BUILT TO SPILL : un SUB POP et au lit ?

Chronique (2022)
         
     Pas vraiment rassuré par la présence de la section rythmique brésilienne présente sur la décevante dernière tournée française du groupe, on se posait quelques questions sur l'état de BUILT TO SPILL et de son nouvel album, le joliment titré When the wind forgets your name. Le groupe, qui n'aura jamais eu que son chanteur-guitariste Doug MARTSCH comme membre fixe, balaye tous les doutes le temps d'un album solide et emballant qui voit le guitar hero de Boise conforter un peu plus son statut de figure culte de l'indie.

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MARTSCH arrière ?


La signature, plus qu'évidente sur le papier, de BUILT TO SPILL chez Sub Pop après une vingtaine d'années de bons et loyaux services chez Warner Bros. laissait augurer du meilleur pour le groupe du vétéran indie Doug MARTSCH.
Cela n'a pourtant pas empêché quelques craintes à l'annonce de la sortie de When the wind forgets your name. Tout d'abord quand on a appris que le dixième album du groupe avait été enregistré avec le line-up brésilien Le ALMEIDA - João CASAES, pas vraiment rassurant lorsqu'on les avait croisés à trois reprises en France en mai 2019 pour des concerts passés plus ou moins loin de la catastrophe. Surtout que MARTSCH s'est depuis associé à la section rythmique Melanie RADFORD (BLOOD LEMON) et Teresa Esguerra (PRISM BITCH), bien plus technique et efficace, que beaucoup auraient aimé entendre défendre ce disque.
Doug MARTSCH s'est également vu accuser de fainéantise, puisque le disque compte beaucoup “de vieux morceaux”, mais aussi “de très vieux morceaux”, alors que c'est le premier album de chansons originales de BUILT TO SPILL depuis sept ans. Pour couronner le tout, MARTSCH n'a pas semblé très enclin à se défendre en interview, minimisant comme souvent son intérêt pour le music business, mais aussi... pour son propre disque. Peut-être les effets secondaires de son divorce ? Plusieurs morceaux du disque pourraient être lus dans ce sens en tout cas. À moins qu'il ne s'agisse de ruminations sur le temps qui passe et qui finit toujours par tout effacer (cf. le titre du disque).
Autant dire qu'on est allé vers cet album sur la pointe des pieds, presque résigné à admettre un raté, qui irait rejoindre l'accident industriel Ancient melodies of the future, seul disque déplorable au sein d'une œuvre incontestablement majeure. On peut bien admettre que ça ne marche pas à tout les coups, mais tous ces faisceaux de lumière négatifs portés sur le groupe pouvaient laisser craindre un mal plus profond.

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Face A


Ces mauvais présages disparaissent dès l'entame de l'album. Déjà parce que les Brésiliens ont réussi à élever leur niveau. Sans forcément faire de fioritures, certes, mais c'est une nette amélioration par rapport aux concerts parfois gênants du désormais défunt trio.
Gérant toutes les guitares, comme sur Untethered moon, Doug MARTSCH a une arme de poids avec ces neufs morceaux inspirés. Comme si le fait de se trouver avec des vieilles chansons allait forcément leur donner ce côté instant classique de l'âge d'or du groupe (en gros, de Perfect from now on au pantagruélique album Live). En tout cas, c'est ce qui se produit ici sur pas mal de titres.
Gonna lose, en ouverture, serait dans un monde un peu meilleur un magnifique hymne de stade, peut-être aidé, soyons fou, par une production un peu plus clinquante que d'habitude. Mais je pinaille... On ne vient pas chez BUILT TO SPILL pour du triple Dolby atmos. Gonna lose, donc, et son riff lourd et entêtant soutiennent un MARTSCH plutôt inspiré, à la guitare comme derrière le micro. Et toujours cette voix nasillarde reconnaissable entre mille, en digne héritière de Neil YOUNG.
La tradition du morceau tubesque en deuxième piste est respectée avec Fool's gold, merveilleuse pièce d'orfèvre traversée par des convulsions électriques qui soutiennent admirablement un ensemble transcendant complètement sa suite d'accords basiques. On y trouve même ce qui pourrait être une première réponse explicite aux critiques : “I'm gonna keep trying / If I don't keep trying, I'm never gonna make it / I'm gonna keep trying”. Visiblement remis du blocage dont il souffrait (“I want to tell you something / I got nothing to say”), MARTSCH signe un nouveau morceau dont il a le secret, direct et accrocheur. Son hilarant clip nous rappelle que notre homme n'a pas abandonné sa légendaire autodérision.
Understood fait, quant à lui partie, des morceaux que les fans avides de concerts du groupe connaissaient déjà par cœur. Il y a fort à parier qu'ils ont dû être surpris par l'ajout de cordes, qui donnent un côté plus adulte sans empêcher les guitares de briller. Plus au service du morceau, MARTSCH ne jette pas la couverture sur lui, malgré deux trois accélérations entêtantes.
La suite se fait plus apaisée avec un Elements intéressant dans son traitement sonore, qui ouvre une nouvelle porte sur un BUILT TO SPILL plus doucement psychédélique. Le morceau n'a rien d'un hit évident, mais grandit à chaque écoute, jusqu'à finir par s'imposer complètement. On se demande d'ailleurs si ce ne serait pas le seul morceau du disque où le duo d'ORUA aurait un peu pu poser sa patte en termes d'enregistrement et de production.
On n'hésitera pas à situer la genèse de Rocksteady, par contre. Né de l'amour inébranlable de Doug MARTSCH pour le reggae, le morceau vient rejoindre quelques autres tentatives funky plus ou moins réussies (They got away, Mess with time, C.R.E.B). C'est un peu mou du genou, malgré le renfort des claviers, et ça ne sert pas à grand-chose, mais peu importe : le meilleur est encore à venir.
 

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Side B


Dès les premiers arpèges de Spiderweb, on sait déjà que l'on tient notre champion. En refusant de trancher entre la pop intello de R.E.M. et les guitares abrasives de DINOSAUR JR. (comme sur le superbe Living zoo), MARTSCH nous rappelle qu'il est parfois, pardon souvent, capable de se hisser au niveau des plus grands. Fortement inspiré, le morceau laisse pantois devant une telle évidence mélodique et ses guitares folles. Point fort du groupe, les cassures rythmiques amènent toujours un plus évident, rendant le morceau imprévisible. On n'en arrive même plus à compter les moments de bravoure entre les arpèges racés, les soli qui regorgent de classe et ce final haletant servant sur la base de ses deux minutes à justifier à lui seul l'acquisition de ce disque.
Revigoré, le groupe enchaine avec un Never alright enthousiaste, même s'il est un peu plombé par le paroles défaitistes de Doug MARTSCH, reprenant la thématique du cœur brisé, déjà présente sur Fool's gold : “No one can ever help no one / Not get their heart broken / All of this longing makes all of these days seem so long”. Sous ses abords un peu punky, le morceau se perd quelque peu dans un pont superflu qui traîne en longueur. C'est d'ailleurs bien le seul vestige sur le disque du côté jam band de BUILT TO SPILL à l'époque du saint line up MARTSCH-NELSON-NETSON-ROTH-PLOUF. Fort heureusement, l'hirsute barbu retrouve ses esprits avant la fin du morceau et livre une nouvelle fournée de patates.
Alright se fait moins plombé que son prédécesseur, et à défaut de ressembler à quelque chose de l'ordre de l'espoir, est une invitation à la proaction : “Life goes on year after year / Don't recommend it / But I'm glad I'm still here / Let's get up and get over this fear”. Musicalement, ça mélange l'influence des morceaux calmes de There is no enemy et les titres les plus pops d'Untethered moon, et ça fonctionne plutôt bien. Prenant son temps pour se mettre en place, le morceau s'amplifie tout du long après nous avoir fait passer par la pop et la folk sans perdre une seule seconde son identité. On accueille à bras ouvert la slide de MARTSCH et on salue aussi l'impeccable prestation de la section rythmique. Quand ça arrive, on le dit aussi.
Annoncé comme le morceau de bravoure de l'album (les versions live ne démentaient absolument pas), Comes a day fait effectivement forte impression. Son intro offensive laisse penser qu'il va probablement marcher sur les plates-bandes noisy et expérimentales d'un When i'm blind, mais on bifurque finalement sur une pop finement ciselée, entrecoupée par des saillies électriques convaincantes. Beaucoup plus disert qu'à l'accoutumé en terme de paroles, Doug MARTSCH se fait aussi plus incisif :  "You say it's lonely at the top for you / With no one to share the view / Well, it's lonely at the bottom, too / It's just more crowded". Massif et indéniablement taillé pour la scène, Comes a day ne pâtit même pas de son mix fluctuant sur la fin, comme un hommage aux heures les plus tordues de SPARKLEHORSE. Un morceau final qui résume en tout cas assez bien les forces de ce When the wind forgets your name.

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MARTSCH avant !


Foutrement plus convaincant que le disque de reprises de Daniel JOHNSTON sorti il y a deux ans, ce nouvel album de BUILT TO SPILL lève la plupart des doutes qu'on pouvait avoir. Enregistré dans des conditions un peu précaires (ALMEIDA et CASAES ayant à la fois bossé sur le disque à Boise, ID, puis à la maison, à Rio de Janeiro, avant que Doug MARTSCH ne remodèle probablement tout l'ensemble à son goût), When the wind forgets your name est une formidable porte de sortie libérant le leader de BUILT TO SPILL de sa période de doute créatif. Toujours impeccable, le groupe livre un disque qui n'aura pas à rougir face aux dernières productions en date, elles-mêmes excellentes. Et de savoir Doug MARTSCH complètement revigoré par son nouveau line-up féminin laisse augurer de nouvelles aventures d'un tout aussi bon acabit. Go Doug or go home !

 

Eric F.

(02 décembre 2022)

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BUILT TO SPILL. When the wind forgets your name (Sub Pop, 2022)
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Pour prolonger...

BUILT TO SPILL : Bandcamp
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BUILT TO SPILL
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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #788 (02/11/2022)

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Photographies & illustrations : BTS / DR
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