Bernardino Femminielli

Plaisirs Américains (Mind Records) // Par Anton Schaefer
Alors que les icônes mainstream de la pop n’ont jamais autant joué la carte du cul pour vendre leur zik’ (Nicki Minaj, Madonna et compagnie), le sexy en musique n’a jamais été aussi peu excitant. A vouloir grossir le trait de l’hyper-sexualisation, c’est comme si la toute puissance du désir en chansons les avait quitté. De nos jours, nous aurons bien du mal à trouver l’érotisme musical chez ces chanteuses en toc. Serions-nous alors plutôt Bernardino que Rihanna ? Faut croire. Déjà auteur du très bon “Double Invitation” sortit en 2012, Femminielli avait entre temps sorti avec son comparse Jesse Osborne-Lanthier (Noir) deux albums aussi expérimentaux que déconcertants. Mais cette année, Bernardino revient avec un grand disque respirant le stupre et la débauche, “Plaisirs Américains”, paru sur l’excellent label Mind Records.
 
Ouvrons un point d’explication : le nom Femminielli désigne dans la tradition napolitaine les transgenres efféminés. Et cela nous aide à comprendre l’incarnation de la musique de Bernardino : transgenre, dépassant les normes et privilégiant les frontières poreuses. Il conjuge à la perfection musique planante et chansons romantiques, refuse de choisir entre Gainsbourg et Franco Battiato, refuse de départager Bowie et Lena Platonos. “Plaisirs Américains” est une oeuvre qui a le cul coincé entre les 70’s et les 80’s, comme un trésor caché qui se révélerait à nous au détour d’une réévaluation salvatrice. On retrouve plus de profondeur dans ce nouvel opus, de vraies belles chansons, et d’ores et déjà un des gros titres de 2016, “Boy’s Trottoir”, aux mélodies imparables et un goût prononcé pour l’outrage aux bonnes moeurs.
 
“Plaisirs Américains” est le disque que Sébastien Tellier voudrait réaliser mais dont il n’est plus capable aujourd’hui, et ce depuis bien longtemps. La comparaison entre les deux se fait sur leur talent à composer de grandes et belles lignes mélodiques, et sur leurs capacités à jouer avec leurs voix, évoquant parfois un spoken word suave. Mais, alors que la musique de Tellier a délaissée les grandes chansons au profit de concepts bancals, celle de Bernardino demeure toujours aussi soufflante que réjouissante. Et dans “réjouissante” il y a la notion de jouissance, qui traverse de part en part les chansons de Femminielli. Cet album aurait pu servir de soundtrack pour Love, le film porno-sentimental de Gaspar Noé tant il respire cette sainte trinité bien particulière : des larmes, du sang et du sperme.