Chronique (2023)
Pour que l'ambiance soit au rendez-vous lors de la prochaine fête des voisins, une bouteille de Raki, une boule à facettes et le dernier album d'ALTIN GÜN suffiront.
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XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX« Love is all ! », c’est bien connu, même SIRONIMO le sait ! Alors, quand on a cliqué sur PLAY et que le nouvel album Aşk d’ALTIN GÜN a débuté, plouf, nous, on est encore tombé en amour. C’est fou, non ? Un dépaysement total dans les 3 dimensions de l’humaine piètre condition de ce monde à la sauce terrygilliamienne et pour cause ! Bien que basé à Amsterdam, ALTIN GÜN chante en turc ! Pas tous les jours qu’on écoute avec bonheur de la musique turque, non ?
Pour faire rapide et simple, ALTIN GÜN, c’est un groupe fondé en 2016-2017 par le bassiste hollandais et digger chevronné Jasper VERHULST, à la suite de sa découverte de la musique folklorique anatolienne et la scène alternative stambouliote des années 70. Et le nom du groupe n’y est pas étranger : « altin gün » signifie « l’âge d’or » ou le « jour d’or ». On comprend mieux maintenant pourquoi le groupe l’a choisi. À peine apparu, immédiatement, le son plaît, le succès est au rendez-vous, les concerts se multiplient, mais le groupe connaît cependant quelques va-et-vient. Actuellement, ALTIN GÜN est composé de six musiciens qui chantent en turc, dont une seule femme, la chanteuse Merve DASDEMIR. Rien que ça, ça vous tire de la morosité ambiante, saturée de perfide anglaiserie décriée à juste raison. Le Brexit ne suffira pas à nous sauver ! Mais en plus, comme le propose le descriptif, ce cinquième album « dépasse la palette sonore révolutionnaire du groupe de pop groove psychédélique turque, de disco de science-fiction et d'acid folk rêveur ». Eh oui ! On peut dire que Aşk, c’est de la pure musique pour geeks, toute droite tirée de séries B, entre Topkapi et la BO d’OSS 117, car avec cet album, ALTIN GÜN non seulement plonge au plus profond de la musique pop-rock post-ottomane de notre enfance, mais, plus surprenant encore, ces dix morceaux sont volontairement basés sur des airs folkloriques turcs traditionnels ou des écrits très connus (par les Turcs, s’entend) et souvent réutilisés par d’autres artistes au fil du temps. Le tout est renforcé par l’utilisation du saz électrique du chanteur Erdinç Ecevit YILDIZ. C’est en bonne partie ce son du saz et ses mélodies endiablées qui fait le charme de l’ensemble de Aşk et qui, à l’écoute, provoque une allégresse, une joie de vivre communicative. Le pied tambourine, la tête va et vient, le corps danse même assis devant l’ordi (on est geek ou on ne l’est pas !). Pourtant, si on y regarde de plus près, on n’y comprend que pouic à ces poétiques voix si l’on n’est pas turcophone, le sens des paroles nous échappe complètement. Même les titres sont mystiques (Google Trad, Deepl et ChatGPT ne servent à rien, désolé ! On a fait l’essai, sans succès !). Peu importe ! La musique et la mélodie des deux voix (féminine et masculine) nous emportent à elles seules, vers les lointains du rêve, de l’Orient, de l’autre côté du miroir à la rencontre du Chat du Cheshire.
Badi sabah olmadan (« Sans mauvais matin » en français) débute l’album. Il s’agit en fait d’une chanson d’amour traditionnelle de la ville de Kırşehir, dans laquelle « le poète supplie son amour de venir à lui avant la fin de la nuit ». ALTIN GÜN l’avait déjà intégrée en cinquième place de son album précédent (Àlem, ATO Records, 2021), dans une version plus électro et bien moins réussie à notre avis.
Les autres morceaux se suivent avec plus ou moins de saz (le luth perse), de guitare slide, de synthé. On pourra par exemple comparer la version traditionnelle de Su siziyor, interprétée par Sabahat AKKIRAZ et celle d’ALTIN GÜN pour se rendre compte du travail de revisitation dans un style groove reggae-funk ! Rakıya su katamam (« Je ne peux pas ajouter d’eau au Raki » ?) est une reprise space-rock d’une chanson de l’écrivain et théologien turc Mustafa ÖZTÜRK. Leylim ley, elle, est une reprise d’une composition de Zülfü LIVANELI, musicien folk et journaliste turc, et des vers de Sabahattin ALI, poète et également journaliste turc, mort en 1948, à la suite d’une tentative de fuite clandestine vers la Bulgarie. Notons enfin que Çit çit cedene (une histoire de clôture ?) existait déjà dans une version psych-folk typique seventies, interpretée par « la légende anadolu-psych Barış MANÇO » (Estağfurullah ne haddimize. EMRE Grafson Müzik, 1986), qui sert clairement de modèle à ALTIN GÜN. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à rapprocher son autre titre Kalk gidelim du Lambaya puf de MANÇO.
Pour notre part, peu importe les influences, chacun y retrouvera les groupes et artistes qu’il voudra, et à ne pas douter que notre rédac’ en chef adoré pourrait ajouter ici un NDRL bien fourni, tant la palette inspiratrice d’ALTIN GÜN est large. Quoi qu’il en soit, au final, on retiendra seulement que l’album Aşk offre un vent de fraîcheur bienvenu, nous propulsant dans une remontée fulgurante du temps, pour le plus grand bonheur de nos oreilles qui en redemanderaient bien encore un peu ! Pour l’heure, nous, on repart sur la disco-funky enjouée de Doktor civan, dont les petits riffs de guitare, tout autant que la ligne de basse résonnent fortement comme ceux de hits planétaires que tout le monde reconnaîtra… Allez, on vous aide : un bon mix entre le Supernature de CERRONE (Cerrone 3 (Supernature). Malligator, 1977), Chase (single intégré à la BO de Midnight express. Casablanca Records, 1978) de Giovanni MORODER et Get lucky de DAFT PUNK (Random access memories. Columbia, 2013), avec la guitare si typique de Nile RODGERS.
Boulette à facettes, volume à fond et tant pis pour les voisins !
GROTOTORO, correspondant à Genève
(13 juin 2023)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
ALTIN GÜN. Aşk (Glitterbeat, 2023)
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Pour prolonger...
ALTIN GÜN : Bandcamp
+ Live at FIP
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Dans nos archives sonores :
Le Son du pick up #192 (27/05/2019)
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Photographies : DR, ALTIN GÜN
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