Chroniques Schnouffiennes // Chapitre 1 : Où l’on découvre notre héros

Feuilleton + chronique (2022)
          Sur les traces de ZOLA, notre correspondant de l'Yonne a décidé de se lancer dans un feuilleton. Ce sera pour lui l'occasion de chroniquer indirectement des disques qui l'ont marqué. Dans ce premier épisode, lectrices et lecteurs vont rencontrer le héros de la saga.
 
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- - - - - - - - - - - - - [Le Petit Val du Puits de la Treux] - - - - - - - - - - - - - -
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           La mère Bavouillot eut le malheur de naître au Petit Val du Puits de la Treux, dans l’une des rares masures non ruinées de l’un des non moins rares hameaux égarés au sein de l’immense forêt d’Hermolles. C’est au même endroit qu’elle rendit l’âme en donnant naissance à son unique rejeton, l’ambulance appelée en urgence s’étant embourbée, inadaptée qu’elle était au franchissement des fondrières qui tiennent lieu d’axe de circulation en ces sylvestres confins. Aujourd’hui, en hommage à la mémoire de sa génitrice, Rodolphe Bavouillot glandouille toujours dans son lieu de naissance, ne le quittant que pour aller acquérir de la drogue dans la métropole locale, Avallon. Dans son enclave civilisationnelle, soit on picole, soit on coupe du bois, soit on fait les deux. Rodolphe, par esprit de contradiction, se drogue. Beaucoup. Selon ce qu’il parvient à dégotter et sans être trop regardant sur la nature ni la qualité de la marchandise. Confrontés à une telle propension à s’ouvrir les portes de la perception, ses copains, car on peut être né au Petit Val du Puits de la Treux et avoir une vie sociale, ont fini par le surnommer Schnouff. C’est donc par ce quolibet affectueux que nous le désignerons désormais.
 
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 - - - - - - - - - - - - - - - - - [La forêt d'Hermolles] - - - - - - - - - - - - - - - - -

La scolarité de Schnouff ne l’a pas mené bien loin. Son père, qui picolait de l’huile de chaîne, lui dispensait pourtant régulièrement le même conseil, entre deux coups de botte en caoutchouc dans la panse : « Instruis-toi, putain d’merde ! ». Aujourd’hui, Schnouff zigzague entre aides sociales, petits boulots et combines étriquées. Le regard vitreux, la coiffure grasse du cas soc’ de campagne et les épaules tombantes sous le poids de l’absence de perspectives, il trimballe sa carcasse molle, sa roublardise épaisse et son éternel clope mal roulé, rarement chargé à blanc, là où sa vieille R11 pourrie veut bien l’emmener. Par un hasard que seul permet, au nom des économies d’argent public, le recours obsessionnel de nos dirigeants aux services surfacturés d’entreprises au personnel sous-payé pour assurer les missions de service public, Schnouff se retrouve employé (en intérim) à garantir la propreté des bâtiments du Chablis’s Andouillette European Search Center. Ce bunker de béton serti de pierre de comblanchien est sorti de terre par la nécessité de gaspiller les ressources publiques afin de flatter l’ego des pousse-mottes embourgeoisés grâce au pinard, tout en garantissant la énième réélection de quelque notable de la droite autosatisfaite. C’est inévitable, parce que 1) on est à la cambrousse et 2) il y a des montagnes de fric à défiscaliser. Cette structure, indispensable au rayonnement international de la plus noble des saucisses de tripes et cœur d’un pôle de compétitivité officiellement reconnu, réussit le tour de force de réunir en un seul et même complexe un laboratoire de recherche&développement, une Ecole Supérieure de l’Andouillette, un atelier de production ultramoderne, un centre de documentation et d’interprétation, jumelés à un musée en odorama, le contrat d’objectif du partenariat public/privé incluant le nécessaire volet pédagogique.
 
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- - - - - - [The Chablis’s Andouillette European Search Center] - - - - - -

Et c’est ainsi que, cette nuit-là, notre héros se retrouve à devoir piloter une autolaveuse autoportée, encore plus ultramoderne que l’engin de nettoyage ultramoderne qu’on peut voir tourner au Géant Casino d’Auxerre. La bon dieu de classe. Le voici donc dans les salles du Musée de l’Andouillette et de La Terrine de Couenne À travers les Âges, qui virevolte mollement au volant de son terrible engin, voltigeant au ralenti entre les vitrines exposant des morceaux tordus de ferraille rouillée et des tessons de céramiques ornés d’étranges motifs, magistrales et protohistoriques démonstrations de la très haute antiquité de l’andouillette de Chablis, tirée à la ficelle depuis, au moins, le Second Âge du Fer. « C’est chelou », se dit Schnouff laissant ainsi s’exprimer une conception minimaliste et décomplexée de l’histoire de l’art, chargé comme il faut de son cocktail chamanique personnel, qu’on imagine un peu comme le Coca : la recette est jalousement gardée, mais on pressent que ce n’est pas joli-joli. Quoi qu’il en soit, juché sur sa machine, il s’amuse comme un petit fou en chantant ce qui lui passe par la tête.
 
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- - [Céramique laténienne © Bibracte, Antoine MAILLIER - Inrap] - -

Si nous avions la possibilité d’assister à cette séance de nettoyage, assez peu rigoureuse il faut bien l’avouer, tout en nous immisçant dans son bulbe gélatino-rachidien, nous entendrions Schnouff chantonner  de très intéressantes mélopées de transe orientalisante. Psychédélisme contemporain ? Pop combative et réitération évolutive ? Le contraire ? Orient occidentalisé ? Le contraire ? Yallah Mickey Mouse, tout est dit. Expérimentation percussive sous contrôle mélodique ? Le contraire ? Le type même de production fastidieuse à caractériser, fruit du métissage mondialisé contemporain, que l’écoute rend léger alors même qu’elle brasse les angoisses, les questionnements du monde occidental. Mont-Saint-Michel et Miami Beach. Coup de grisou et orgue vertigineux. Présidence politique et culte de la personnalité, c’est moi c’est moi c’est moi, soupe servie par tous les dirigeants de la Terre et par ceux qui aspirent à les remplacer. Braises, feu, crises, effondrement, animalisme…

Les volutes sonores infra-cérébrales de Schnouff sont-elles inspirées des circonvolutions graphiques laténiennes au sein desquelles il évolue ? Les formes géométriques et néanmoins libérées inspirent-elles son psychisme déglingué ?
Incroyable ce que cette musique peut ouvrir comme interrogations. Oui, mais voilà, c’est Schnouff et ces évocations ne sont qu’un feu de paille de son inconscient, ce qu’il imagine au volant de son terrible engin s’efface au fil de la bande passante de son esprit. Il n’en fera jamais rien. Schnouff est un imbécile heureux, mais au moins il est heureux. Ça nous change des imbéciles aigris, sans imagination, imbus de leur puissance, noyés dans l’hybris du pouvoir où ils entendent se maintenir, tels des moules accrochées à leur rocher, pour dévaster toujours plus et en toute impunité l’intérêt commun, et dont les plans, mais ils l’ignorent encore, seront quelque peu perturbés par l’ingénuité d’un Rodolphe Bavouillot, citoyen irresponsable, dont l’heure adviendra à l’encontre de toute vraisemblance.
       

[À suivre...]
 

Nicolas GOUGNOT

(18 février 2022)

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cyril_cyril_yallah_mm_500.jpg, by Bingo
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CYRIL CYRIL. Yallah Mickey Mouse
(Born Bad Records / Les Disques Bongo Joe, 2020)

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Pour prolonger...

CYRIL CYRIL: Bandcamp

À propos de la céramique laténienne :
Vase peint issu du comblement primaire du puits n°34,
du site de Gandaillat à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), 
fouille de sauvetage (2001).
Vers 150-120 avant J.-C.
H. conservée 47 cm.
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Quand_je_dis_que_le_reste_est_en_ruine_il_faut_me_croire
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Photographies : Nicolas GOUGNOT
Photographies du vase :
© Bibracte, Antoine MAILLIER / n° 56236 et 56242
Inrap Rhône-Alpes Auvergne ; restauration au RGZM, Mayence
Merci à Eloïse VIALE / Bibracte

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