#39 - MIXTAPE MATTHIEU MOWNO

C’est toujours difficile d’élaborer une playlist en devant faire des choix aussi radicaux, d’autant plus que - suivant l’humeur - elle peut être différente d’un jour sur l’autre. Je n’avais plus tenté depuis longtemps de faire entrer autant de coups de coeur sur un laps de temps équivalent à ces cassettes de 60 mn qu’on se faisait, plus jeunes, pour les longs trajets en voiture. Pour ne rien regretter, j’ai donc préféré mettre en lumière ces groupes vers lesquels je reviens inexorablement. Ils sont mes préférences rock de toujours. J’aurais pu aussi y mettre un peu de hip hop et d’electro que j’écoute aussi, mais ces deux genres ont toujours occupé la place que le rock a bien voulu leur laisser. Les quelques groupes de cette playlist n’ont donc été rien d’autre que de véritables obsessions pour moi quand je les ai découverts, comme au fil de mon parcours. Pour chacun, j’ai tout voulu savoir très vite, ne rien oublier, ne rien laisser de côté. C’était donc logique qu’ils aient la priorité sur le reste. Je suppose qu’il ne peut ainsi pas y avoir sélection plus représentative de ce que je suis, de mon évolution aussi, depuis plus de 20 ans que je mène la barque Mowno.

FUGAZI - Hello Morning
Ce groupe est ma référence ultime, mon phare dans la nuit. Je ne connais pas discographie plus parfaite, concerts plus marquants. Pour les avoir vus plusieurs fois sur scène, les lives de Fugazi resteront à jamais mes meilleurs souvenirs de mélomane. C’était dingue. Ces mecs là ont non seulement écrit un gros chapitre de l’histoire du rock mais avaient également une éthique exemplaire. Ils ont beaucoup influencé ma manière d’entreprendre et de faire les choses. Il y aura toujours chez moi un avant, un pendant, et un après Fugazi. Ce morceau figure sur un Ep et c’est Guy Picciotto qui chante. Même si Ian MacKaye est un mythe, j’ai toujours eu une affection particulière pour Picciotto, peut être parce que plus sensible et scéniquement plus généreux.

VIC CHESNUTT - Chinaberry Tree
Dire que j’étais fan de Vic Chesnutt serait mentir. Mais ses deux derniers albums restent magnifiques, notamment "At The Cut" auquel Guy Picciotto (Fugazi) a contribué à la guitare. On entend sa patte sur cette ligne mélodique magnifique qui, pour mon plus grand bonheur, semble ne jamais se terminer. Je me souviens avoir vu tout ce beau monde en concert à la Cigale, en compagnie du chef de projet de Mars Volta. Cedric Bixler et Omar Rodriguez étaient à Paris pour de la promo. On a regardé la majorité du concert avec eux, au balcon fermé au public. Moi qui était fan d’At The Drive In, j’étais comme un gosse. 

AT THE DRIVE IN - Extracurricular
C’est un poitevin chez lequel je dormais après un concert de Fugazi qui m’a fait découvrir At The Drive In. Il les avait vus peu de temps auparavant dans un bar de la ville. C’était en 1998, "In/Casino/Out" venait de sortir, et ça a été un choc. Moi, je les ai vus pour la première fois un peu plus tard au Confort Moderne, ou je les avais interviewés pour Bokson : les mecs sont entrés sur scène et ont jeté dans le public tout ce qui pouvait leur tomber sous la main. Tellement de groupes me sont parus fades après avoir vu ça. C’était juste avant l’explosion "Relationship of Command". 

ENGINE DOWN - Pantomime
Pour beaucoup, Engine Down ne va pas avoir beaucoup plus d’arguments que d’autres. Entre émo et post hardcore, ces américains ont pourtant atteint selon moi le juste milieu entre profondeur, émotion, intensité et mélodie. "Pantomime" est, je trouve, le meilleur morceau de leur meilleur album, "Demure". Pendant longtemps ensuite on n’a plus entendu parler de Keeley Davis, son chanteur, puis il est réapparu à la reformation d’At The Drive In, en remplacement du guitariste Jim Ward (Sparta).

SHIPPING NEWS - Louven
Un jour, un collègue de travail m’a donné le CD de "Flies The Field", dernier album de Shipping News en me disant que j’allais forcément l’aimer à un moment ou un autre. Il ne s’est pas trompé. J’étais pourtant déjà sensible à June of 44 et tout cet univers mais j’ai mis du temps à apprivoiser cet album. Puis il y a eu un déclic, et je ne suis toujours pas redescendu. C’est d’une beauté et d’une délicatesse sans nom.

KARATE - The Last Wars
Je me souviendrai toujours du jour ou j’ai acheté ce disque. Le disquaire chez lequel je passais régulièrement venait de le recevoir et l’avait sorti du carton pour moi. Je connaissais vaguement les précédents albums mais il y avait chez ce trio clairement sous estimé ce mélange assez convaincant de technique humble et de sensibilité qui m’avait poussé à y aller les yeux fermés. Si j’en crois l’état du vinyle aujourd’hui, j’ai du l’écouter des centaines de fois. Après cela, le groupe est parti dans des délires plus jazz que je recommande bien qu'ils soient moins instantanés que ce morceau et tous les autres qui l’accompagnent sur ce génialissime "The Bed is in the Ocean". 

PETER KERNEL & THEIR WICKED ORCHESTRA - Supernatural Emperors
Peter Kernel est un des rares groupes avec lesquels on a noué une relation étroite, à force de se croiser de nombreuses fois au cours des dix dernières années. Si les influences sont décelables chez eux, ils ont toujours fait en sorte de les recracher avec beaucoup de personnalité et de subtilité. Ce groupe se remet sans cesse en question et continue d’avancer en brisant ses propres barrières. Ce n’est pas donné à tout le monde d’y parvenir ainsi. Ce morceau est tiré d’un Ep ou ils ont revisité certains de leurs titres en compagnie d’un orchestre. Certains passages sont volontairement malaisants, mais quand on entend la fin du morceau, on se dit que ce n’était que pour le rendre encore plus beau.

SMART WENT CRAZY - A Brief Conversation Ending in Divorce
Laissons le violoncelle faire la transition… Je n’ai pas grand chose à dire à propos de Smart Went Crazy. Le groupe a sorti deux albums chez Dischord pendant les années 90 puis a subitement disparu de la circulation. Je crois que ce mélange d’électrique et d’acoustique lui apporte une forte singularité qui, avec les années, ne s’estompe pas. "Con Art" est un album sur lequel je reviens très régulièrement. Je le conseille dans son intégralité.

AINA - Feel My Forehead
Durant l’âge d’or du post hardcore et de l’émo, la scène américaine occupait logiquement les premiers rangs. Pourtant, l’Europe n’avait pas à rougir, notamment grâce aux barcelonais d’Aina. Je les ai découverts sur les conseils de Seven Hate alors qu’ils passaient dans un bar du Mans dont je suis originaire. J’ai pris une claque, on a discuté, puis je n’ai manqué aucun de leurs concerts dans un rayon de 200km. Chaque fois qu’on se croisait, on était content de se voir. Artur (le chanteur) et moi étions tous deux fans de Jawbreaker. Je me souviens être allé les voir à côté de Tours et d’avoir écouté avec lui le premier album de Jets to Brazil (projet suivant du chanteur de Jawbreaker), dans ma bagnole, après sa balance. Je venais de l’avoir et lui avait fait découvrir. Le genre de petit moment banal mais qui marque…

JAWBREAKER - Save Your Generation
Jawbreaker, je les ai découverts grâce à un « grand frère » que je remercie encore aujourd’hui de m’avoir laissé mettre le nez dans sa discothèque, pour repartir chaque fois de chez lui avec une bonne dizaine de LPs sous le bras. J’étais assez friand de punk mélodique à l’époque et cet album là m’a tout de suite accroché l’oreille, notamment ce morceau d’intro qui reste pour moi un hymne de jeunesse. Le disque était bleu marbré blanc, c’est la première fois que je voyais ça de ma vie ahah. Je suis allé plusieurs fois aux Etats Unis, j’ai sans cesse cherché à remettre la main sur des disques, mais en vain. Ils ont tous été réédités depuis.

SHELLAC - My Black Ass
Même chose pour Shellac : merci au grand frère. Et c’est évidemment par "Action Park" que tout a commencé. Pas besoin d’en dire des tonnes sur ce groupe, sur cet album, sur Steve Albini. Je pense qu’au même titre que Ian MacKaye, ce mec a fait bouger les lignes pour le bien de tous.

POLICY OF 3 - 1%
J’avoue que faire le tour de Policy of 3 a été assez rapide puisqu’ils n’ont existé que 3 ans et n’ont sorti qu’un seul album. Mais quel album. Je les ai vus au Mans, dans un petit bar, alors que je ne les connaissais pas du tout. Ca m’a marqué. J’avais l’impression de découvrir l’émo dans sa forme la plus pure. Je me trompe peut être encore dans la définition du genre aujourd’hui, mais pour moi le vrai émo, c’est ça. 

CHOKEBORE - Nobody
Peut être une de mes plus longues obsessions après Fugazi. Ca m’a même valu un surnom tant je bassinais mes potes avec Chokebore. Ce morceau est issu du split Clusterfuck 94 qui regroupait 3 groupes partis ensemble en tournée européenne la même année. A ce moment là, Troy Von Balthazar était intenable sur scène, chaque concert était une véritable expérience. Bokson, la version fanzine papier qui nous amenés à devenir Mowno, avait d’ailleurs fait sa première couverture avec lui faisant la coupole sur scène. 

HOT SNAKES - Braintrust
Je suis venu à Hot Snakes sur le tard également. J’étais fan de Drive Like Jehu mais j’ai longtemps trouvé que Hot Snakes sonnait plus old school. Peut être cette approche plus garage parfois… Quand je m’y suis mis, j’ai tout acheté. Ces mecs ont une sacrée discographie. Pour la petite anecdote, on a filmé leur concert de reformation en 2011 à Paris. On était super content de nos images, mais l’ingé son du groupe a, dans son enthousiasme, involontairement poussé le volume de la sortie raccordée à notre enregistreur, rendant la piste son inexploitable. La vidéo est quand même disponible sur le net, mais avec un son tiré d’un autre concert.

THEE OH SEES - Block of Ice
En parlant de garage… J’avoue faire partie des moutons qui se sont réveillés tardivement pour se pencher sur le sort bien mérité de Thee Oh Sees. C’est un type de production que je n’avais pas l’habitude d’écouter jusque là et ce côté parfois lo-fi ne m’était pas agréable. Puis ces californiens ont redistribué les cartes dans mon esprit. Leur album "Floating Coffin" a été une révélation. On a filmé leur concert au City Sounds Festival de Paris en 2013. J’étais derrière la caméra, et au même moment je me prenais une baffe gigantesque. Peut être pour ça que je suis toujours nostalgique de ce line up avec Brigid Dawson, Mike Shoun et le charismatique Petey Dammit. Si le groupe s’est bonifié avec le temps, je trouve qu’il était à l’apogée de son charme à ce moment là de sa carrière.

NICK CAVE & THE BAD SEE DS - Mermaids
J’avoue que la transition est rude mais terminer sur une note de douceur et d’émotion à fleur de peau n’est pas une mauvaise idée. Nick Cave a traversé tant de générations qu’il sera difficile de mettre tous ses fans d’accord sur un album. Là aussi, je m’y suis mis tard, avec ce disque, "Push The Sky Away", qui regorge de magnifiques chansons. C’était en 2013 et j’étais enfin prêt, peut être parce que je venais de le voir pour la première fois en concert. Parce que si ses disques mettent les poils, il faut avouer que ses performances tirent les larmes. Je me souviens encore de ce dernier concert qu’il a donné au Primavera de Barcelone. Au début, les anglais bourrés parasitaient le plaisir de leurs voisins, puis quand les lumières se sont rallumés à la fin du dernier morceau, tout le monde avait les yeux embués. Impossible de s’en lasser. D’ailleurs, je crois que je fais mes plus longues sessions Youtube à cause de lui. C’est un des derniers grands, il faut en profiter pendant qu’il est encore temps.