Le Mississippi se jette dans le lac Léman // par Sedryk Reaktion
29 mai 2015 I Crissier (Suisse)
Partant du principe que le Mississippi se jette dans le lac Léman, c'est aux pieds des montagnes helvètes que se tient ce festival de blues qui allie convivialité et programmation pointue. Le parc du château de Crissier accueille les nombreux spectateurs (le festival fait le plein cette année) pour deux jours de blues protéiforme, dont seul le premier sera relaté ici. Pour le second, demandez donc à ceux qui y étaient !
En attendant l'ouverture officielle, petit tour au stand de Normandeep Blues où l'ami Nicolas Miliani vend les galettes des artistes du festival et où j'en profite pour tailler la bavette avec Gunnar Jansson. Le suédois au look rétro est aussi humble et sympathique que sa musique est envoûtante. C'est vous dire s'il est sympathique.
DJ Phil, quant à lui, envoie ses vinyles sur tous les moments off pour une playlist sans faute de goût (mention spéciale à une version décapante de « Black Betty » par Son of Dave).
Enfin, Thomas & Vincent, les deux programmateurs du festival, ouvrent les festivités : « Le Blues Rules est le seul festival où les programmateurs connaissent chaque spectateur par son prénom ! ». Tout au long de la journée, leurs interventions drôlistiques en rajoutent sur le côté à la bonne franquette.
C'est la Louisiane Sarah Savoy et son groupe Hell-Raising Hayride qui baptisent la scène du Blues Rules avec leur rock cajun. Sacré personnage, la Savoy : « Cette année, j'ai demandé à jouer plus tôt dans la journée, avant d'être trop saoule ! ». Il faut dire que la donzelle a une descente à défier n'importe quel supporter de rugby et s'enfile des pintes cul-sec entre chaque morceau. Le blues n'étant plus, et depuis longtemps, une exclusivité américaine, cap ensuite sur l'Allemagne avec The Dad Horse Experience, intrigant one man band à base de banjo et de kazoo. Ses chansons à l'humour grinçant et décalé séduisent l'auditoire et l'auteur de ces lignes.
Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour parler objectivement de la prestation du guitariste touareg Faris, puisque ma présence sur le festival est liée à la sortie de son album « Mississippi To Sahara », que je viens de produire sur mon label. Avec ses reprises de blues du Delta à la sauce touarègue, Faris apprend, à ceux qui ne le savent pas encore, que l'une des racines principales du blues se trouve en Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement dans le Sahara. Sa prestation en trio est certainement l'une des plus intrigantes du festival, notamment lorsque Faris sort une Weissenborn pour une version revisitée du « Feel Like Goin' Home » de Muddy Waters.
La Suisse n'a pas été oubliée dans la programmation avec Coconut Kings et son rockabilly énergique puis, plus tard dans la nuit, The Two, qui resteront, à mon avis, la révélation de cette édition 2015. Pour l'anecdote, Thierry et Yannick, qui forment ce duo, se sont connus sur le Blues Rules sur lequel ils sont bénévoles depuis des années, cette année y compris. Après avoir déchargé du matos toutes la journée, ils changent de casquette et montent sur la scène du festival pour une prestation bluffante en tout point. Soyons clair : du duo, c'est principalement Yannick Nanette qui fait le show à lui tout seul. Voix phénoménale, aisance scénique, dynamisme et humour, ce garçon (qui ne s'est visiblement jamais coupé les cheveux depuis sa naissance) alterne chansons en anglais et en créole, aussi à l'aise dans le registre de l'énergie que de l'émotion. Nous avons tous le sentiment d'assister à l'éclosion d'une future star. The Two envoie des good vibrations à faire passer les Beach Boys pour neurasthéniques et se taille un immense succès. Faris les rejoint pour un « When The Saints » clairement improvisé, mais c'est ça aussi, l'esprit du Blues Rules.
La prestation de Bror Gunnar Jansson est clairement la plus attendue de la journée. Le ténébreux suédois semble même avoir un début de fan-club puisque une partie du public reprend ses chansons en chœur. J'ai une petite appréhension avant de le voir sur scène : je crains que la magie de son album « Moan Snake Moan » ne supporte pas l'épreuve du live. J'ai tort : ce garçon a de l'or dans les doigts et dans le gosier et parvient sans mal à recréer les atmosphères envoûtantes du disque. Tout est là, cette voix si particulière emplie d'émotion, le son de guitare réverbéré, la batterie jouée avec les pieds (aux chaussettes rouges dépareillées) qui lui donne ce son unique. Même lorsqu'il remplace les trompettes du disque par des sifflements, ça marche encore ! Gunnar termine par une nouvelle compo, une autre de ses ballades déchirantes dont lui seul a le secret. J'avais déjà écrit sur ce même site que « Moan Snake Moan » avait été le meilleur album sorti en 2014. Dire que ce garçon incarne le futur du blues ne me paraît pas exagéré, voire même un peu réducteur, tant il emmène sa musique plus loin que le blues, se fichant royalement des étiquettes. Grande leçon de classe et de magie.
Place ensuite à la légende avec Muddy Waters qui, entre nous, a pris quelques kilos depuis qu'il n'est plus mort... Ah, renseignements pris, il semble qu'il s'agissait de son fils, Mud Morganfield, venu entretenir le mythe de son père et remplaçant Lucky Peterson au pied levé. Costard en satin blanc, bagouzes en or à chaque doigt, le Mud à une voix si ressemblante à celle du papounet que ça en est troublant. Ce show à l'américaine bien huilé dénote un peu dans le cadre bon enfant du Blues Rules, mais tout-le-monde a la banane en ré-entendant « I Want To Be Loved » ou « Hoochie Coochie Man ».
Il est près de 2h du matin quand Chicken Diamond, dernier artiste de la journée, prend la scène d'assaut. Le public est clairsemé et passablement déchiré, occasion de vérifier, une fois de plus, que l'alcool n'aide pas à rendre intelligent. Le one man band lorrain balance ses blues hyper électrifiés sans pause ni un mot pour le public. Ultra efficace, mais épuisant au-delà de trois morceaux. Bon, peut-être qu'il est l'heure d'aller se coucher, aussi.
Le lendemain, dernier tour par le site du festival pour une jambalaya géante cuisinée par Sarah Savoy, qui fait son entrée en jouant sur une carriole tirée par un tracteur. Il est alors temps pour moi de reprendre la route avec Faris et son groupe. Le festival se poursuit avec une programmation alternant la Suisse et les Hills du Mississippi. C'est ainsi : en 2015, le blues vit toujours sous différentes formes, des USA à l'Europe en passant par l'Afrique. Et mon mojo works plutôt pas mal, merci pour lui.
Partant du principe que le Mississippi se jette dans le lac Léman, c'est aux pieds des montagnes helvètes que se tient ce festival de blues qui allie convivialité et programmation pointue. Le parc du château de Crissier accueille les nombreux spectateurs (le festival fait le plein cette année) pour deux jours de blues protéiforme, dont seul le premier sera relaté ici. Pour le second, demandez donc à ceux qui y étaient !
En attendant l'ouverture officielle, petit tour au stand de Normandeep Blues où l'ami Nicolas Miliani vend les galettes des artistes du festival et où j'en profite pour tailler la bavette avec Gunnar Jansson. Le suédois au look rétro est aussi humble et sympathique que sa musique est envoûtante. C'est vous dire s'il est sympathique.
DJ Phil, quant à lui, envoie ses vinyles sur tous les moments off pour une playlist sans faute de goût (mention spéciale à une version décapante de « Black Betty » par Son of Dave).
Enfin, Thomas & Vincent, les deux programmateurs du festival, ouvrent les festivités : « Le Blues Rules est le seul festival où les programmateurs connaissent chaque spectateur par son prénom ! ». Tout au long de la journée, leurs interventions drôlistiques en rajoutent sur le côté à la bonne franquette.
C'est la Louisiane Sarah Savoy et son groupe Hell-Raising Hayride qui baptisent la scène du Blues Rules avec leur rock cajun. Sacré personnage, la Savoy : « Cette année, j'ai demandé à jouer plus tôt dans la journée, avant d'être trop saoule ! ». Il faut dire que la donzelle a une descente à défier n'importe quel supporter de rugby et s'enfile des pintes cul-sec entre chaque morceau. Le blues n'étant plus, et depuis longtemps, une exclusivité américaine, cap ensuite sur l'Allemagne avec The Dad Horse Experience, intrigant one man band à base de banjo et de kazoo. Ses chansons à l'humour grinçant et décalé séduisent l'auditoire et l'auteur de ces lignes.
Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour parler objectivement de la prestation du guitariste touareg Faris, puisque ma présence sur le festival est liée à la sortie de son album « Mississippi To Sahara », que je viens de produire sur mon label. Avec ses reprises de blues du Delta à la sauce touarègue, Faris apprend, à ceux qui ne le savent pas encore, que l'une des racines principales du blues se trouve en Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement dans le Sahara. Sa prestation en trio est certainement l'une des plus intrigantes du festival, notamment lorsque Faris sort une Weissenborn pour une version revisitée du « Feel Like Goin' Home » de Muddy Waters.
La Suisse n'a pas été oubliée dans la programmation avec Coconut Kings et son rockabilly énergique puis, plus tard dans la nuit, The Two, qui resteront, à mon avis, la révélation de cette édition 2015. Pour l'anecdote, Thierry et Yannick, qui forment ce duo, se sont connus sur le Blues Rules sur lequel ils sont bénévoles depuis des années, cette année y compris. Après avoir déchargé du matos toutes la journée, ils changent de casquette et montent sur la scène du festival pour une prestation bluffante en tout point. Soyons clair : du duo, c'est principalement Yannick Nanette qui fait le show à lui tout seul. Voix phénoménale, aisance scénique, dynamisme et humour, ce garçon (qui ne s'est visiblement jamais coupé les cheveux depuis sa naissance) alterne chansons en anglais et en créole, aussi à l'aise dans le registre de l'énergie que de l'émotion. Nous avons tous le sentiment d'assister à l'éclosion d'une future star. The Two envoie des good vibrations à faire passer les Beach Boys pour neurasthéniques et se taille un immense succès. Faris les rejoint pour un « When The Saints » clairement improvisé, mais c'est ça aussi, l'esprit du Blues Rules.
La prestation de Bror Gunnar Jansson est clairement la plus attendue de la journée. Le ténébreux suédois semble même avoir un début de fan-club puisque une partie du public reprend ses chansons en chœur. J'ai une petite appréhension avant de le voir sur scène : je crains que la magie de son album « Moan Snake Moan » ne supporte pas l'épreuve du live. J'ai tort : ce garçon a de l'or dans les doigts et dans le gosier et parvient sans mal à recréer les atmosphères envoûtantes du disque. Tout est là, cette voix si particulière emplie d'émotion, le son de guitare réverbéré, la batterie jouée avec les pieds (aux chaussettes rouges dépareillées) qui lui donne ce son unique. Même lorsqu'il remplace les trompettes du disque par des sifflements, ça marche encore ! Gunnar termine par une nouvelle compo, une autre de ses ballades déchirantes dont lui seul a le secret. J'avais déjà écrit sur ce même site que « Moan Snake Moan » avait été le meilleur album sorti en 2014. Dire que ce garçon incarne le futur du blues ne me paraît pas exagéré, voire même un peu réducteur, tant il emmène sa musique plus loin que le blues, se fichant royalement des étiquettes. Grande leçon de classe et de magie.
Place ensuite à la légende avec Muddy Waters qui, entre nous, a pris quelques kilos depuis qu'il n'est plus mort... Ah, renseignements pris, il semble qu'il s'agissait de son fils, Mud Morganfield, venu entretenir le mythe de son père et remplaçant Lucky Peterson au pied levé. Costard en satin blanc, bagouzes en or à chaque doigt, le Mud à une voix si ressemblante à celle du papounet que ça en est troublant. Ce show à l'américaine bien huilé dénote un peu dans le cadre bon enfant du Blues Rules, mais tout-le-monde a la banane en ré-entendant « I Want To Be Loved » ou « Hoochie Coochie Man ».
Il est près de 2h du matin quand Chicken Diamond, dernier artiste de la journée, prend la scène d'assaut. Le public est clairsemé et passablement déchiré, occasion de vérifier, une fois de plus, que l'alcool n'aide pas à rendre intelligent. Le one man band lorrain balance ses blues hyper électrifiés sans pause ni un mot pour le public. Ultra efficace, mais épuisant au-delà de trois morceaux. Bon, peut-être qu'il est l'heure d'aller se coucher, aussi.
Le lendemain, dernier tour par le site du festival pour une jambalaya géante cuisinée par Sarah Savoy, qui fait son entrée en jouant sur une carriole tirée par un tracteur. Il est alors temps pour moi de reprendre la route avec Faris et son groupe. Le festival se poursuit avec une programmation alternant la Suisse et les Hills du Mississippi. C'est ainsi : en 2015, le blues vit toujours sous différentes formes, des USA à l'Europe en passant par l'Afrique. Et mon mojo works plutôt pas mal, merci pour lui.