BAR ITALIA : what we do in the shadows

Chronique (2023)
          Pour vivre heureux, vivons cachés ? C'est visiblement le plan de route qu'a tracé le cosmopolite trio BAR ITALIA, installé à Londres et qui a sorti un excellent album en 2023 : Tracey denim.

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          En laissant planer un voile de mystère très opaque, Nina CRISTANTE, Jezmi Tarik FEHMI et Sam FENTON ont construit l'identité du groupe avec une farouche volonté de conserver l'anonymat, comme pour mieux mettre en avant leur pop brinquebalante et souvent cryptique, aux ramifications très étendues (new-wave, post punk, indie, j'en passe...). Les trois confidentiels premiers albums du trio, qui se sont vendus comme des petits pains, résument assez bien le groupe, entretenant sa propre mythologie, tout en ensevelissant ses indéniables aptitudes sous un nuage cotonneux parfois un peu fatiguant.

Mais tout cela, c'était avant de signer chez l'historique label indé américain Matador Records... Tracey denim, premier album du groupe pour les New-Yorkais, pourrait bien faire voler tout cela aux éclats. Soumis à une couverture médiatique plus importante, BAR ITALIA risque d'avoir du mal à rester dans la pénombre tant le disque est bâti pour exposer le groupe à un public nettement plus large. On ne pourra en tout cas pas leur reprocher d'avoir renié leur principes : les noms des morceaux, inscrits très discrètement dans un coin de la pochette intérieure, sont les seules informations figurant sur l'album. Pas forcément très invitant de prime abord.
 
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Et pourtant, on n'entre pas dans Tracey denim sur la pointe des pieds, en craignant de s'embourber dans des sables mouvants. On pourrait même voir Guard, l'intro du disque, comme une tentative assez inédite de la part du groupe de proposer une approche plus lumineuse, toutes proportions gardées. Sur des arpèges de piano lancinants accompagnés de cymbales hyperactives, le groupe se révèle en clair-obscur. Sans atteindre le grand luxe, la production du disque laisse moins de zones d'ombre que par le passé, tirant BAR ITALIA de ses douces rêveries éthérées (ça n'est pas pour rien qu'on retrouve un album nommé Bedhead dans la discographie du groupe).

Si on évoque la coldwave et le post-punk comme les mamelles nourricières du trio londonien, et que son patronyme nous renvoie directement à un morceau de PULP, BAR ITALIA nous fait pourtant furieusement penser à un autre trio sans frontières, BLONDE REDHEAD, l'option distorsion en moins. Les voix qui se mélangent n'y sont bien évidemment pas étrangères, avec une option accent anglais LVB qui s'avère sexy mais aussi parfois pénible, surtout du fait de Nina CRISTANTE, qui séduit autant qu'elle peut agacer par endroits. Cette association des voix suffirait presque à elle seule à solidifier les fondations de la musique de BAR ITALIA tant elle fait mouche à chaque fois, sans tomber dans le piège du gimmick attendu.
 
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Sans être allé se renier sur ses principes fondateurs, le trio a néanmoins passé un sacré palier : Tracey denim est incontestablement un disque de pop très efficace (le nombre de morceaux marquants en atteste), qui refuse pourtant la facilité. C'est assez dur à croire en écoutant le kaléidoscopique single Nurse !, où les trois parties du morceau, chacune portée par la voix d'un des membres du groupe, complètent un irrésistible puzzle. On tient donc dès la deuxième piste le premier grand moment du disque, avec son refrain schizophrène, évoquant une quête d'identité et de repères (thème récurrent de l'album) tout en se voulant une ode au lâcher-prise : « A mask covered your eyes / And you moved like crazy to your favorite song / You said 'I'm coming alive' / Haven't felt that way since you were 21 ».

Sans verser dans le n'importe quoi de paroles qui renverraient inlassablement vers un cut and paste bricolo cher à des groupes comme PAVEMENT, BAR ITALIA revendique haut et fort sa volonté de ne pas livrer son univers à l'auditeur clé en main : « All my favorite people are misunderstood » se justifie (ou se lamente ?) Jezmi Tarik FEHMI sur un My kiss era délicieusement langoureux. En revanche, on n'ira pas prendre pour argent comptant le « I know I trip and fall when I try to be graceful » de Missus mortality. Si cela avait été le cas, Changer et ses arpèges discrets mais efficaces nous auraient rappelé à l'ordre : oui, BAR ITALIA est tout à fait capable d'atteindre des moments de grâce, le morceau en question allant même jusqu'à nous laisser entendre ce que donnerait The XX si le duo donnait une plus grande place aux guitares. Après nous avoir trimballé de morceaux catchy en chansons vaporeuses, BAR ITALIA embrasse enfin totalement une approche rock en fin de parcours avec l'enthousiasmant Friends, propulsé en moins de deux minutes chrono, final frustrant compris. Outre le fait de bander ses muscles, le trio s'affirme désormais totalement  dans sa singularité : « Said that you wanted it to feel sane / But that's all I can do / Thе lights aren't changing and you feel insane / I've got nothing lеft for you».

Si le concept d'un disque de quinze titres pourrait sembler être un non-sens total à l'ère du TDA, la variété et la brièveté de ces chansons (une seule dépasse à grand peine les quatre minutes) permet à BAR ITALIA de s'en sortir avec les honneurs. Si le trio ne parviendra peut être pas à faire perdurer la magie qu'habite Tracy denim, il est actuellement sur un équilibre précaire qui en fait un des groupes les plus singuliers et attachants du moment.

Dernière minute : au moment où ce papier est mis sous presse (ah ah), nous apprenons que BAR ITALIA va sortir un nouvel album, début novembre : The twits.
 

Eric F.

(10 octobre 2023)

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BAR ITALIA. Tracey denim (Matador Records, 2023)
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Pour prolonger...

BAR ITALIA : Bandcamp
BAR ITALIA @ Zebulon

Dans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #815 (07/06/2023)

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Photographies : DR, Matador, Eric F.
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