Crosshairs (Mulso Primary Records, 2020) // Par Eric F
Quatre jeunes hommes sur une photo en noir et blanc, l’œil rivé sur l'objectif tout en flottant au milieu d'un lac. Les fans de post-rock auront bien sûr reconnu la pochette du séminal Spiderland de Slint. Il y a fort à parier que cette image a dû hanter plus d'une nuit chez les membres de Van Coeur, trio de Brighton aussi mystérieux que confidentiel, dont certains de ses membres évoluent également dans un groupe nommé (il n'y a pas de hasard) Good Morning Captain. Impossible dans ces conditions de ne pas évoquer le patronage du gang de Louisville. Ce ne sont pas des morceaux comme Yak et surtout Musk Ox qui iront le démentir, tant ils semblent tout droit sortis de Spiderland. Mais ça serait bien trop réducteur de résumer la musique de Van Coeur à celle de David Pajo et ses potes. On pensera d'ailleurs à d'autres groupes phares du mouvement slowcore comme Bedhead, Labradford ou Hood tout au long du disque.
Deuxième production du groupe après un Sun Kill Vampires sorti en 2015, Crosshairs est un disque aussi long que difficile d'accès qui demandera un certain nombre d'écoutes avant de révéler tous ses charmes. Et qui se démarque de la concurrence par l'ambiance aussi savoureuse que ouatée qu'il installe au long de ces dix morceaux vénéneux. Les premières minutes de Crosshairs laissent à penser qu'on aura ici une énième session de montagnes russes que le Mogwai des débuts n'aurait pas renié : sortie de nulle part, la tension monte et s'abat comme une pluie implacable menaçant de tourner à l'orage. Mais tout cela n'est que subterfuge, car en bons anglais, les membres de Van Cœur préfèrent aux tempêtes de Glasgow la bruine et la brume de Brighton. Cela se traduira jusqu'à la fin par une lenteur lénifiante (il n'est pas rare que certains morceaux mettent plusieurs minutes à se lancer) qui n'en laissera pas moins place à des magnifiques fulgurances mélodiques, extirpées à grand peine du brouillard.
Il y a en tout cas une sacrée maturité chez ces trois anglais qui savent jouer à merveille, mais surtout avec parcimonie. Crosshairs est de ces disques où ce qui n'est pas joué a presque autant d'importance que ce qui l'est. Il n'est pas très difficile de se perdre dans ce labyrinthe souterrain coupé de toute notion de temporalité : écoute-t-on toujours le même morceau depuis cinq minutes ? Ne l'a-t-on pas déjà entendu quatre pistes avant ? Que vient faire cet autotune aussi improbable que déglingué sur Musk Ox ? Autant de questions pour lesquelles il n'est absolument pas nécessaire de trouver des réponses. Car celles-ci pèsent bien peu devant la beauté des arpèges d'Elk ou du xylophone froid et chirurgical de Loris. Van Cœur prend son temps et vous oblige à en faire de même. Cela vous aidera à succomber à la douce beauté des guitares nostalgiques de Narwhal pendant que la voix d'Amy, nouvelle venue à la batterie, vous transpercera le cœur au harpon.
Loin des embardées d’un Sun Kill Vampires empreint d’un enthousiasme lo-fi, Crosshairs prend le contre-pied en se planquant dans les tranchées et en tenant le rythme de ses morceaux, ce que son prédécesseur était incapable de faire très longtemps. De la contemplation donc, mais aussi une certaine forme de désolation, dans des paysages dévastés qu’on ne reconnait même plus : « Where is the land, the beautiful land ? I have lost the land, now I am lost at sea ». Sans repères et sans refuge, l’homme moderne hyperconnecté n’a pourtant jamais été aussi isolé. C’est le constat aussi cinglant que paradoxal de Loris: “In the end it’s no surprise, you’ll leave this place on your own, you’ll pay your bills and keep your house, dream less of nothing else”. Malgré tout, on retrouve ça et là quelques notes d’espoir: « But the sun will scream a path through the majesty of our broken sky”. Fortement évoqués, les éléments plient mais ne rompent pas. Un peu à l’image des voix des trois membres du groupe, qui se complètent à merveille tout en restant la plupart du temps dans des chuchotements aussi bien confidentiels que menaçants.
En terminant le disque comme il l’a commencé, avec une embardée noise qui nous soulage de toute cette tension, Van Cœur réalise le coup parfait. Bien que la musique du groupe soit (pour le moment) très confidentielle, les trois anglais n'en ont pas moins livré un véritable chef-d’œuvre où certains accords à peine effleurés peuvent faire l'effet d'un tremblement de terre. Il va sans dire que ce Crosshairs trouvera largement sa place au panthéon du slowcore.
Deuxième production du groupe après un Sun Kill Vampires sorti en 2015, Crosshairs est un disque aussi long que difficile d'accès qui demandera un certain nombre d'écoutes avant de révéler tous ses charmes. Et qui se démarque de la concurrence par l'ambiance aussi savoureuse que ouatée qu'il installe au long de ces dix morceaux vénéneux. Les premières minutes de Crosshairs laissent à penser qu'on aura ici une énième session de montagnes russes que le Mogwai des débuts n'aurait pas renié : sortie de nulle part, la tension monte et s'abat comme une pluie implacable menaçant de tourner à l'orage. Mais tout cela n'est que subterfuge, car en bons anglais, les membres de Van Cœur préfèrent aux tempêtes de Glasgow la bruine et la brume de Brighton. Cela se traduira jusqu'à la fin par une lenteur lénifiante (il n'est pas rare que certains morceaux mettent plusieurs minutes à se lancer) qui n'en laissera pas moins place à des magnifiques fulgurances mélodiques, extirpées à grand peine du brouillard.
Il y a en tout cas une sacrée maturité chez ces trois anglais qui savent jouer à merveille, mais surtout avec parcimonie. Crosshairs est de ces disques où ce qui n'est pas joué a presque autant d'importance que ce qui l'est. Il n'est pas très difficile de se perdre dans ce labyrinthe souterrain coupé de toute notion de temporalité : écoute-t-on toujours le même morceau depuis cinq minutes ? Ne l'a-t-on pas déjà entendu quatre pistes avant ? Que vient faire cet autotune aussi improbable que déglingué sur Musk Ox ? Autant de questions pour lesquelles il n'est absolument pas nécessaire de trouver des réponses. Car celles-ci pèsent bien peu devant la beauté des arpèges d'Elk ou du xylophone froid et chirurgical de Loris. Van Cœur prend son temps et vous oblige à en faire de même. Cela vous aidera à succomber à la douce beauté des guitares nostalgiques de Narwhal pendant que la voix d'Amy, nouvelle venue à la batterie, vous transpercera le cœur au harpon.
Loin des embardées d’un Sun Kill Vampires empreint d’un enthousiasme lo-fi, Crosshairs prend le contre-pied en se planquant dans les tranchées et en tenant le rythme de ses morceaux, ce que son prédécesseur était incapable de faire très longtemps. De la contemplation donc, mais aussi une certaine forme de désolation, dans des paysages dévastés qu’on ne reconnait même plus : « Where is the land, the beautiful land ? I have lost the land, now I am lost at sea ». Sans repères et sans refuge, l’homme moderne hyperconnecté n’a pourtant jamais été aussi isolé. C’est le constat aussi cinglant que paradoxal de Loris: “In the end it’s no surprise, you’ll leave this place on your own, you’ll pay your bills and keep your house, dream less of nothing else”. Malgré tout, on retrouve ça et là quelques notes d’espoir: « But the sun will scream a path through the majesty of our broken sky”. Fortement évoqués, les éléments plient mais ne rompent pas. Un peu à l’image des voix des trois membres du groupe, qui se complètent à merveille tout en restant la plupart du temps dans des chuchotements aussi bien confidentiels que menaçants.
En terminant le disque comme il l’a commencé, avec une embardée noise qui nous soulage de toute cette tension, Van Cœur réalise le coup parfait. Bien que la musique du groupe soit (pour le moment) très confidentielle, les trois anglais n'en ont pas moins livré un véritable chef-d’œuvre où certains accords à peine effleurés peuvent faire l'effet d'un tremblement de terre. Il va sans dire que ce Crosshairs trouvera largement sa place au panthéon du slowcore.