Bikini Gorge

Fuzztration (Kizmiaz Records) // par Nicolas Gougnot
Le soleil darde de ses rayons le potager fraîchement démarré, faisant rougir de plaisir les premiers fruits des fraisiers épanouis. L’atmosphère s’emplit des fragrances délicates du foin coupé séchant, étalé, sur les verts pâturages. Les épis des orges se balancent mollement au gré de la légère brise printanière. Le lin, dans le lointain, est comme une mer azurée. Bergeronnettes, merles et moineaux s’égayent, le bec chargé de brindilles destinées à construire le nid qui accueillera douillettement les oisillons à venir. Les hirondelles sillonnent le ciel, se gorgeant d’insectes. En lisière des forêts, les chevreuils surveillent avec attention leurs chevreaux tremblant sur leurs pattes hésitantes. Il fait beau, il fait bon, les boissons houblonnées fraîchissent tandis que les braises du charbon rougeoient, bientôt prêtes à faire grésiller les saucisses de chez le petit boucher. Le printemps s’annonce enfin certain.

La Janou s’en vient, qui déclare tristement : « La vie, c’est une tartine de merde, et tu en manges chaque jour une bouchée ».

Et là, je réalise à quel point c’est vrai. Les corbeaux viennent bouffer mes fraises. Le chèvrefeuille a chopé l’oïdium. Les plants de tomate portent les stigmates du mildiou. Les limaces ont bouffé les salades. Liseron et boutons d’or envahissent le jardin. Il pleut sur mes coups de soleil. Robert vient de mourir.
Bikini Gorge est la bande-son rêvée pour ingurgiter ta dose quotidienne d’excrément. Guitare rêche, au moins autant que le chant. Mélodies arides. Hurlements rauques. Reverb d’outre-tombe. Compositions glauques. Décharges de fuzz sèche et riffs dans ta gueule. Il n’y a pas d’espoir. L’été ne sera jamais là. Une musique de Toussaint endeuillée. Colère, désespoir, dévastation. Quatorze titres négatifs. Du mid-tempo sec émaillé d’accélérations haineuses. Pas une molécule d’oxygène salvateur. Tu es mal. Pas d’exutoire, non, non, tu ressasses et tu râles. Il n’y aura rien de constructif, ce sera décidément une journée pourrie. En souvenir de Robert, j’allume une énième clope, que j’accompagne d’un nouveau verre de blanc, acide et insipide. Putain, crever d’avoir les poumons qui se remplissent d’eau, quand on en a aussi peu bu que Robert, c’est vraiment injuste. Ouais, vraiment, la vie est une tartine de merde.