Alan Lomax

Parchman Farm (Dust To Digital) // par Sedryk Reaktion
Est-il utile de dire une fois de plus l'influence considérable qu'ont eu les Lomax, père et fils, sur toute la culture populaire de la seconde moitié du 20ème siècle ? Que sans leur formidable travail de passeurs, le rock'n'roll des origines, puis le British Blues des 60's n'auraient pas été les mêmes ?
Pour les aliens qui viennent de débarquer sur Terre, petite séance de rattrapage : John Lomax commence au début du siècle dernier en collectant des chansons de cow-boys, qu'il fait publier en partitions. Avec l'arrivée des techniques d'enregistrement mobiles (pourtant bien primitives ; sur des cylindres, ce genre), il devient l'un des pionniers de l'ethnomusicologie et embarque, dans les 30's, son jeune fils Alan, tout juste 18 ans, dans de folles virées de collectages sonores. Leur terrain de jeu : le sud des USA, Mississippi, Texas, Tennessee, Louisiane... C'est que le papounet et le fiston ont un amour immodéré pour les musiques afro-américaines, ce qui leurs causera bien des déboires dans le sud raciste du KKK. Mais ce sont des humanistes et ils vont à la rencontre des travailleurs dans les plantations de coton, dans les prisons, sur les chantiers de chemin de fer. Pour le compte de la bibliothèque du Congrès de Washington, ils enregistrent tous les futurs monstres sacrés : Son House, Muddy Waters, Leadbelly (qu'ils font sortir de prison), Fred McDowell... Alan manque de peu Robert Johnson, qui vient de passer l'arme à gauche.
J'ai personnellement été introduit au travail d'Alan Lomax par ses captations de chants de prisonniers, qu'il débute en 1933 avec son père, puis seul, en 1947-48, notamment dans le tristement célèbre pénitencier de Parchman Farm, Mississippi. Il y reviendra en 1959, lors de son fameux « Southern Journey », cette fois équipé en stéréo. A Parchman Farm, les prisonniers étaient condamnés aux travaux forcés avec des méthodes nostalgiques du bon vieux temps de l'esclavage. Des prisonniers exclusivement afro-américains, cela va sans dire.
Je ne me suis jamais remis de la découverte de ces work songs. A mes oreilles, ces chants constituent toujours les blues les plus purs. Sans la moindre guitare. Juste des voix et des coups de haches ou de pioches. C'est qu'il n'est pas question ici de faire « joli », et encore moins d'emballer les filles. Ces chansons n'ont qu'un seul but : impulser le bon rythme de travail, pour être productif sans que personne ne soit à la traîne, et sans risquer de se blesser ou de filer un coup de hache au copain d'à côté. Les harmonies vocales et polyrythmies sont clairement d'influence africaine, et pourtant ces chansons sont « aussi américaines que le fleuve Mississippi », pour reprendre les mots de Lomax lui-même.
Le label Dust-To-Digital a la bonne idée de sortir ce beau livre/CD sobrement intitulé « Parchman Farm ». L'engin rassemble 44 titres, dont un certain nombre sont des versions inédites, accompagné de nombreuses photos prises par Lomax pendant ses visites à Parchman, et de textes passionnants sortis de la plume de Lomax, de sa fille ou de Bruce Jackson. 
A partir des années 60, ces chants ont commencé à disparaître des prisons du Sud, les pénitenciers se faisant moins inhumains (ouf !) et les vieux prisonniers ayant été libérés (éventuellement les pieds devant). Aujourd'hui, la tradition des work songs est totalement éteinte, ce qui confère encore plus de valeur aux enregistrements de Lomax et à ce coffret. Une somme déjà indispensable pour qui s'intéresse aux blues des origines.
Une fois en solo, le fils va ensuite étendre son aire d'investigation au globe tout entier, enregistrant dans les Antilles, en Afrique du Nord, en Asie, et même en France (quelques quadrilles figurent dans son impressionnant catalogue). A partir des 70's, il passe même à la vidéo, filmant RL Burnside ou Sam Chatmon dans ses vieux jours.