cocottes de tradition art-rock, un poil d’accords béruriers quand il le faut. Un dossier Section rythmique : cyber-assemblage d’une Intelligence Artificielle sur une bête boîte à rythme, avec pour résultat l’entité hybride SuspiciousSteve, croisée avec une basse au rythme faussement dansant, sorte de B 52’s glauque. Les responsables de ces trépidations, un peu plus fortes depuis que Schnouff a pénétré dans le labo, sont le fruit de ces travaux. Enfermés dans une vaste cellule sécurisée, ils jouent sans discontinuer, frénétiquement, obsessionnellement.

Mais Schnouff se moque comme d’une guigne des trois gugusses et demi qui s’activent et vocifèrent dans la cage grillagée, comme il n’a que faire de la logique machiavélique qui inspire le Projet UNDER 45. Il se fout royalement de savoir qu’il s’agit d’un complot gouvernemental ultrasecret de manipulation de l’opinion. Il s’en tamponne, qu’on lâche dans la nature un faux groupe de post-punk, monté de toutes pièces dans le cadre de la guerre psychologique menée à l’encontre des citoyens de ce pays, visant à la démoralisation des forces contestataires jusqu’à leur élimination par suicide, afin de permettre l’instauration d’un pouvoir autoritaire appuyant sa tendance totalitaire sur la maîtrise technologique. Schnouff se bat la rondelle des conséquences de ses actes, ce n’est pas pour se préoccuper de la destinée de tout un pays, voire de celle de tout le continent européen. C’est son machin qui le commande, son bidulium, là, nan, merde, ah oui, son striatum.
 
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De la drogue. Il en veut. Il lui en faut. Et il a bien compris que, dans un lieu comme celui-ci, en cherchant bien, il doit y avoir matière à se démâter la gueule. Le voici donc qui farfouille dans des tiroirs, tripote des boutons, joue avec des leviers. Il finit par dégotter un flacon contenant un liquide épais, indéfinissable, au parfum naphteux et aux arômes prometteurs, que, fatalement, il ingurgite goulûment. Sirop pour la toux ? Anxiolytique ? Adjuvant quelconque ? Schnouff savoure en connaisseur le bouquet du breuvage, en guettant les premiers effets. Un grand coup de mou. Soudain. Massif. Schnouff titube jusqu’à la couchette la plus proche. Tente maladroitement de s’y hisser. Y parvient finalement et finit par s’installer. Le tout en dérangeant involontairement toute une série de manettes. Merde, Schnouff, merde. Tu peux pas faire gaffe, pour une fois ? Des liens électromagnétiques l’enserrent. Ce débile, dans sa maladresse stupéfiée, a actionné le mécanisme d’injection. Une énorme seringue surgit du plafond et descend lentement sous ses yeux horrifiés. Il a beau gueuler, personne ne l’entend à cause du raffut à côté, ou alors tout le monde s’en fout, surtout  la machine, qui lui inocule quelque chose en intraveineuse. Ça fait mal, putain. De la musique. Il l’entend clairement. On lui a injecté de la musique. Il acquiert instantanément la connaissance intime des huit morceaux constituant Cancelled. La moindre petite nuance, la note de synthé la plus discrète, l’accord le plus dissimulé, tout lui est connu de façon immédiate. Vingt minutes et trente-huit secondes de post-punk inondent son esprit. Chaque morceau se détache nettement des autres par sa personnalité, sa tonalité, sa tessiture propres, alors que ses méninges absorbent l’ensemble simultanément, d’un bloc. Schnouff, heureusement entravé, vibre de secousses, de tremblements, de soubresauts. Un grand flash. Une sensation de puissance absolue. Puis plus rien.


[À suivre...]
 

Nicolas GOUGNOT

(15 avril 2022)

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UNDER 45. Cancelled (Destructure Records, 2021)
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Pour prolonger...

UNDER 45 : Bandcamp

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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #740 (16/06/2021)

Dans nos archives écrites :
     Chroniques Schnouffiennes
          Chapitre 1 : Où l'on découvre notre héros
          
Chapitre 2 : Pendant ce temps-là, dans le futur...

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Photographies : bingO et Nicolas GOUGNOT
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