#76 Mixtape Fabrice CAPIZZANO

          
     Comme l'une de ses grandes influences (Philippe DJIAN), le romancier Fabrice CAPIZZANO ne peut écrire sans musique. Concoctée depuis le Vercors, sa Mixtape risque de dérouter les rockers underground intégristes, mais permettra de réviser certains classiques.

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     J’ai passé ma vie à faire mille boulots manuels. Éleveur de volailles, cueilleur, boucher, charpentier, carreleur, perchman, skiman, barman, serveur, enquêteur téléphonique. Mais au milieu de tout ça, j’ai toujours écrit, plutôt caché.
J’ai fait dix ans d’apiculture à mon compte, j’avais environ 250 ruches et j’ai beaucoup couru sur ces années-là : je n’ai pas pris le temps de grand-chose, et surtout, je n’avais aucune disponibilité pour écrire. Je suis revenu assez naturellement à l’écriture après l’apiculture, comme l’évidence de respirer, marcher, dormir, contempler. J’ai milité une douzaine d’années chez Greenpeace, car hyper concerné par les problèmes environnementaux. J’ai sorti mon premier roman en 2020 Au diable Vauvert : La fille du chasse-neige. Mon deuxième, Le ventre de la péniche, est sorti à la rentrée de septembre 2022, toujours Au diable vauvert. Actuellement, je travaille avec cinq autres auteurs sur l’écriture d’un projet SF et fantasy, en 7 tomes, en lien avec un jeu vidéo qui s’appelle Cross the ages. Je ne vis plus que de ma plume.

En préparant ma Mixtape, je m’aperçois que je suis une espèce de sous-genre nostalgique compulsif des années 70, c’est terrible de se rendre compte à 50 ans passé qu’on en est là, encore plongé et empreint dans le rock de ces années fastes. Cela fait longtemps que j’ai bossé en me disant que j’aurais adoré avoir 20 ans à cette époque, l’âge de mes parents quoi ! Qui eux écoutaient toute la variété française dont j’ai aujourd’hui horreur mais qui, il faut l’avouer, m’a forgé mon oreille. Ma mère, la bouche en cœur bombardait la maison à longueur de journée de tubes de Johnny, Sylvie, Claude FRANÇOIS, SHEILA, Mike BRANT, sortis tout droit de son mange disque orange au son frelaté.
Cette sélection, j’ai eu un mal fou à la choisir, tant il y a des artistes et des morceaux que j’aurais aimé rajouter : Fool d’ARCHIVE, tout Ben HARPER, NOIR DÉSIR, RAGE AGAINST THE MACHINE, NTM, EMINEM, la BO de Paris-Texas, Janis JOPLIN, HENDRIX, tout BASHUNG, MOZART, FEU! CHATTERTON, la BO de Dead Man, Dominique A, RADIOHEAD, Toxic de Britney SPEARS, Nick CAVE, Tom WAITS, GAINSBOURG, ZAPPA...

Sans musique il m’est impossible d’écrire.
Je commence mes journées d’écriture par écouter de la musique française, un morceau ou deux, puis j’arrête car il est temps de me mettre au boulot, et je ne peux écrire et écouter du français en même temps. Les auteurs français m’inspirent et me donnent envie de m’y mettre, comme BASHUNG, BELIN, Dominique A, par exemple. Puis, suivant l’émotion que je recherche, l’humeur du jour, j’envoie le morceau, l’artiste, le style, l’émotion qui est en corrélation soit avec mon humeur, soit avec la scène que je dois écrire. Cela marche dans les deux sens. C’est-à-dire que je peux chercher la musique qui va m’amener dans ma scène, ou alors, lorsque mon ordinateur se met en mode aléatoire, et qu’il me propose des morceaux que je n’ai pas cherché, c’est cette musique qui va m’amener à des émotions non prévues qui elles, vont accoucher de scènes auxquelles je n’avais pas pensé avant.
En gros, musique et écriture vont de pair. Inexorablement. Pied au plancher.
 
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ORELSAN - L’odeur de l’essence

Civilisation (7th magnitude, Wagram music et 3eme bureau, 2021)
Celui-là me rend vénère, il me donne envie de faire la révolution ! Il me met la rage, et me donne envie de la crier sur le papier !! De déchirer ma feuille avec ma plume. D’insulter, de revendiquer, d’appeler à l’insurrection ! Il me rend mes 20 ans d’énervé persuadé qu’on allait changer de paradigme (artificiel) ! Il me donne envie de rouler en sens interdit à 200km/h. Il me donne des poussées d’interdit et de désobéissance.

Ben HARPER and The INNOCENT CRIMINALS - With my own two hands (Live)

Version originale sur Diamonds of the inside (Virgin, 2003)
Ben HARPER, je l’ai vu quatre fois en concert. Et à chaque fois, c’était énorme ! Le vocal, l’instrumental, l’énergie, ses solos sans fin... bref, un artiste à choisir ? Ben HARPER. Matin, midi et soir, au goûter, et s’il y a du rab, je suis prêt à me lever la nuit pour en reprendre. Les paroles se concentrent sur la façon dont les changements dans le monde peuvent se produire lorsqu’une seule personne décide d’agir. J’adore ! Celui-ci me donne envie de sauter dans tous les sens !

BASHUNG - Immortels

En amont (Barclay, 2018)
BASHUNG quand même ! J’ai découvert ce morceau bien après sa sortie, titre posthume du génie qu’était BASHUNG. Ce qui est drôle, c’est que lorsqu’il est mort, j’ai été profondément abattu, et je me suis dit : « Merde, plus jamais je n’entendrai de nouveaux morceaux de BASHUNG ». Et puis, il y a eu En amont, cet album sorti en 2018, neuf ans après sa mort. BASHUNG m’inspire, me donne envie d’écrire sans concession, de pondre des phrases en me disant lâche rien mec, écris chaque ligne, chaque mot, chaque lettre comme si c’était ta dernière.

Amy WINEHOUSE - Back to black  (Acoustic)

Version originale sur Back to black (Island Records, 2006)
À chaque fois que j’écoute ce morceau dans cette version acoustique, je suis bouleversé par l’urgence et l’intégrité absolue de l’interprétation de cette femme hyper douée et hyper sensible. Elle me donne envie de chialer, elle dresse mon épiderme dorsale, elle me bouscule dans mes propres limites, elle me fait dire que je ne suis pas allé encore assez loin dans l’écriture, et que la force, la puissance de nos créations peuvent nous permettre de marcher dans le vide et de tenir debout. Vivant et debout.

David BOWIE - Wild is the wind (Live - BBC Radio Theatre, 2000)

Version originale sur Station to station (RCA Records, 1976)
Pas grand-chose à dire sur ce morceau d’anthologie, qui à lui tout seul tient tout un pan de la musique moderne. Tu enlèves BOWIE et il reste quoi ? Lorsque j’écoute Wild is the wind, des averses d’émotions me tombent dessus, je suis sous la pluie et je suis heureux. Ce morceau me bouleverse, me rince, me nettoie, me nourrit. [On ne saura que fortement recommander l'écoute de la version de Nina SIMONE, NDLR]

Laurent BARDAINNE & TIGRE D'EAU DOUCE feat. Bertrand BELIN - Oiseau

Hymne au soleil  (Heavenly sweetless, 2022)
Je suis dingue de Bertrand BELIN, et particulièrement de ce morceau, qui tire vers le génie musical, dont les textes sont d’une sobriété incroyable, mais qui nous raconte une histoire d’un conte de 1000 et une nuits façon 2022. Tu te retrouves à survoler des villes, des campagnes, des vignes, et à chier des pépins. Énorme. Elle fait partie des chansons que j’aurais rêvé d’écrire. Cette chanson me voyage en mode VIP.

LED ZEPPELIN - No quarter (Live - London, 2007)

Version originale sur House of the holy (Atlantic Records, 1973)
LED ZEPPELIN, quoi ! No quarter, parce qu’il a fallu en choisir une, et que sur chaque version Jimmy PAGE fait un solo à couper le souffle d’un non-fumeur. Et la question que je me pose c’est : est-ce que les non-fumeurs écoutent LED ZEPPELIN ? Pourquoi cette version ? La moins longue en live que j’ai trouvé, et puis la bande de LED ZEP a quelques cheveux blancs en 2007, et surtout, surtout, beaucoup de bouteilles et des filons toutes les trois notes. Fan absolu ! À écouter en boucle au maximum de ce que votre sono peut cracher, tant pis pour les voisins, s’ils vous virent, vous pourrez toujours trouver un autre appartement, ou aller vivre au fond des bois, pace que se priver de LED ZEPPELIN c’est se priver de respirer.

ANTONY and The JOHNSONS - Fistful of love (Live)

Version originale sur I am a bird now (Secretly Canadian, 2005)
J’ai découvert ce morceau en voyant Les petits mouchoirs de Guillaume CANET [On a tous des défauts, NDLR], et je me suis précipité sur la BO pour savoir qui était cet interprète incroyable. Homme ? Femme ? Et j’ai découvert ANTONY, avec ce gloubi-boulga émotionnel de genre. Ce magnifique morceau m’accompagne quasi une fois par jour lorsque j’écris. Il me plonge dans une émotion toute particulière d’hyper sensibilité. Et quand j’ai une crise, je l’écoute dix, vingt fois de suite, tant que ma scène que j’ai à écrire n’est pas terminée. Ce morceau me rend monomaniaque, bordeline, ou juste fou, et ça fait du bien.

PIXIES - Where is my mind (Live - Onrust, 1988)

Version originale sur Surfer Rosa (4AD, 1988)
Pas grand-chose à dire de ce morceau. C’est le summum du rock, du son saturé, de la musique qui tue tout ! Il me déloge dans mes tripes les plus enfouies. Il me conforte dans l’idée que nos douces folies sont nos meilleurs alliés. Qu’être sage peut être dangereux et affreusement chiant, pour soi et le reste du monde. Il me renvoie surtout à un instant très intime et totalement bouleversant de ma vie, à un visage qui pourrait être le symbole à lui tout seul de l’ultime et absolu amour. Ce visage qui est incontestablement le plus beau visage du monde.

Neil YOUNG - Southern man

After the gold rush (Reprise, 1970)
Ce morceau est un titre engagé sur l’esclavage, le racisme anti noir des États-Unis. Mais, je ne sais pas pourquoi, je trouve que ce morceau a un côté hyper sexe, il me donne envie de faire l’amour, l’après-midi, il fait chaud, la lumière se faufile dans les persiennes et explose les parties charnelles sollicitées. Il est le sexe moite sans limites. La sueur mélangée. Les sécrétions révélées. Puis, lorsque les corps sont rincés, que la sieste est passée, je m’assois à mon bureau et j’écris en l’écoutant en boucle.

SANTANA - Song of the wind

Caravansarai (Columbia, 1972)
Pas mieux. Pour moi, ce morceau symbolise la relation amoureuse passionnelle. Un slow dansé la nuit, pied nu sur un plancher de vieille maison de montagne, avec la femme avec qui on aimerait vieillir et finir ses jours. J’ai beaucoup écrit en écoutant Song of the wind sur La fille du chasse-neige. J’ai usé ce morceau jusqu’à la couenne, comme un jean trop porté qui ne masquerait plus grand-chose, qui ne vous protégerait plus de rien, et dont on ne pourrait faire que des torchons. 30 ans que je l’écoute… ça ne date pas d’hier du coup, à vol d’oiseau je veux dire.

Fabrice CAPIZZANO

(02 août 2023)
 

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Fabrice CAPIZZANO. La fille du chasse-neige (Au Diable Vauvert, 2020)
Fabrice CAPIZZANO. Le ventre de la péniche (Au Diable Vauvert, 2022)
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Photographie : Philippe MATSAS, Fabrice CAPIZZANO, bingO
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B O N U S   T R A C K S // B O N U S   T R A C K S

 

Serge GAINSBOURG - En Melody

Histoire de Melody Nelson (Philips, 1971)
Tout l’album est mythique. Je pense qu’il serait sur le podium des albums de ma vie. Moins d’une demi-heure, rien, à l’échelle du temps et de la planète. Mais tout y est. Rencontre, passion, intégrité, amour, jeunesse, rock’n roll, no future, carpe diem, ad vitam aeternam. GAINSBOURG quand même ! En Melody est un des morceaux les plus incroyables de l’histoire de la musique. Les quatre notes que GAINSBOURG pose au milieu du morceau peuvent soutenir le Pop mondial à elles seules. Un pilier. Tu l’enlèves et tout s’écroule. [Idem pour l’intervention au violon de Jean-Luc PONTY et de la performance vocale de la regrettée Jane B., NDLR ] Une merveille, à écouter en boucle.

Franck ZAPPA - Black Napkins (Live - Philadelphia, 1976)

Version originale sur Zoot Allure (Warner Bros, 1976)
ZAPPA, depuis 35 ans, moins qu’avant toutefois, comme MOZART, parce qu’un morceau par ci par là, avec parcimonie, ça me recharge pour des jours. À chaque fois que j’écoute ZAPPA, et particulièrement Black Napkins, je me dis : putain, Fab, dis-toi que tu aurais pu passer à côté de ça, tu imagines le drame ? Qu’est-ce que ça aurait été ta vie sans ZAPPA, hein ? Une longue traversée de désert sans eau, une soirée sans rhum, une vie sans amour ni passion, un fruit un peu blet qui vous maintient vivant mais sans le moindre artifice. Un peu triste quoi !