Bring on the Major leagues // PAVEMENT

Chronique (2022)
          À quelques jours de la nouvelle tournée de reformation du groupe, fin de la série des rééditions pour PAVEMENT. Cette fois-ci c'est le tour du dernier disque du groupe, le divisif Terror twilight, ici présenté dans une version exhaustive.
 
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          Sorti à l'origine le 8 juin 1999, Terror twilight clôturait la carrière d'un groupe ultra-estampillé 90s (date de naissance : fin 1989 – date de décès : décembre 1999) dont le statut culte est déjà entériné depuis un bail. S'il a été à l'époque plutôt bien reçu par la presse dite spécialisée, sans vendre des masses, cet ultime opus n'aura pourtant pas manqué de diviser les fidèles fans du groupe à sa sortie. Il faut dire que l'idée de convier Nigel GODRICH à la production du disque aura fait soulever quelques sourcils à l'époque. Mais qu'allaient donc faire MALKMUS et sa bande avec l'homme responsable, entre autres, du son OK computer ? La réponse est évidemment dans la question : il s'agissait bel et bien pour PAVEMENT de proposer un disque (enfin ?) accessible au grand public. Chose que n'avait su faire un Brighten the corners deux ans plus tôt, malgré le renfort du producteur Mitch EASTER (R.E.M., Suzanne VEGA, HELIUM...) qui avait pourtant tout donné pour arrondir les angles obliques de la pop pavementienne.

 
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Terror twilight, it's hard to get down

Cette stratégie plutôt osée et quelque peu contre-nature était en fait à mettre au crédit (ou pas, c'est selon) de Laurence BELL, patron de Domino Records, jouant le rôle du wingman roublard : « Hey les gars, Nigel GODRICH aimerait bien bosser avec vous ! » / « Salut Nigel, je t'ai déjà dit que PAVEMENT t'aime beaucoup ? ». Pari payant, puisque la réponse de GODRICH comme celle de PAVEMENT fût diligente et sans équivoque : un grand OUI !, donc. Scott KANNEBERG, aka SPIRAL STAIRS et accessoirement roi du contre-pied, expliquera qu'il était plus excité à l'idée de travailler avec l'homme derrière le son du Up de R.E.M. que celui qui fit des prouesses sur The bends et Ok computer.

C'est ainsi que démarre la genèse du disque le moins neutre de la discographie de PAVEMENT, à peu près autant adoré qu'il peut être détesté. Maintes fois repoussée, la seule réédition qui manquait à l'appel dans le catalogue du groupe est finalement proposée dans un format plus que conséquent : un double CD et un coffret quatre vinyles pour un total de quarante-cinq morceaux dont une trentaine d'inédits. Le tout accompagné de l'habituel livret peu avare en anecdotes de la part des différents protagonistes, mais surtout une version remastérisée (réussie et discrète, sans dénaturer la version originale) de Terror twilight, ici présenté avec le tracklisting proposé au groupe par GODRICH. Mais on y reviendra plus tard, autant commencer par le début.
 
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Disséminés aux quatre coins des États-Unis, les cinq membres de PAVEMENT savaient très bien que la fin de chacune de leurs tournées mettait de fait le groupe en état de mort artificielle. C'est donc avec soulagement que Mark IBOLD (basse), Scott KANNBERG (guitare), Bob NASTANOVITCH (clavier, percussions, cris) et Steve WEST (batterie) reçurent l'invitation de Stephen MALKMUS à plancher sur les nouvelles compositions qui garniraient le cinquième album du groupe. Plutôt inespéré en termes de contenus (Matador avait initialement abandonné l'idée d'une réédition face au manque de matière première) ce Terror twilight: farewell horizontal a le mérite de retracer les différentes étapes de la conception du disque, de ces improbables démos largement tartinées de Moog par MALKMUS jusqu'à la version finale de Terror twilight. Tout cela nous offre bien évidemment un point de vue complètement neuf sur le vilain petit canard/dernier chef d’œuvre (rayer la mention inutile) de l'aventure PAVEMENT.
 
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Démos et antisèches pour Scrabble

Tout démarre donc, chronologiquement du moins, avec ces huit démos intégralement jouées par un MALKMUS en pleine fascination pour les claviers Moog suite à l'avènement d'AIR. Le résultat est plutôt surprenant et amusant, comme sur le jovial Carrot rope, complètement taillé pour, malgré son statut encore embryonnaire. Livrées avec un minimum syndical de parties vocales (Billy, Speak see remember et Spit on a stranger), ces démos sont assez drôles et inattendues, révélant une facette de Stephen MALKMUS qu'on ne reverrait pas jusqu'au récent Groove denied (si on fait abstraction de quelques morceaux de l'époque Face the truth, son troisième album solo.) On s'amusera de ce Cream of gold un peu pataud sans sa testostérone finale, mais les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures, comme le prouve ce Folk jam moog épuisant d'approximation, à des années lumière de la version finale du morceau. Heureusement que Folk jam guitar, cette exquise excuse pour se lancer dans un solo digne de George HARRISON, redore le blason du morceau. Si certaines mauvaises langues affirment toujours haut et fort que Terror twilight serait en fait le premier album solo de MALKMUS, on est pourtant à ce stade bien loin du statut de produit fini.

Probablement décontenancés par le contenu de cette démo, les quatre autres membres de PAVEMENT vont alors éprouver toutes les peines du monde à apposer leur patte sur ces nouveaux morceaux. Résultats des courses, deux sessions à Portland et New York pour rien. De l'aveu même de Scott KANNBERG, le groupe sentira rapidement la frustration d'un MALKMUS sentant l'amateurisme ambiant le ralentir. Il faut dire que le reste de PAVEMENT était plus occupé à parfaire ses antisèches pour battre le patron au Scrabble (où il excelle) que d'essayer de comprendre les accords élaborés de MALKMUS. Goguenard, celui-ci ira même jusqu'à composer Ann don't cry pour permettre au groupe de se faire la main sur un morceau moins compliqué. PAVEMENT s'enlise lentement dans une crise larvée, qui atteindra son apogée pendant la tournée suivante, et verra le groupe se séparer juste avant de monter sur scène pour le dernier concert de la tournée à Londres. Histoire d'enfoncer le clou, MALKMUS attache des menottes à son micro et informe son auditoire : « This is what it's like to be in PAVEMENT ». Bonne ambiance...
 
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Elles aussi présentes sur cette réédition, ces deux sessions laissent un petit goût d'inachevé. On espérait y entendre un Terror twilight qui prendrait une nouvelle vie, dispensé des ajouts de GODRICH, ouvrant ainsi tout un tas de « Et si... ? » hypothétiques. Au final, on retrouve un groupe poussif dont le côté joyeusement foutraque perd de son charme. Ça ne sont pas les ébauches de b-side The tortoise and the hand grenade et Rooftop gambler, ni l'inédit Be the hook qui viendront inverser la tendance. Surtout pas ce dernier, tant il se résume à une version précoce et mal dégrossie de The hook, tiré du premier album solo de Stephen MALKMUS, créditant ainsi la thèse du premier album solo déguisé. Mais si on sent que PAVEMENT se cherche sans forcément se trouver, il y a tout de même quelques jolis moments à retenir comme sur un Spit on a stranger qui profite plutôt bien de son atour bancal malgré une partie vocale en chantier et terriblement sous-mixée. Speak, see, remember débarque quant à lui comme une vraie bouée de sauvetage, rare titre de ces sessions qui n'aurait pas eu à rougir si il s'était retrouvé sur Terror twilight. Et si on parlait (enfin ! ) du disque, tiens ? Allez !

 
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(Un)Dressed for success ?

Débarquer dans ces conditions n'a pas dû être évident pour Nigel GODRICH, ce qui ne l'empêche pas de secouer les habitudes du groupe, peu habitué à jouer dans des studios aussi luxueux que le RPM à New York et RAK à Londres. Bob NASTANOVITCH se retrouve par exemple enfermé dans une cabine avec un clavier et ses percussions en pouvant à peine entendre ce qu'il joue. Il avouera à sa grande surprise avoir retrouvé de ses prises sur l'album. Le même NASTANOVITCH qui déclarera également que GODRICH ne connaissait toujours pas son prénom après une douzaine de jours passés en studio...
Toujours est-il que la plupart des intentions du producteur de RADIOHEAD sont au final assez louables. Imposant un nombre de prises conséquent pour chaque morceau, l'anglais n'a rien voulu laisser au hasard, tentant de tirer la quintessence d'un groupe quelque peu fatigué, quitte à perdre un peu de sa légendaire spontanéité. Et dieu merci, il s'est bien gardé de répliquer bêtement la formule qui fit le succès d' Ok Computer, comprenant parfaitement qu'un PAVEMENT, même en pleine quête d'un public plus large, reste un animal très différent d'un RADIOHEAD. On peut même souligner ses choix aventureux sur son séquençage de l'album, qui démarre par Platform blues (featuring Johnny GREENWOOD à l'harmonica) et The hexx, soit les deux titres les plus aventureux et les plus longs du disque. Pas forcément idéal cependant, tant Terror twilight apparaît encore aujourd'hui comme un disque un peu maladroit, naviguant entre deux eaux. Un point pour SPIRAL STAIRS donc, tant son choix d'ouvrir par Spit on a stranger (du PAVEMENT adulte et convaincant) paraît aujourd'hui inattaquable.
S'il n'y a pas grand chose à leur reprocher, des chansons comme Major leagues et Ann don't cry arrivent beaucoup moins bien à sublimer ce PAVEMENT nouveau, qui marche ici le long d'une ligne droite toute tracée. Recruter le batteur Dominic MURCOTT (HIGH LLAMAS) pour Major leagues et Carrot rope en post-production ne changera pas la donne (Steve WEST n'était jamais présent pour les phases d'overdubs et de mixage) : Terror twilight ne bénéficie pas des deux-trois hits qui auraient pu le faire basculer sur un tout autre statut. On rappelle d'ailleurs que le groupe n'a choisi qu'un titre de l'album (Spit on a stranger) pour figurer sur Quarantine the past, son best-of rétrospectif sorti en 2010.
 
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C'est donc paradoxalement quand il s'embarque sur un terrain proche de Nigel GODRICH que PAVEMENT se prend les pieds dans le tapis. Quoi qu'il en soit, Terror twilight n'est pas pour autant le disque hors-sujet du groupe. Largement au-dessus du niveau des sessions de Portland et New York, le groupe fait plaisir sur un Folk jam jubilatoire qui dégage une assurance folle (ce solo de banjo, bon sang ! ), porté par un MALKMUS au sommet de son art et qui fait honneur à son statut de docteur ès punchlines décalées (« Beware the head of state says that she believes in leprechauns, Irish folk tales scare the shit out of me » pour n'en citer qu'une). Affolant de maîtrise sur le solo de guitare de The hexx (qui aurait fait une superbe conclusion pour l'album), le Henri GUYBET de l'indie rock tente beaucoup, souvent avec succès. Parfait exemple, le « couillu » Cream of gold, probablement ce que PAVEMENT aura fait de plus ressemblant à du stoner rock. Maîtrisant les nuances avec une justesse confondante (la GODRICH touch en action), on imagine facilement le groupe complètement retrouvé (et manifestement bien mieux préparé) à l'écoute de ce morceau. Même son de cloche du côté d'un Billie joyeusement débraillé qui débute comme une comptine folk innocente pour mieux finir dans une taverne de marins virils mais complètement pintés.

Pour peu qu'on accepte que Terror twilight n'a pas grand chose à voir avec la schizophrénie de Wowee zowee ou la classe californienne de Crooked rain², le disque n'est pas avare en bons moments malgré son aspect quelque peu boiteux. Et histoire de se préparer pour la seconde tournée de reformation du groupe, ce Terror twilight : farewell horizontal se referme avec six morceaux captés sur scène en 1999. Drôle d'idée vu l'ambiance tendue qui régnait chez le groupe ? Pas du tout, on a ici un PAVEMENT en grande forme. Évidemment, le groupe n'allait pas piocher dans son catastrophique set au festival Coachella, hein ! Comme quoi le Terror twilight tour n'aura probablement pas été qu'un long chemin de croix. Et puis ça fait toujours plaisir de réentendre ce bon vieux Frontwards !
Cerise sur le gâteau, cette luxuriante réédition se termine sur un Folk jam rallongé, puis une reprise explosive du Sinister Purpose de CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL. Cela ne suffira peut-être pas à gagner les réfractaires, mais cette réédition qui nous propose une plongée immersive dans la conception du disque nous rappelle que Terror twilight mérite largement qu'on y revienne plus régulièrement, entre deux écoutes frénétiques de Wowee zowee ou Slanted and enchanted.

 

Eric F.

(01 juillet 2022)

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PAVEMENT. Terror twilight : farewell horizontal (Matador, 2022)
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Pour prolonger...

PAVEMENT : site web officiel
PAVEMENT :
          Sinister purpose / Folk jam (Live @ Jools Holland)
          Slow century pt. 1
          Slow century pt. 2

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Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #771 (06/04/2022)

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Photographies : DR / Matador, collection personnelle Eric F.
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XXXXXXXXXXXXXXXXXXXX  Stephen M. & Eric F. : BFF !  XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

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XXXXXXXXX  Stephen M. & Eric F. : summer camp  XXXXXXXXXX