Chronique musicale (2021)
Omaha n'a clairement rien d'une fabrique à rock stars : la modeste et glaciale ville du Nebraska peut se targuer d'avoir vu naître Conor OBERST (BRIGHT EYES) ainsi que le cultissime poète folk Simon JOYNER, et c'est à peu près tout. Enfin, ça, c'était avant que David NANCE ne débarque il y a une dizaine d'années, guitare cabossée et enregistreur Tascam rudimentaire sous le bras. Notre homme n'a pas beaucoup chômé depuis, sa discographie facturant déjà une quinzaine d'albums, après avoir pris une ampleur plus importante, suite au patronage de Simon JOYNER, justement.
La production de David NANCE reste pour la plupart marquée au fer rouge d'un garage lo-fi qui n'hésite pas à cracher ses tripes, tous les potards dans le rouge. Des albums live, d'autres reprenant des disques entiers des BEATLES, Lou REED et Doug SHAM, ainsi que des productions enregistrés sur un quatre-pistes rouillé, le tout souvent jeté en pâture directement sur son alléchante page Bandcamp : autant dire que malgré un savoir-faire indéniable pour écrire des morceaux basiques diablement efficaces, il ne se soucie guère de son attractivité.
Un homme pressé
Après avoir signé chez le très estimable label chicagoan Trouble In Mind Records, NANCE a frappé fort d'entrée avec le tremblement de terre Peaced and Slightly Pulverized, sorti en 2018. Ce tonitruant album prouvant ce qu'on soupçonnait depuis déjà quelques temps : une production digne de ce nom était le dernier chaînon manquant pour atteindre une œuvre capitale. Bien qu'il ait fait suivre ce disque d'une tournée des stades en première partie de Jack WHITE (une nouvelle expérience qui, selon les dires de NANCE, fut toute aussi étrange qu'on pouvait le penser), la notoriété de notre homme pressé n'a pas beaucoup décollée pour autant. Tout du moins en Europe : le passage au Petit Bain parisien fut exaltant mais scandaleusement boudé par un public venu en masse pour The GROWLERS et EN ATTENDANT ANA.
Quoi qu'il en soit, NANCE a pour une fois pris son temps avant de nous proposer une suite officielle à ses aventures discographiques. Ce qui ne l'aura bien sûr pas empêché entre de temps de proposer un album de vieux morceaux réenregistrés avec les passionants GUN OUTFIT, une délicieuse démo de Peaced and Slightly Pulverized et de nouveaux titres enregistrés live dans son jardin. Rien que ça ! Sorti l'an dernier, toujours chez Trouble In Mind, Staunch Honey est un pas en arrière remisant au placard les grosses guitares autant Neil YOUNG et CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL que Jimi HENDRIX pour une décontraction acoustique qu'on avait peu entendue depuis les premiers albums de BECK.
Nouveau projet
Mais l'amour sincère de NANCE pour le rock qui tache n'a pas disparu pour autant. Formidable pièce au dossier, le premier album d'ASTUTE PALATE, groupe monté avec des musiciens de Philadelphie (dont des membres de WRITHING SQUARE et WATERY LOVE) revient à la fois vers des guitares plus abrasives et une production assez rêche.
La genèse du groupe en dit d'ailleurs long sur l'éthique de David NANCE : contacté par le batteur Richie CHARLES pour donner un concert à Philadelphie sans le reste du DAVID NANCE GROUP pour cause de budget étriqué, NANCE lui répond alors qu'il viendra bien jouer, mais avec des nouvelles compos sous le bras qui leur permettra de monter un groupe. Les aléas du transport aérien ont fait que NANCE est finalement arrivé la veille du concert alors qu'il avait prévu tout le week-end pour se familiariser avec ses nouveaux compagnons. Qu'à cela ne tienne, l'unique session de répétition se transforme alors en enregistrement d'un ep, qui mue lui-même en album à part entière. Le temps qu'ASTUTE PALATE se rende au club où il devait jouer ce soir-là que le dit album était déjà mis en boite !
Back in the garage
Enregistré dans le studio de la guitariste Emily ROBB, ce premier album d'ASTUTE PALATE démarre pied au plancher. Si on oublie vite l'introductif Dip In The Tussle qui n'atteint même pas une minute, le suivant No Queen fait état de déclaration d'intention : un beat implacable que n'auraient renié ni Bo DIDDLEY ni les STOOGES. Et c'est parti pour une démonstration de force d'un peu plus d'une demi heure ! Avec moult larsens entrecoupant les différents morceaux du disque, ASTUTE PALATE joue sans faire semblant et souvent à un train d'enfer.
Truffé de délicieux licks de guitare estampillés swamp rock, A Little Proof est un parfait écrin pour le vociférant NANCE, une nouvelle fois irrésistible dans son rôle d'aboyeur en chef. Sa complémentarité avec Emily ROBB est indéniable, le duo atteignant des sommets d'imperfections neilyoungiennes sur le titanesque Stall Out, version retravaillée du pétaradant Stalled Out, présent sur un single sorti peu de temps après Peaced And Slightly Pulverized. Premier morceau de l'album à retirer le pied de l'accélérateur, Stall Out laisse aux deux guitares le temps de s'imposer dans de longs mantras qui amènent un NANCE enfin apaisé derrière le micro. Ce jam furieusement posé et intense est, du long de ses dix minutes, la plus belle réussite du disque et probablement un des morceaux les plus emballants que 2021 aura à nous offrir.
Malgré cette orgie de guitares, il ne faudra pas sous-côter le rôle de la section rythmique Richie CHARLES / Dan PROVENZANO, tant ces deux là tiennent l'embarcation à flot. Staunch Honey ayant été enregistrée dans la foulée, il y a fort à parier que ces gaillards ont eu une influence marquante sur David NANCE. C'est en tout cas ce que le groove imperturbable de Bring It On Home laisse penser. Explorant une piste qui fait penser à ENDLESS BOOGIE dans ses moments les plus hypnotiques, la section rythmique met sur orbite le talking blues d'Emily ROBB, assez convaincante derrière le micro.
Crasse excitante
Les deux derniers morceaux d'Astute Palate (Loose Wings et Treadin' Schuykill) jouent eux aussi sur la dychotomie énergie punk / morceau aérien laissant partir les guitares en mode exploration, concluant de fort belle manière un disque qui donne l'impression d'être beaucoup plus long et massif que ses 35 minutes ne suggèrent. Et il y a fort à parier que ce très recommandable coup d'essai ne s'arrêtera pas là, malgré le millier de kilomètres séparant Omaha et Philadelphie, puisque David NANCE a déclaré que les morceaux les plus abrasifs qu'il composera seront désormais destinés à ASTUTE PALATE.
S'il est malgré tout ses efforts encore loin d'un rythme de production digne de The OH SEES ou Ty SEAGAL, David NANCE prouve une nouvelle fois qu'il a toutes les armes pour rivaliser avec ces figures tutélaires du nouveau mouvement garage américain, paragons d'un rock aussi crade qu'excitant.
Eric F.
(11 mai 2021)XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
ASTUTE PALATE – Astute Palate (Petty Bunco, 2021)
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Pour prolonger...
Astute Palate : BandcampDans nos archives sonores :
Rock à la Casbah #735 (12/05/2021)
Dans nos archives écrites :
Epreuve Reine par bingO (15/06/21)
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Photographies : Eric F.
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